Eglises d'Asie

Mobilisation générale contre le projet gouvernemental de barrage sur l’Irrawaddy

Publié le 29/09/2011




Manifestations interdites à Rangoun, combats violents entre l’armée et les rebelles kachins et aujourd’hui mobilisation massive de la population contre la construction du barrage de Myitsone sur l’Irrawaddy : en une semaine à peine, des événements majeurs ont écorné les promesses de ‘glasnost’ du nouveau régime birman.

L’Irrawaddy, qui irrigue la Birmanie du Nord au Sud, n’est pas seulement son plus grand fleuve, ni sa principale voie commerciale, mais aussi la source de subsistance de la majeure partie de sa population (le delta nourrit plus de 3 millions de personnes et fournit près de 60 % de la production de riz du pays) et enfin le symbole de son « riche patrimoine sacré et culturel ».

Signé en 2005, l’accord entre le ministère birman de l’Energie et la China Power Investment Corporation, l’une des plus grandes entreprises d’électricité chinoise, a prévu la construction dans l’Etat kachin de sept barrages hydroélectriques sur l’Irrawaddy et ses affluents. Le plus important, celui de Myitsone, dont le chantier a débuté en 2009, est destiné à fournir à la Chine entre 3 600 et 6 000 mégawatts (1). Présenté comme « le cinquième plus grand barrage du monde », l’ouvrage est en train d’être édifié à la confluence des rivières Mali et N’Mai où naît l’Irrawaddy, un site considéré comme sacré par la population birmane.

Mgr Saw Po Ray, évêque du diocèse catholique de Mawlamyine et président de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence épiscopale de Birmanie, s’est félicité auprès de l’agence Fides de la récente prise de conscience des enjeux du projet par toute la société birmane : « Ce barrage aura un impact sur l’ensemble de la population, pénalisant les agriculteurs, les pêcheurs, noyant des territoires, avec de sérieuses conséquences pour l’environnement. »

La mobilisation qui est en train de monter contre le barrage a été déclenchée, semble-t-il, par la déclaration, il y a deux semaines, du ministre birman de l’Energie électrique, Zaw Min, dans laquelle il affirmait que son gouvernement poursuivrait jusqu’au bout le projet de barrage, malgré la controverse qui enfle depuis plusieurs mois. Multipliant les concertations, les écologistes et les représentants des différentes religions en Birmanie, dont l’Eglise catholique, ont décidé de faire front commun contre le projet gouvernemental.

Le 24 septembre dernier, plus de 500 responsables des Eglises et des différentes religions de Birmanie, des militants écologistes, des défenseurs des droits de l’homme et de simples citoyens se sont rassemblés à Rangoun pour un séminaire de réflexion sur l’impact du projet de Myitsone. Mgr Lasap Za Hawng, évêque catholique de Lashio, a été impressionné par l’importance de la participation à cette réunion : « Je suis vraiment heureux d’avoir vu travailler ensemble des spécialistes de l’environnement et de simples citoyens, unis pour sauver l’Irrawaddy, même s’ils ne sont pas Kachin et vivent loin du fleuve. »

La première opposition au barrage est née en effet en territoire kachin où le dynamitage des lits des fleuves, l’inondation des villages, des forêts et des cultures, ainsi que le déplacement forcé de milliers d’habitants relocalisés par l’armée dans des zones où ils n’ont aucun moyen de subsistance, a réveillé la colère de la minorité ethnique et de la Kachin Independence Army (KIA), qui a repris les armes contre le gouvernement, après dix-sept ans de cessez-le-feu (2).

Depuis le 23 septembre, les membres de l’organisation rebelle et l’armée birmane s’affrontent dans des combats d’une extrême violence dans la région des barrages en construction, non loin de la frontière chinoise. Aucun écho du conflit n’apparaissant dans les médias officiels, les informations disponibles restent parcellaires et le nombre de morts et de blessés encore inconnu. The Irrawaddy, journal d’opposition, rapporte dans son édition du 28 septembre qu’après une forte offensive de l’armée birmane à l’arme lourde qui a fait reculer les positions de la KIA, les réfugiés civils continuent de fuir en masse les combats mais sont refoulés à la frontière par les autorités chinoises.

Dès le lancement de la construction du barrage de Myitsone, la KIA avait fait savoir au gouvernement que la poursuite du projet entraînerait une reprise de la guerre civile. Depuis l’interruption des travaux suite aux incidents de juin dernier (3), la Chine ne cesse de presser le gouvernement birman de sécuriser la région où elle a investit de manière importante (des barrages controversés aux pipe-lines qui l’alimenteront en gaz et en pétrole). Des troupes de l’armée birmane ont donc été envoyées en renfort dans l’Etat kachin, mais sans pouvoir jusqu’à présent briser le blocus entourant le barrage. Depuis une semaine, la KIA, auquel vient de se joindre la Shan State Army, un autre groupe indépendantiste, intercepte tout transport de matériel de construction venant de Chine.

Dans une lettre adressée le 26 septembre dernier au secrétaire général de l’ONU, les indépendantistes kachin ont demandé à la communauté internationale d’intervenir : « La question du barrage de Myitsone est la clef de l’harmonie future de notre pays. Les gouvernements qui se sont succédés ont détourné à leur profit les richesses naturelles de notre nation. Ces politiques ont été menées sans aucune consultation de la population, comme tout ce qui concerne le patrimoine culturel de nos régions. »

Un argument qui a été repris tout récemment encore par l’opposante Aung San Suu Kyi, qui participe activement à la mobilisation contre le projet de barrage. Dans son manifeste Sauvez l’lrrawaddy, la célèbre dissidente a rappelé que « les changements écologiques de l’lrrawaddy pourraient avoir un impact sur tous ceux dont les vies sont liées à ce grand fleuve, des minorités ethniques dans les régions septentrionales les plus reculées de notre pays jusqu’aux communautés rizicoles du delta ».

Parmi les conséquences les plus désastreuses du projet hydroélectrique, les opposants ont recensé, outre la disparition d’une biodiversité unique (dont le dauphin de l’Irrawaddy déjà menacé d’extinction), les déplacements forcés de population, l’inondation de sites naturels et culturels rares, la diminution drastique de l’exploitation des ressources fluviales pour les pêcheurs comme pour les cultivateurs, l’impossibilité d’utiliser la principale voie de communication et de commercialisation du pays, et la mise en danger de la vie de milliers de personnes, le barrage étant édifié sur une faille sismique active.

La préoccupation grandissante des Birmans au sujet du barrage de Myitsone est aujourd’hui perceptible jusque dans les dernières tentatives avortées de manifestation à Rangoun, à l’occasion de la commémoration du 4ème anniversaire de la « révolution de safran » (4). Lundi 26 septembre, des milliers de personnes à Rangoun ont été empêchées de manifester par la police, tandis que d’autres, venues en car,  étaient refoulées par les forces de l’ordre aux abords de l’ancienne capitale. Si les protestataires se sont retirés dans le calme, non sans prier quelques instants devant la pagode de Sule, nul n’a pu manquer de remarquer la présence d’un slogan encore  inédit sur leurs T-shirt jaunes : « Stoppez la construction du barrage sur l’Irrawaddy ! »

« Si les souhaits du peuple sont méprisés et si le projet continue », a écrit récemment l’écrivain dissident U Ludu Sein Win, cité par l’International Herald Tribune du 21 septembre dernier, « alors le peuple défendra l’Irrawaddy avec tous les moyens dont il dispose ».