Eglises d'Asie

Malgré des conditions de vie très difficiles, les catholiques réaffirment l’importance qu’ils donnent à l’évangélisation

Publié le 06/10/2011




Proclamer sa foi chrétienne dans la rue pourrait passer pour une gageure dans un pays où la toute petite minorité chrétienne (1,9 % de la population) est en butte à de graves discriminations sociales, économiques et religieuses. Jour après jour, c’est pourtant ce à quoi se risquent des catholiques dans les rues de Lahore ou de Karachi.

Tous les dimanches, à l’heure de la messe, les environs à la cathédrale du Sacré-Cœur de Lahore sont encombrés de tuk-tuks, des rickshaws à moteur qui font office de taxi. Leurs conducteurs ont abandonné leur machine le temps de la messe, et les chapelets accrochés au rétroviseur ou les autocollants à l’image du Christ, de la Vierge Marie ou bien encore de saint Antoine de Padoue ne laissent aucun doute quant à leur identité religieuse ; parfois, des versets de la Bible sont calligraphiés en ourdou sur les flancs ou le pare-brise du véhicule.

Shahid Masih fait partie des quelque 300 000 conducteurs de tuk-tuks de Lahore. Il explique que sa machine lui permet d’emmener tous les dimanches son épouse et ses cinq enfants à la messe à la cathédrale. Employé d’une société de télécommunications où il travaille durant la journée, il précise que piloter un tuk-tuk est pour lui un deuxième emploi qui lui rapporte en moyenne 6 000 roupies (50 euros) par mois, à raison de plusieurs heures de travail chaque soir. Il prend grand soin des autocollants représentant Jésus qu’il a achetés à la librairie de la cathédrale et qu’il affiche bien en évidence dans son rickshaw. « Les avoir sous les yeux me protège des accidents et, lorsqu’un client musulman me pose des questions, c’est pour moi une occasion de parler de ma foi », explique-t-il.

Nadim Fida est membre du Mouvement de la jeunesse chrétienne, organisation qui, entre autres engagements, milite pour la défense des droits des conducteurs de tuk-tuks. Pour lui, le fait que des symboles chrétiens s’affichent ainsi dans les rues des grandes villes du pays est davantage qu’« un signe positif ». « Les chrétiens sont une minorité, la plupart sont pauvres, mais ils ont raison de ne pas craindre d’affirmer leur appartenance religieuse malgré le climat d’intolérance et de discrimination que nous vivons », affirme-t-il.

Pour Mgr Lawrence Saldanha, archevêque émérite de Lahore, le témoignage donné par ces chauffeurs chrétiens auprès de leurs clients très majoritairement non chrétiens est une très bonne chose. « Dans l’esprit des Pakistanais, les chrétiens sont des gens qui, le plus souvent, sont des pauvres, cantonnés aux emplois de balayeurs ou de vidangeurs. Même si la plupart d’entre eux ne sont pas propriétaires de leurs tuk-tuks et doivent les louer, c’est tout de même un signe d’ascension sociale », explique-t-il à l’agence Ucanews (1).

Evangéliser au Pakistan, dans un pays où 97 % de la population est musulmane et où l’apostasie est interdite par l’islam, c’est le thème que l’Eglise catholique du Pakistan s’est donné cette année. Le 1er octobre dernier, trois évêques et 43 prêtres, en présence du nonce apostolique, ont célébré la messe d’inauguration de l’« Année de la mission et de l’évangélisation », à la cathédrale Saint-Patrick de Karachi. Autour du thème Duc in altum (‘Avance au large’), les catholiques du Pakistan sont invités, durant douze mois et à travers différentes initiatives, à mettre l’évangélisation au cœur de leurs préoccupations.

Parmi les chrétiens, la réflexion qui revient le plus souvent à ce propos est qu’au Pakistan, « il n’y a pas de liberté de parole dès lors que l’on veut parler d’une autre religion que l’islam ». La montée du terrorisme et du fondamentalisme, l’importance des discriminations et des injustices auxquelles sont confrontés les chrétiens font de l’évangélisation un défi particulièrement ardu. Selon Mgr Max Rodrigues, évêque de Hyderabad, la radio et la télévision sont des médias qui, dans les autres pays, peuvent être utilisés pour la mission, mais, au Pakistan, ce n’est pas possible : dans le pays, il existe douze chaînes de télévision contrôlées par des groupes islamiques, pour un seul canal catholique, accessible par le câble (2).

Pour l’archevêque de Karachi, Mgr Evarist Pinto, les difficultés dues au contexte social et religieux ne peuvent pas être éludées mais elles ne doivent pas pour autant empêcher les catholiques de faire leur examen de conscience. « Malheureusement, nous ne prêchons pas la Bonne Nouvelle, a-t-il regretté. Nous sommes bien trop accaparés par les actions sociales et caritatives que nous menons. Il est temps pour nous de repenser notre mission et de prendre au sérieux ce que l’Eglise attend de nous. » Selon des observateurs locaux, l’archevêque de Karachi veut ainsi dénoncé l’attitude de certains, y compris au sein du clergé, qui, jouant de la situation des chrétiens, objectivement très difficile au Pakistan, font appel à la générosité des catholiques en Occident pour financer des projets de développement ou d’aide humanitaire et qui en mettent de côté l’action pastorale et missionnaire à laquelle ils sont pourtant appelés.

Le P. Mario Rodrigues, directeur national des Œuvres pontificales missionnaires, affirme pour sa part que les catholiques au Pakistan, qu’ils soient clercs ou laïcs, « ne doivent pas craindre de prendre des risques, d’aller au-delà de leur communauté, d’‘avancer au large’ et d’évangéliser pour faire de [leur] pays un lieu où il fera mieux vivre ».