Eglises d'Asie

Les pêcheurs catholiques de Kalpitiya manifestent contre l’aménagement en zone touristique de leur lagon qui met en péril les fonds marins et leur propre survie

Publié le 15/06/2011




Sur la côte nord-ouest du Sri Lanka, dans le district de Puttalam, la presqu’île de Kalpitiya, avec ses multiples petites îles connues pour abriter une faune et une flore sous-marine d’exception, s’étend entre l’océan Indien et le lagon de Puttalam. Ces richesses naturelles et le potentiel touristique de ces îles que le gouvernement sri-lankais a décidé de développer…

 … par des projets difficilement compatibles avec la protection d’écosystèmes fragiles, sont à l’origine des fortes tensions qui ont éclaté ces derniers mois parmi les populations de pêcheurs de Kalpitiya. Menacés de disparition tout comme l’environnement dont ils dépendent pour leur survie, les pêcheurs se voient dépouillés de tout droit de propriété et de pêche. Sur la presqu’île de Kalpitiya et les 14 îles qui l’entourent, toutes concernées par les projets d’aménagement touristiques, plus de 10 000 personnes qui n’ont que la pêche comme moyen de subsistance se voient refuser l’accès à leurs lieux de pêche traditionnels depuis des mois. Certaines familles ont déjà renoncé et se sont exilées pour ne pas mourir de faim.

Sur la petite île de Mohothhuwaram, où vivent près de 140 familles de pêcheurs, les militaires de la marine sri-lankaise ont installé des barbelés tout autour des terrains cédés aux investisseurs par le gouvernement, bloquant l’accès aux plages et aux lieux de pêche. Samedi 11 juin dernier, à Mohothhuwaram, plus de 300 villageois catholiques avec leurs prêtres ont participé à une manifestation silencieuse, portant des banderoles dénonçant les spoliations de terrains dont ils sont victimes. Cette fois, c’est de leur église ainsi que des terrains qui l’entourent dont ils ont été spoliés. Le P. Vincent Antony Jeyarasa, curé de l’église Notre-Dame de Bon Port à Kalpitiya, raconte que le territoire de la paroisse a été saisi et que des travaux de drainage bloquent actuellement l’accès à l’édifice. Le P. Abraham Barnaba, directeur de la Caritas du diocèse de Chilaw, explique quant à lui : « Nous sommes impuissants car nous ne pouvons produire les titres de propriété originaux pour faire valoir nos droits, malgré nos demandes répétées auprès des autorités compétentes. » Avec l’ensemble des manifestants, il reste convaincu que les investisseurs privés ont fait disparaître les documents. « Même notre liberté religieuse, celle de pratiquer notre culte, ils ne la respectent pas ! », s’indigne Dinesh Suranjan Fernando, secrétaire général de l’All Ceylon Fisher Folk Union qui milite depuis des mois pour le retrait du projet.

Ce dernier, lancé dès 2008 à grands renforts médiatiques par le Ceylon Tourist Board, vise à faire de Kalpitiya et de ses îles « le plus important complexe touristique » du Sri Lanka. Plus de 17 hôtels de luxe sont prévus, dont une partie est en construction et certains ont déjà ouverts cette saison. Des guest-houses, restaurants et clubs de kitesurf se sont déjà installés à la périphérie des futurs hôtels. Le Kalpitiya Integrated Development Project (KITDP) promet également l’établissement d’un gigantesque complexe sous-marin marin installé dans le fond du lagon pour accueillir des milliers de visiteurs, les reliant directement à leurs hôtels depuis la surface. Pour desservir ce qui est destiné à devenir « la Merveille de l’Asie », selon les termes du président Mahinda Rajapaksa dont l’objectif est « d’élever le pays au rang de destination la plus convoitée d’Asie du Sud d’ici 2018 », la ligne de ferry entre l’Inde et le Sri Lanka vient de ré-ouvrir après trente ans d’interruption due à la guerre civile (1).

Les brochures de présentation de l’Officie du tourisme sri-lankais et les sites internet du KITDP vantent les beautés de la « réserve marine de Kalpitiya », sa mangrove unique, ses récifs de corail abritant de multitude de poissons tropicaux et son lagon où l’on peut découvrir dauphins et tortues marines. Mettant en avant « la préservation de la nature » sans en préciser les modalités, elles présentent « 14 îles d’exception pour de nouveaux hôtels éco-friendly » qui « procureront à la population locale des emplois, des ressources financières aux pêcheurs et amélioreront la situation économique de Kalpitiya » (2).

Une vision idyllique qui est dénoncée autant par les pêcheurs que par l’Eglise catholique, très présente dans cette partie de l’île (3), ou encore les défenseurs des droits de l’homme et les associations de militants pour l’environnement, appelés à la rescousse par les populations de Kalpitiya. Les 4 et 5 juin dernier, une délégation d’experts étrangers agissant sous l’égide de la Fimarc (International Federation of Rural Adult Catholic Movements) est venue inspecter la zone de Kalpitiya. Le rapport de ces représentants venus de Corée du Sud, de Thaïlande, des Philippines et d’Inde est sans appel : le lagon est promis à une destruction certaine si le projet se poursuit en l’état, et surtout les atteintes aux droits de l’homme sont flagrantes envers les pêcheurs, qui n’ont été consultés à aucun moment et dont les biens, les terres et les moyens de subsistance ont été retirés de façon totalement illégale et sans leur laisser la possibilité d’exprimer leurs droits. Par ailleurs, un groupe de pression, le National Fisheries Solidarity Movement (NAFSO), s’est constitué pour permettre aux pêcheurs de former un lobby pour défendre leurs droits.

Kalpitiya n’est pourtant pas la première à faire face aux intérêts croisés du tourisme et de la pêche traditionnelle. Ces précédents ont été rappelés à plusieurs reprises lors de séminaires de sensibilisation et dans les requêtes adressées au gouvernement ces mois derniers. La mainmise des investisseurs sur des terrains pour des projets semblables avait déjà eu pour conséquence la destruction de forêts de mangrove et d’autres écosystèmes fragiles des côtes du Sri Lanka, comme le lagon de Negombo, au nord de Colombo, où les pêcheurs avaient lutté pour empêcher l’installation d’une base pour hydravions destinée à promouvoir le tourisme (4).

« Nous sommes pour le développement touristique du pays mais pas en perdant notre gagne-pain », explique Fernando, pêcheur à Kalipitya, lors d’un meeting réunissant les habitants des sites concernés par le projet touristique. « Nous avons été dépossédés illégalement de nos huttes de pêche, de nos terrains et même de nos cimetières. Nous ne pouvons plus avoir accès à nos points de mouillage ni à nos places de pêche à la senne, que ce soit sur la plage ou en mer. Et pourtant nous les utilisons depuis des générations et nous payons notre permis de pêche tous les ans au gouvernement. Sommes-nous encore des citoyens du Sri Lanka ou seulement des ‘sans-droits’ ? », interroge le pêcheur (5).

Les pêcheurs en catamaran (pirogue à balancier) ont expliqué pour leur part qu’ils ne pouvaient plus pénétrer dans le lagon, qui a été bouclé par les complexes hôteliers, alors qu’en période de mousson, leur type d’embarcation et leur méthode de pêche ne leur permet pas d’aller en haute mer. « Les pêcheurs en catamaran sont les plus pauvres d’entre nous et, cette année, ils n’ont pas pu utiliser le lagon et nourrir leur famille, a conclu un pêcheur également de Kalipitiya. Le lagon est notre mère nourricière à tous et nous devons le protéger » (6).