Eglises d'Asie

En précisant les sanctions encourues en cas d’ordinations épiscopales illicites, le Saint-Siège a pris soin d’éviter de désigner directement la Chine

Publié le 15/06/2011




 En choisissant L’Osservatore Romano, le journal officiel du Saint-Siège, pour publier, le 11 juin dernier, une déclaration du Conseil pontifical pour les textes législatifs au sujet des ordinations épiscopales illicites, le Vatican a choisi de rappeler clairement les sanctions prévues en la matière par le Code de droit canonique, tout en prenant soin d’éviter de désigner directement la Chine.

Le document en six points publiés par le quotidien italianophone n’a pas été repris par le service d’information officiel du Saint-Siège, la Salle de presse du Saint-Siège, et il n’a pas été non plus mis en ligne sur le site Internet du Vatican. Aucune version officielle en chinois n’a été rendue publique et c’est seulement par le biais de Radio Vatican que son directeur, le P. Federico Lombardi, a rendu public un résumé en chinois de la déclaration du Conseil pontifical pour les textes législatifs (1). Le fait que le P. Lombardi assume simultanément les fonctions de directeur de Radio Vatican et de directeur de la Salle de presse du Saint-Siège indique cependant que la déclaration du 11 juin était bien notamment destinée à la Chine et aux catholiques chinois.

Le document du Conseil pontifical pour les textes législatifs est daté du 6 juin dernier, soit trois jours avant l’ordination annoncée et finalement reportée au dernier moment du P. Shen Guo’an au titre d’évêque du diocèse de Wuhan (2). Le P. Shen ne disposait pas – et ne dispose toujours pas – du nécessaire mandat pontifical pour être ordonné évêque en pleine communion avec l’Eglise universelle. Avant même le report sine die de l’ordination du P. Shen, le Saint-Siège tenait donc à préciser la juste application du canon 1382 du Code de droit canonique relatif aux ordinations épiscopales sans mandat pontifical.

En préambule, le dicastère romain en charge des textes de loi justifie cette déclaration en rappelant qu’au cours « des dernières décennies, différentes ordinations épiscopales sans mandat pontifical ont eu lieu dans plusieurs pays », rompant « la communion avec le pape » et « violant de manière grave la discipline ecclésiastique ». « S’agissant d’une question très importante et délicate, le Saint-Siège lui a toujours donné une grande attention, mettant tout en œuvre pour empêcher que des consécrations épiscopales illégitimes aient lieu », peut-on encore lire. C’est pourquoi le Conseil pontifical pour les textes législatifs a mené une étude approfondie de la problématique, liée à la juste application du canon 1382 du Code de droit canonique, « avec une référence particulière à la responsabilité canonique des personnes engagées dans une consécration épiscopale sans le nécessaire mandat apostolique ».

L’agence Zenit explicite la note publiée par le P. Lombardi sur Radio Vatican. Le directeur de la Salle de presse du Saint-Siège a rappelé « la gravité d’une ordination épiscopale sans mandat du pape, comme un fait qui blesse profondément la communion dans l’Eglise catholique, et qui est donc sanctionnée par la peine la plus grave de l’excommunication, qui touche non seulement la personne ordonnée mais aussi celui qui accomplit la consécration et celui qui participe comme co-consacrant ». C’est une excommunication latae sententiae, a expliqué le P. Lombardi, qui n’a donc pas besoin d’être « imposée explicitement par un juge ».

Par ailleurs, a encore précisé le P. Lombardi, il peut y avoir des circonstances atténuantes comme « une peur grave » ou « la violence physique » : à ce moment-là, « l’excommunication ne s’applique pas » mais ces circonstances atténuantes sont vérifiées pour chaque personne intervenant dans le rite. Dans tous les cas, « le fait objectif grave de l’ordination sans mandat du pape crée scandale, désorientation, division entre les fidèles », a explicité le P. Lombardi. « Ce sont des inconvénients graves qui ne peuvent être sous-évalués et qui demandent donc des actes significatifs de reconstruction de la communion ecclésiale et de pénitence. » Il a rappelé que les personnes excommuniées « et qui en sont conscientes » ne peuvent participer à la célébration de l’eucharistie et à l’administration des sacrements, ni accomplir des actes de gouvernement.

« Si la situation le demande, pour réparer le scandale et rétablir la communion, le Saint-Siège peut infliger des censures ou des sanctions (jusqu’au point de déclarer explicitement l’excommunication). » Bien sûr, « la finalité de ces peines est toujours de conduire au repentir et à la réconciliation ». Une personne qui se repentit « sincèrement » a « le droit d’être absoute, même d’une excommunication », a-t-il enfin précisé. Mais, dans le cas d’une ordination épiscopale sans mandat pontifical, « cette absolution ne peut être donnée que par le Saint-Siège ».

Pour Anthony Lam Sui-ki, chercheur au Centre d’études du Saint-Esprit à Hongkong, la déclaration du dicastère romain est « bienvenue » dans la mesure où, si elle n’est pas spécifiquement destinée au cas chinois, elle constitue un rappel emprunt de « sollicitude » à tout membre du clergé catholique de par le monde de ne pas se mettre en contradiction avec le droit canon. Pour la vaste majorité des catholiques chinois, qui « sont fermement attachés à maintenir la communion avec le successeur de Pierre », ce texte représente « un encouragement » car « une seule ordination illégitime est une ordination de trop et nous ne voulons pas que cela se reproduise », a expliqué le chercheur. Le rappel des sanctions prévues par le droit canon est « une clarification importante, notamment face à l’attitude de certains candidats à l’épiscopat en Chine qui cherchent des raccourcis en se faisant ordonner dans un premier temps pour solliciter plus tard le mandat pontifical ». « Désormais, les fidèles disposeront d’un texte clair pour distinguer entre ce qui est bien et ce qui ne l’est pas et certains membres du clergé ne pourront plus chercher à louvoyer », a conclu Anthony Lam.

Selon Kwun Ping-hung, qui, depuis Hongkong, suit de longue date les affaires de l’Eglise en Chine, il ne fait pas de doute qu’en publiant ce document, le Saint-Siège a voulu prendre les devants pour mettre les choses au clair face à la dizaine d’ordinations épiscopales qui sont en préparation afin de pourvoir des sièges épiscopaux « officiels » en Chine. Sans citer directement la Chine, Rome rappelle que le droit canon existe tout en maintenant ouverts les voies d’un éventuel dialogue avec Pékin. « Compris ainsi, le principal objet de cette déclaration est d’inviter poliment mais fermement les catholiques chinois, clercs ou laïcs, à boycotter les éventuelles futures ordinations épiscopales menées sans mandat pontifical », explique Kwun Ping-hung, qui précise que, sur le fond, rien n’est réglé entre Pékin et Rome quant à la nomination des évêques.