Eglises d'Asie – Pakistan
L’Eglise catholique au Pakistan condamne sévèrement la profanation d’un exemplaire du Coran par un pasteur américain
Publié le 23/03/2011
… qui a aussi appelé ses concitoyens à répondre à « ce très triste incident » non par une réaction épidermique mais par un comportement « digne et civilisé ». Mgr Saldanha s’exprimait au nom de l’ensemble des évêques catholiques du Pakistan, réunis en assemblée plénière du 20 au 25 mars à Multan.
Le 20 mars dernier, aux Etats-Unis, Terry Jones, pasteur d’une communauté évangélique à Gainesville, en Floride, est revenu sur le devant de la scène en organisant le « procès » du Coran. On se souvient qu’en septembre 2010, cet Américain avait provoqué une intense agitation médiatique à travers le monde pour avoir projeté un autodafé de corans à l’occasion du neuvième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001. Dans le monde musulman – et notamment en Asie –, de virulentes protestations s’étaient élevées contre le projet du pasteur, qui avait finalement renoncé à son entreprise, non sans que celle-ci ait causé l’attaque de deux églises chrétiennes au Pakistan et des troubles en Inde et en Indonésie (1). Cette fois-ci, le 20 mars, en présence d’une trentaine de personnes, Terry Jones s’est auto-institué « juge » pour présider un tribunal chargé de juger le livre saint de l’islam. A l’issue du « procès », le Coran a été déclaré « coupable » de crime contre l’humanité et promoteur d’actes de terrorisme « contre des personnes dont le seul crime était de ne pas partager la foi islamique ». La sentence a été exécutée sous la forme de l’immolation d’un exemplaire du Coran. Aux Etats-Unis, les médias ont relayé la scène, nombre d’entre eux soulignant le caractère provocateur du geste du pasteur de Floride. De son côté, le Conseil des relations islamo-américaines, par la voix de son porte-parole, Ibrahim Hooper, s’est contenté de déclarer : « Terry Jones a eu ses 15 minutes de gloire et nous n’allons pas l’aider à y ajouter ne serait-ce qu’une minute supplémentaire. »
Au Pakistan, la réponse à la provocation du pasteur américain a été virulente. Au nom des pays membres de l’Organisation de la Conférence islamique, l’ambassadeur du Pakistan auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève a dénoncé la profanation du Coran comme un acte « violant les sentiments religieux des musulmans à travers le monde » et a prévenu que la responsabilité des éventuelles conséquences de cet acte retombait « entièrement sur ceux qui ont failli à [l’]empêcher ». Le 22 mars, à Islamabad, lors de son discours pour l’ouverture de la session parlementaire, le président pakistanais Asif Ali Zardari a lui aussi fermement condamné l’autodafé du Coran, les députés de la majorité et ceux de l’opposition s’unissant d’une même voix pour dénoncer l’acte du pasteur américain. Des organisations musulmanes ont annoncé que des manifestations auront lieu dans tout le pays le vendredi 25 mars, jour de la prière hebdomadaire dans les mosquées.
Le 22 mars, le Jamaat-ud-Dawah, une organisation islamique interdite – car suspectée de terrorisme et de liens avec le Lashkar-e-Taiba –, a annoncé avoir émis une fatwa condamnant à mort le pasteur américain et promettant une récompense de 100 millions de roupies (830 000 euros) à son éventuel meurtrier.
Pour les responsables de la communauté chrétienne du Pakistan, qui représente environ 1,6 % de la population du pays, cet incident intervient à un moment particulièrement délicat. Après l’assassinat du gouverneur de la province du Pendjab puis celui du ministre fédéral des Minorités, qui, tous deux, l’un musulman, l’autre catholique, s’étaient prononcés en faveur d’une révision des lois anti-blasphème (2), le pays semble incapable de stopper la montée de l’islamisme et du fanatisme religieux. Les milieux libéraux, devenus très minoritaires, n’osent plus prendre position sur la place publique et les minorités religieuses, qu’elles soient chrétiennes, hindoues ou ahmadi, vivent dans la peur d’attaques les prenant pour cible.
Selon Mgr Saldanha, « le fondamentalisme ou l’extrémisme est déplorable dans toutes les religions, quelles qu’elles soient, et constitue une menace pour la paix et l’harmonie entre les croyants. Les religions ont coexisté durant des siècles. Des personnes de religions différentes ont appris les unes des autres. Plus encore, ce qui est commun entre les différentes confessions religieuses est plus important que ce qui les sépare ». C’est pourquoi, poursuit l’évêque dans son communiqué, il est important que « chacun travaille à rechercher la paix plutôt qu’à verser de l’huile sur le feu. (…) Dans cette quête, la communauté chrétienne se tiendra aux côtés de la communauté musulmane ».
Le responsable de la communauté catholique du Pakistan ne cache pas son inquiétude : « Par le message même de leur foi, les chrétiens sont tenus de respecter les personnes, tant dans leur être que dans la foi qui est la leur. Par conséquent, les chrétiens du Pakistan, qui sont des citoyens respectueux de la loi et représentent une communauté marginalisée, condamnent cet incident dans les termes les plus fermes. Nous demandons que le gouvernement des Etats-Unis d’Amérique traite cet acte de provocation selon les termes de la loi. »
L’affaire survient dans le contexte tendu des relations entre les Etats-Unis et le Pakistan, avec, ces dernières semaines, l’arrestation puis la libération contestée d’un employé de la CIA ; celui-ci avait été arrêté à Lahore après avoir tué deux hommes qui, selon lui, cherchaient à l’agresser pour le dévaliser.
Par ailleurs, dans la soirée du 21 mars, à Hyderabad, dans la province du Sind, deux chrétiens ont été abattus par des musulmans. Appartenant à une communauté protestante liée à l’Armée du Salut, les deux chrétiens étaient sortis de leur église pour demander à un groupe de musulmans de respecter le recueillement de leur lieu de culte en faisant moins de bruit ; une dispute s’ensuivit et, peu après, les musulmans, revenus armés, ont tiré sur Younis Masih, 47 ans, et Jameel Masih, 22 ans, les tuant sur le coup. La police locale s’est montrée peu coopérative et désireuse d’enquêter sur ces meurtres. Cependant, rien n’indique que cet incident puisse être relié à l’affaire de la profanation du Coran.