Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – « Malheureusement, le nombre d’opportunistes a augmenté » – interview accordée par Savio Hon Taifai à L’Avvenire –

Publié le 06/04/2011




Le 1er avril 2011, le quotidien L’Avvenire, journal de la Conférence des évêques catholiques d’Italie, a publié l’interview ci-dessous de Mgr Hon Tai-fai, secrétaire de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Dans cet entretien mené par le vaticaniste de L’Avvenire, Gianni Cardinale, Mgr Hon livre sans détour son analyse de la situation en ce qui concerne les relations entre la Chine et le Saint-Siège. La traduction française de ce texte est tirée du site www.chiesa.espressonline.it.

Mgr Hon, quelles ont été les réactions à votre nomination, dans votre patrie?

Elles ont été très positives à Hongkong. J’ai également reçu beaucoup de félicitations venant de communautés et d’évêques de Chine continentale. Ils ont considéré ma nomination comme un authentique cadeau de Noël de la part du pape.

Et comment ont réagi le gouvernement chinois et les organismes officiels de l’Eglise ?

Il n’y a eu aucune réaction de leur part. C’est peut-être mieux ainsi ; comme le dit l’adage : « Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ». Ils n’ont voulu porter aucun jugement, ni positif, ni négatif. Cela me paraît être un comportement de prudente expectative.

Vous avez beaucoup voyagé en Chine continentale. À quand remonte votre dernier voyage ?

Je me suis rendu à Shanghai du 8 au 13 décembre dernier. Justement au moment où se déroulait la huitième assemblée des représentants catholiques chinois qui a eu lieu à Pékin du 7 au 9 de ce mois.

Quels jugements avez-vous entendus à ce sujet ?

Les amis et les étudiants avec qui j’en ai parlé étaient tous très critiques. Il est possible que certains d’entre eux y aient été favorables, mais en tout cas ils n’ont pas voulu le dire devant moi. J’ai également discuté avec ceux qui sont revenus de Pékin. Eux aussi se sont montrés critiques dans leurs conversations avec moi. Et ils disaient qu’ils avaient subi d’énormes pressions pour participer à l’assemblée.

A cette occasion le Saint-Siège a publié un communiqué très dur…

C’est vrai. Toutefois je dois dire que ceux qui y ont participé n’ont pas tous été contraints à le faire. Certains l’ont fait spontanément, de même qu’ils adhèrent spontanément à la politique d’« autonomie » de l’Eglise de Chine par rapport au pape et au Saint-Siège.

Y compris parmi les évêques ?

Y compris parmi les évêques, malheureusement, et même parmi ceux qui ont été reconnus par Rome. A Pékin, un bon nombre d’entre eux s’est précipité chez le nouvel évêque de Chengde, consacré illicitement quelques semaines auparavant, pour le féliciter et pour se faire photographier avec lui. Cela, ils n’étaient pas obligés de le faire. En résumé : 45 évêques, dont l’âge moyen était inférieur à 50 ans, ont participé à cette assemblée. Certains y ont été conduits de force, d’autres non.

Et quelles conclusions tirez-vous de cette constatation ?

Que malheureusement le nombre d’opportunistes a augmenté.

Et à quoi est-ce dû ?

A un manque de formation adaptée au sein du clergé. Mais également à certaines lacunes dans le choix des candidats à l’épiscopat. Dans certains cas on n’a pas promu les meilleurs, mais on a préféré des nominations de compromis. Désormais, depuis quelques années, les dirigeants chinois ont en effet compris que les évêques illégitimes ne seraient jamais vraiment acceptés par les fidèles. C’est pourquoi ils préfèrent travailler à ce que des prêtres fidèles à leurs indications soient consacrés évêques avec le ‘placet’ du Saint-Siège.

Donc vous considérez qu’il faut une meilleure formation des candidats au sacerdoce et un discernement plus attentif de la part du Saint-Siège dans le choix des candidats à l’épiscopat. Est-ce que cela veut dire que, au cours des dernières années, il n’en a pas toujours été ainsi ?

Cette opinion n’est pas seulement la mienne. J’ai souvent entendu, en Chine continentale, des fidèles et des prêtres qui se plaignaient du choix d’évêques de compromis. Cependant, je dois ajouter que le Saint-Siège a toujours eu, à juste titre, le souci d’éviter des ordinations illégitimes.

Et il est difficile de trouver un équilibre entre cette exigence et celle d’éviter des ordinations légitimes mais de compromis.

C’est bien cela, en effet. Choisir de bons candidats est difficile. Le gouvernement considère qu’en présentant des listes de candidats acceptables de son point de vue, il fait déjà une grande concession. Et, en cas de refus du Saint-Siège de donner son ‘placet’, il menace de les faire consacrer quand même…

Comme cela s’est passé en novembre dernier à Chengde.

Oui. Pour moi le message a été clair, le gouvernement a voulu dire : chez moi, c’est moi qui commande. Un signal qui nous a presque fait revenir aux années Cinquante, comme si certains signes de dialogue, qui ont pourtant été enregistrés, n’avaient jamais existé.

Comment reprendre ce dialogue ?

Le gouvernement chinois a des fonctionnaires très bien formés et habiles à négocier. Par conséquent, il faut qu’il en soit de même en ce qui concerne les interlocuteurs de notre côté. Avant tout, cependant, il faudrait comprendre si le gouvernement a véritablement envie de trouver un accord avec le Saint-Siège, ou non.

Sur ce point et sur d’autres, il y a divergence d’opinions entre deux grands connaisseurs de la Chine : le cardinal Joseph Zen Ze-kiun et le P. Jeroom Heyndrickx. Que pensez-vous de leur débat ?

Le P. Heyndrickx part de deux présupposés. Le premier est que le gouvernement chinois a de bonnes intentions, y compris celle de signer un accord avec le Saint-Siège. Le second est que, après la lettre adressée par le pape aux catholiques chinois en 2007, ce que l’on appelle les communautés clandestines n’ont plus de raison d’exister. D’autre part le cardinal Zen, qui connaît très bien la réalité et la mentalité chinoise, ne fait guère confiance aux autorités communistes. Il considère, à juste titre, que si le gouvernement veut susciter cette confiance, il doit accomplir des actes concrets. Or, jusqu’à présent, on n’en a pas vu. Par exemple, il doit laisser à l’Eglise la liberté de choisir ses évêques. De plus, le cardinal Zen – et je suis d’accord avec lui – considère que les communautés clandestines ont encore des raisons d’exister.

Une dernière question. Pourquoi l’excommunication n’a-t-elle pas été déclarée pour les évêques qui ont été ordonnés illicitement ainsi que pour ceux qui les ont consacrés ?

En réalité, l’excommunication immédiate est prévue pour ceux qui reçoivent et pour ceux qui confèrent une ordination illégitime. Cependant il peut y avoir des circonstances atténuantes, par exemple pour ceux qui sont contraints de jouer un rôle dans ces cérémonies. Je crois que le Saint-Siège, avant de déclarer publiquement l’excommunication, est en train d’enquêter sur les cas individuels, pour vérifier si ces circonstances atténuantes existent. Mais il s’agit d’un processus délicat et long, on le comprend.

Que pensez-vous de ces évêques illégitimes ?

Il y a des cas de candidats qui se font consacrer évêques illicitement avec l’arrière-pensée que, au bout d’un temps assez bref, sur leur demande instante, le Saint-Siège leur accordera son pardon et la pleine légitimité. Il faut être attentif à lutter contre ce type de calculs. Toutefois, cela dit, il faut toujours se rappeler que l’Eglise est le Corps du Christ et que, s’il y a un petit morceau de ce Corps qui est en train de s’en détacher, il faut non pas le laisser s’en aller mais essayer de le récupérer, avec justice mais aussi avec miséricorde.