Eglises d'Asie – Chine
POUR APPROFONDIR – L’Eglise de Chine va-t-elle vers un schisme ?
Publié le 25/07/2011
… l’idée qu’une partie des catholiques chinois souhaite se séparer de l’Eglise universelle. Le journaliste italien rappelle qu’en 1958, après les premières ordinations illicites menées par Pékin, le pape n’a employé qu’à une seule occasion le terme de ‘schisme’, des missionnaires étrangers lui ayant fait part des terribles pressions endurées par les catholiques de Chine et du désir profond de ces de ceux-ci de demeurer en communion avec le successeur de Pierre. Plus d’un demi-siècle après, l’histoire semble se répéter. L’article de Gianni Valente a paru le 15 juillet 2011 sur Vatican Insider, le site Internet de La Stampa qui suit l’actualité de l’Eglise. La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie.
Même l’appel du cardinal Joseph Zen Ze-kiun au président Hu Jintao et au Premier ministre Wen Jiabao, leur demandant de stopper leurs « fonctionnaires voyous » venus soutenir « la fange de l’Eglise », n’a pas réussi à éviter l’énième annonce d’une nouvelle ordination illégitime, celle du futur évêque catholique de Shantou, dans la province du Guangdong.
Ce matin à 9 heures, comme prévu, Joseph Huang Binzhuang, 44 ans, a été sacré évêque avec l’approbation du gouvernement, mais sans le consentement du pape et contre les préconisations du Saint-Siège. Pour lui aussi, une note du Vatican prononce son excommunication automatique.
Les huit évêques qui ont pris part à la consécration sont tous reconnus par le pape et étaient, jusqu’à aujourd’hui, en pleine communion avec le Saint-Siège à Rome. Ces derniers jours, certains d’entre eux ont été enlevés de leurs résidences respectives, sur ordre des autorités civiles qui mènent la politique religieuse du régime, afin de les contraindre à participer à cette cérémonie, contraire à toutes les lois du droit canon de l’Eglise catholique.
Depuis l’affaire de Shantou, les responsables de la politique religieuse poursuivent le programme prévu, préparant déjà l’étape suivante. Dans quelques jours, ce sera probablement le tour du diocèse de Harbin. Là, dans le chef-lieu de la province du Heilongjiang, ont déjà commencé les préparatifs pour célébrer une future ordination épiscopale sans consentement du Saint-Siège.
Le candidat qui va devenir un nouvel évêque illégitime de l’Eglise catholique en Chine est Joseph Yue Fusheng, un prêtre âgé de 47 ans qui, il y a quelques années, a été impliqué dans une bagarre où il a perdu une oreille. Il a été nommé par les représentants du diocèse, après les habituelles élections pseudo-démocratiques, sous le strict contrôle du gouvernement. Mais il ne recevra pas le mandat apostolique, c’est-à-dire l’approbation du pape. Ou plutôt, pourra lui être envoyé de Rome un message l’informant qu’à son tour il est frappé de la sanction canonique immédiate et automatique de l’excommunication. La même que celle prononcée à l’encontre de Paul Lei Shiyin, le nouvel évêque illégitime de Leshan, consacré le 29 juin dernier.
Avec les trois ordinations épiscopales illégitimes imposées par le régime chinois au cours des neuf derniers mois (avant celles de Leshan et Shantou, il y eut celle de Chengde le 20 novembre 2010), celles qui se profilent déjà à l’horizon apparaissent à ce stade comme les prodromes d’un tsunami politico-ecclésiastique aux conséquences potentiellement dévastatrices.
Plusieurs facteurs conditionnent et déterminent un scénario où chaque étape ne fait qu’accentuer la crise. Au sommet du pouvoir en Chine, chacun se prépare à la succession prévue en 2012 de l’équipe dirigeante actuellement en poste. Tout est gelé dans l’attente de la nomination des nouveaux dirigeants, toutes les énergies sont concentrées sur la mise au point des alliances de pouvoir et, dans cette phase d’instabilité, personne ne veut assumer la responsabilité de rouvrir les canaux officiels du dialogue avec le Vatican, après que les intenses négociations de ces dernières années aient fini dans l’impasse, sans accord signé.
Dans cette situation de stand by, les fonctionnaires qui dirigent la politique religieuse sont revenus à l’application bureaucratique et mécanique des protocoles habituels – ceux qui président aux ordinations épiscopales organisées sans « interférence » du Vatican –, et au respect des slogans éculés sur l’indépendance « patriotique » auxquels les différentes organisations religieuses du pays sont tenues d’adhérer.
La feuille de route est de pourvoir progressivement les quarante sièges épiscopaux aujourd’hui vacants. De son côté, Rome ne parvient pas comment dépasser le black out touchant les canaux de communication ouverts dans le passé entre l’ambassade de Chine en Italie et le Saint-Siège, canaux qui avaient été utiles pour faciliter les nombreuses nominations intervenues ces dernières années avec le consentement mutuel de Pékin et du Saint-Siège.
Et pourtant, si l’on regarde la communication intra-ecclésiale, une abondante information avait été envoyée par le Saint-Siège aux pasteurs de l’Eglise en Chine sur cette question délicate. Avec la déclaration du Vatican du 4 juillet dernier qui a suivi l’ordination épiscopale illégitime de Leshan, le Saint-Siège a, pour la première fois depuis les ordinations « indépendantes » de 1958 imposées par les dirigeants maoïste, déclaré l’excommunication latae sententiae d’un évêque illégitime de l’Eglise en Chine.
Comme mentionné plus haut, la même sanction est susceptible d’être adoptée envers l’évêque illégitime de Shantou, celui de Harbin et tous ceux qui pourraient être prochainement consacrés sans mandat pontifical. Ces derniers jours, un nouveau blog ouvert par Fides, l’agence de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, a publié un guide de questions-réponses en chinois et en anglais, destiné à apporter des clarifications sur les conséquences canoniques des dernières déclarations du Vatican au sujet des ordinations illicites.
D’après le texte publié par l’agence Fides, les évêques en communion avec Rome qui ont pris part aux ordinations illégitimes seraient momentanément suspendus pour leur « responsabilité présumée » et ne seraient pas autorisés à administrer licitement les sacrements à leurs fidèles tant que leur prise de position et l’éventualité de circonstances atténuantes n’auront pas été étudiées par le Vatican. Une démarche qui ne fait pas l’unanimité parmi les canonistes, même au sein du Vatican.
L’effet du mécanisme qui a été mis en mouvement aboutira probablement à une croissance rapide et exponentielle du nombre des évêques chinois illégitimes aux yeux du Saint-Siège. En 1962, dans les années qui avaient suivi les « ordinations indépendantes » célébrées par le régime à un rythme industriel, il ne restait en Chine qu’une vingtaine d’évêques à avoir été nommés par Rome avant l’arrivée au pouvoir des communistes, alors que le nombre des évêques nommés par les organismes patriotiques avec l’approbation du gouvernement, mais sans celle du pape, s’élevait à 42.
Après les années terribles de la Révolution culturelle, cette hégémonie de l’épiscopat illicite s’était lentement résorbée, grâce entre autres au chemin de repentance emprunté par nombre d’évêques qui avaient alors déclaré que, dans leur cœur, ils n’avaient jamais renié leur désir de communion avec le Successeur de Pierre. En novembre 2010, parmi les évêques reconnus par le gouvernement chinois, ceux qui n’étaient pas approuvés par Rome n’étaient que 5 sur 80, tous élus lors des dernières années de cette relation sino-vaticane si tourmentée.
Actuellement, le nombre d’évêques illégitimes – dont certains ont été excommuniés coram populo par le Saint-Siège – augmente de façon exponentielle. A brève échéance, il pourrait atteindre un chiffre de 15 ou même 20 nouveaux prélats. Il pourrait y avoir également une augmentation rapide du nombre d’évêques « suspects », appelés à justifier devant les instances vaticanes leur reddition du fait des pressions et des actes de coercition mis en œuvre par le régime afin de les convaincre ou les forcer à participer aux cérémonies d’ordinations illégitimes.
Avec une situation aussi confuse et un contexte de tension et de souffrance, une incompréhension et une méfiance croissantes, des canaux de communications intermittents ou muets entre le Saint-Siège et une grande partie de l’Eglise en Chine, tout semble se conjuguer pour préparer les conditions idéales à l’éclatement d’un schisme.
Dans les années 1950, devant la violence de la politique antireligieuse maoïste, Pie XII, dans son encyclique Ad Apostolorum principis (1958), avait rappelé qu’« une consécration abusive, qui constitu[ait] une atteinte très grave à l’unité de l’Eglise, fai[sait] encourir une excommunication réservée tout spécialement au Saint-Siège ».
Mais le pape n’a jamais utilisé le terme « schisme » pour qualifier les douloureuses vicissitudes de l’Eglise en Chine. Une seule fois seulement, le mot sera prononcé, en tant qu’hypothèse, par son successeur Jean XXIII. Quelques semaines après son élection, dans son discours du 15 décembre 1958 devant les cardinaux, le pape, abordant la question chinoise, s’était adressé « aux faibles, à ceux qui vacillent et hésitent, et plus particulièrement à ceux qui, ayant occupé illégalement la place de saints pasteurs, avaient malheureusement ouvert la porte à un schisme désastreux », ajoutant : « Le mot « schisme », quand nous le prononçons, brûle nos lèvres et afflige notre cœur. »
Les années suivantes, plusieurs missionnaires expulsés de Chine – y compris le grand Bianchi Lorenzo, missionnaire du PIME [Institut pontifical des missions étrangères de Milan] et évêque de Hongkong – avaient parlé au pape des sentiments réels et des souffrances endurées par les chrétiens chinois pour leur foi, l’invitant à utiliser des expressions plus mesurées. « J’ai demandé au pape, écrivait Mgr Lorenzo dans une lettre à Karl Van Melckebeke, missionnaire en Chine pendant trente ans, que le mot de schisme ne soit plus jamais utilisé à l’avenir si le Vatican devait manifester sa désapprobation envers des paroles ou des actions de l’épiscopat chinois. Jean XXIII me l’a promis. Après quoi, autant que je sache, le Vatican n’a plus jamais utilisé cette expression. »
Ce serait un amer paradoxe si l’ombre d’un schisme chinois se profilait au cours du pontificat de Benoît XVI, ce pape qui a tant fait pour refermer les blessures du schisme lefebvriste.