Eglises d'Asie – Chine
Pékin prépare l’ordination illégitime – car non approuvée par Rome – d’un évêque « officiel » pour le diocèse de Wuhan
Publié le 01/06/2011
Si cette cérémonie a bien lieu, le P. Shen deviendra le deuxième évêque illégitime – car non reconnu par le pape – à être ordonné en Chine depuis l’ordination de l’évêque de Chengde (province du Hebei) le 20 novembre 2010 (2).
Dans la province du Hubei, où tous les sièges épiscopaux sont vacants depuis le décès, le mois dernier, de l’évêque de Yichang (3), la situation est tendue. Les informations disponibles font état des fortes pressions exercées sur les prêtres qui tentent de faire valoir les principes de l’Eglise catholique face aux autorités qui cherchent à les « convaincre » de la nécessité de l’ordination épiscopale du P. Shen. Dans les provinces voisines, des évêques « officiels » font aussi état des pressions exercées sur eux pour qu’ils acceptent d’aller ordonner évêque le P. Shen.
Né en 1961, le P. Shen a été ordonné prêtre en 1988. Il fait partie de la première classe de séminaristes à avoir été ordonnés prêtres après la réouverture, en 1983, du séminaire régional de Wuhan. De 1988 à 1998, il a servi comme curé de paroisse dans le diocèse de Puqi avant de revenir à Wuhan. Vice-président de la section provinciale de l’Association patriotique des catholiques chinois, c’est lui qui avait été choisi en 2008 pour devenir le futur évêque de Wuhan. Ce choix avait été fait à la suite d’une « élection » menée par les autorités chinoises, élection que Rome n’a pas voulu entériner.
Avec la probable ordination illégitime du P. Shen, le diocèse de Wuhan revient au cœur de la difficile relation entre l’Eglise catholique et Pékin. En 1958, en effet, un an après la création de l’Association patriotique des catholiques chinois, furent ordonnés pour les diocèses de Hankou et de Wuchang les deux premiers évêques « auto-élus et auto-consacrés » de Chine, geste qui signait la volonté de Pékin de couper les catholiques chinois de leurs liens avec l’Eglise universelle. Bien des années plus tard, en 1984, le pape Jean Paul II réintégra l’évêque de Hankou, Mgr Bernardin Dong Guangqing (1917-2007), dans la communion ecclésiale. Quant au diocèse de Wuhan, il devint au début des années 1990 le symbole d’une unité possible entre « officiels » et « clandestins » lorsque l’évêque clandestin de Hanyang, Mgr Petrus Zhang Boren (Chang Bai Ren), et l’évêque « clandestin » de Hankou, Mgr Odoric Liu Hede, « firent surface » pour se réconcilier avec Mgr Bernardin Dong. L’évêque « clandestin » de Wuchang, Mgr Antoine Yang Shaohuai, les rejoignait peu après dans cette démarche (4). Après le décès de tous ces évêques et la perspective d’une nouvelle ordination épiscopale illégitime, Wuhan se retrouve donc à nouveau au cœur de l’actualité catholique en Chine.
Selon Anthony Lam Sui-ki, chercheur au Centre d’études du Saint-Esprit à Hongkong et observateur de longue date de l’Eglise en Chine, l’ordination du P. Shen, si elle a lieu, ne peut que créer de graves difficultés. « Toutes les parties en présence y perdront », met-il en garde. Selon lui, le gouvernement ne gagnera rien à semer ainsi la division au sein de l’Eglise ; le nouvel évêque se trouvera dans une situation intenable, menacé des sanctions que prévoit le Code de droit canonique de l’Eglise catholique et devant faire face à la désapprobation des fidèles de Wuhan et de l’Eglise en Chine vis-à-vis d’un des leurs qui aura accepté de trahir l’Eglise en enfreignant la communion ecclésiale. Selon le témoignage de catholiques de Wuhan, le P. Shen, outre le fait qu’il n’est pas le candidat idoine pour le siège épiscopal de Wuhan et qu’il ne dispose pas du mandat pontifical, ne souhaiterait pas lui-même devenir évêque, mais, malgré cela, les autorités chinoises préparent son ordination épiscopale pour le 9 juin.
Après l’ordination illégitime de l’évêque de Chengde, en novembre 2010, le Saint-Siège avait réagit en disant « le profond regret » éprouvé par le pape à cette nouvelle. L’ordination constituait « une blessure douloureuse » faite à la communion de l’Eglise et « une violation grave de la discipline catholique ». Quant aux pressions exercées sur les évêques qui avaient pris part à la cérémonie d’ordination, le Saint-Siège parlait de « violation grave de la liberté de religion et de la liberté de conscience ». Plus de six mois après l’ordination de Chengde, Rome continue d’étudier les circonstances exactes de l’ordination de l’évêque de Chengde et se garde pour l’heure de prononcer des sanctions canoniques. On peut penser que si l’ordination du P. Shen a bien lieu, la cérémonie et son contexte seront étudiés de près et que la réaction publique du Saint-Siège sera vive. Le 18 mai dernier, en appelant les chrétiens du monde entier à prier pour l’Eglise en Chine, le pape Benoît XVI invoquait la Vierge Marie, lui demandant « d’éclairer ceux qui sont dans le doute, de ramener les égarés, de consoler les affligés, de fortifier ceux qui sont empêtrés dans les flatteries de l’opportunisme » (5).