Eglises d'Asie

Dans un contexte tendu, l’ordination illégitime de l’évêque de Wuhan est reportée sine die par Pékin

Publié le 10/06/2011




 L’ordination du P. Joseph Shen Guo’an, 50 ans, pour le diocèse de Wuhan (provinde du Hubei ), aurait dû avoir lieu aujourd’hui. Désigné pour ce poste depuis 2008 par les autorités chinoises qui maintenait sa candidature avec détermination en dépit de la contestation de sa validité par Rome, le prêtre a confirmé lui-même la nouvelle, ajoutant « avoir été informé » de la décision du report de la célébration, mais ne pas en connaître les raisons.

Cela faisait déjà quelques jours que l’information selon laquelle l’ordination était reportée sine die avait été communiquée aux évêques des diocèses voisins, lesquels étaient pourtant soumis depuis des semaines à des pressions considérables de la part des autorités pour se rendre à la cérémonie et accepter d’y concélébrer. Avec la discrétion de rigueur, chacun d’entre eux a assuré ne pas avoir été informé des motifs de cette annulation à la dernière minute.

L’affaire semblait pourtant n’être qu’une simple formalité. Les échanges avaient été vifs entre Pékin et le Saint-Siège et les positions des deux parties exposées clairement (1). Le Vatican avait assuré de son soutien « tous ceux qui [en Chine] rencontraient des difficultés pour professer librement leur foi » et incité « l’Eglise en Chine à demeurer (…) une, fidèle et ferme dans la doctrine et la discipline ecclésiale ». Les responsables de l’Association patriotique des catholiques chinois, l’organe du gouvernement qui encadre l’Eglise en Chine, avaient réaffirmé de leur côté que le Vatican n’avait pas à intervenir dans l’élection et l’ordination des évêques, lesquelles « n’appelaient pas un éventuel accord du pape ».

L’ordination de l’évêque de Wuhan prévue le 9 juin s’inscrivait donc dans un contexte tendu, suite prévisible du changement d’attitude de la Chine vis-à-vis du Saint-Siège amorcé avec l’ordination illégitime de l’évêque de Chengde en novembre dernier. Après une dizaine d’ordinations qui avaient eu lieu en Chine au cours de l’année 2010, menées avec l’approbation du Vatican et du gouvernement chinois, la consécration le 20 novembre 2010 du P. Joseph Guo Jincai sans mandat pontifical avait brutalement stoppé « les relations constructives qui avaient été menées ces derniers temps entre la République populaire et le Saint-Siège ». La condamnation par le Vatican avait été immédiate : exprimant « sa grande tristesse » pour « la blessure douloureuse » infligée à la communion ecclésiale, le Saint-Siège avait également dénoncé les « violations graves de la liberté de religion et de conscience » qui avaient entouré la cérémonie où la plupart des évêques avaient dû assister manu militari (2).

Cette ordination illégitime avait précédé de peu la convocation à Pékin par les autorités chinoises de la Huitième Assemblée nationale des représentants catholiques, instance également non reconnue par l’Eglise catholique. Malgré les exhortations de Benoît XVI à résister « avec courage » aux pressions du gouvernement, bon nombre d’évêques, dont certains ordonnés avec l’accord du pape, avaient assisté à l’assemblée qui s’était réunie du 7 au 9 décembre 2010 à Pékin et avait « élu » les responsables des structures officielles encadrant l’Eglise en Chine. Une nouvelle fois, le Vatican avait fait part de « sa profonde douleur » face à des actes « inacceptables et hostiles » (3).

Mgr Savio Hon Tai-Fai, nommé secrétaire de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples peu après ces événements, très au fait de la diplomatie vaticane comme du fonctionnement du Parti communiste chinois, déclarait dans l’Avvenire, en avril dernier, douter que « le gouvernement chinois ait véritablement envie de trouver un accord avec le Saint-Siège ». Dans un contexte de conflit ouvert avec Rome, et alors qu’une dizaine d’autres ordinations sont prévues cette année dont un certain nombre pour des candidats n’ayant pas l’aval pontifical, le report de l’ordination de ce jeudi 9 juin suscite donc des avis partagés.

Certains observateurs y ont vu un recul des autorités chinoises face au Vatican et le souci de « ne pas transgresser les lois de l’Eglise ». Les sceptiques rétorquent que les récents événements ont démontré le peu de cas que faisait Pékin des admonestations du Vatican. Ils soulignent davantage les difficultés auxquelles se heurtent ces derniers temps les autorités chinoises pour maintenir l’ordre sur le territoire. La menace d’une déstabilisation intérieure par les mouvements pro-démocratiques qui en Chine ont suivi la vague du « printemps arabe », a été en effet le prétexte ces mois derniers à un durcissement policier conséquent. Depuis février 2011, une forte répression sévit en Chine continentale, touchant tous les « éléments » considérés par les autorités comme susceptibles de provoquer des troubles, qu’ils soient militants pour les droits de l’homme, intellectuels, artistes, avocats, journalistes, ou encore chrétiens.

Plus récemment, la crainte de nouveaux troubles a conduit les autorités à étouffer toute tentative de commémoration du massacre de Tiananmen. Si à Hongkong, plus de 150 000 personnes se sont rassemblées pour une grande veillée silencieuse le 4 juin dernier, en Chine continentale, aucun événement déplacé n’est venu troubler les préparatifs anxieux du 90e anniversaire de la naissance du Parti communiste chinois.

De plus, le diocèse de Wuhan, chef-lieu de la province du Hubei, présente des particularités qui en font un territoire sensible et peu propice au « parachutage » d’un candidat imposé par Pékin et non validé par Rome. Depuis les années 1990 en effet, ce diocèse atypique est devenu un symbole de la réconciliation possible entre catholiques « clandestins » et catholiques « officiels ». Sur ce territoire où se superposent des structures ecclésiastiques différentes (trois diocèses pour le Vatican mais un seul pour les autorités chinoises), les évêques « clandestins » et leurs communautés avaient réussi à s’entendre et à vivre en bonne harmonie avec l’évêque « officiel » de Wuhan, Mgr Dong. Selon des sources ecclésiastiques locales, l’Eglise du diocèse de Wuhan, qui compte aujourd’hui environ 20 000 catholiques, 25 prêtres officiels et près du double de prêtres clandestins, avait fait part de sa profonde désapprobation du choix de l’évêque qui lui était imposé.

Quant à l’intéressé lui-même, le P. Shen Guo’an, malgré son engagement au sein de l’Association patriotique des catholiques chinois, il semblait ne pas douter des difficultés auxquelles il serait confronté s’il était ordonné évêque de Wuhan et avait signifié à plusieurs reprise ne pas souhaiter prendre ses fonctions épiscopales (4).