Eglises d'Asie – Chine
Les autorités demandent à l’Eglise « officielle » de guider les catholiques « sur un chemin compatible avec la société socialiste chinoise »
Publié le 14/10/2011
… dans la province du Fujian, où dix évêques, des prêtres, une religieuse et des laïcs ont écouté le message que leur a transmis un haut responsable du Front uni, cet organisme qui assure la transmission des directives du Parti et du gouvernement aux organisations de la société civile dont les religions officiellement reconnues (1). Dans le contexte créé par les récentes ordinations épiscopales illicites (2), ce message revêtait une importance certaine.
La rencontre de Ningde avait toutes les apparences d’une rencontre ecclésiale. Elle était organisée par le Comité pour l’évangélisation et la pastorale, comité épiscopal créé en décembre dernier à l’occasion de la tenue à Pékin de la Huitième Assemblée nationale des représentants catholiques. Tant l’Association patriotique des catholiques chinois que la Conférence des évêques « officiels » avaient donné leur accord à cette rencontre. Selon un compte rendu publié sur le site Internet de l’Association patriotique et de la Conférence épiscopale, dix évêques, treize prêtres, une religieuse et huit laïcs y ont pris part, et le point d’orgue de la rencontre a été le discours prononcé devant eux par Zhu Weiqun, vice-ministre du Bureau du travail du Front uni. Le ministre avait fait le déplacement de Pékin jusqu’à Ningde spécialement pour l’occasion, précise le compte rendu.
Dans son discours, Zhu Weiqun a insisté à plusieurs reprises sur la priorité que l’Eglise devait donner à la défense du patriotisme. Il a précisé que la théologie dictant la conduite de l’Eglise devait être définie « en fonction du contexte chinois » et que les fidèles devaient être amenés « à emprunter un chemin compatible avec la société socialiste chinoise ». Il a enfin affirmé que les deux autorités qui dirigent l’Eglise au plan national (l’Association patriotique et la Conférence épiscopale) « ne devaient pas laisser place à l’ambiguïté mais se montrer ferme sur le principe d’indépendance de l’Eglise ».
Aucune information n’a filtré quant aux éventuelles réactions ou commentaires suscités en réponse à ce discours chez les membres de l’Eglise présents à Ningde. On sait seulement que les participants à la rencontre ont convenu de publier prochainement un « message pastoral » à l’attention des communautés catholiques et que celui-ci aura l’évangélisation pour thème. Le P. Joseph Yang Yu, porte-parole des deux instances « officielles » de l’Eglise, a indiqué que le texte du message devrait être finalisé dans le courant du mois d’octobre et qu’il sera largement diffusé, notamment via les médias électroniques.
Selon Mgr Vincent Zhan Silu, président du Comité pour l’évangélisation et la pastorale, le message s’inspirera des nombreuses initiatives en matière d’évangélisation apparues un peu partout dans le pays et « permettra au monde extérieur de savoir que l’Eglise de Chine partage avec l’Eglise universelle le souci et la responsabilité de l’évangélisation ». Natif de la ville de Ningde, âgé de 50 ans, Mgr Zhan Silu est évêque « officiel » du Mindong, dans le Fujian ; ordonné sans mandat pontifical le 6 janvier 2000, il est l’un des vice-présidents de la Conférence des évêques « officiels » de Chine.
Parmi les dix évêques présents à la rencontre de Ningde figuraient trois évêques illégitimes, dont Mgr Zhan Silu et Mgr Joseph Ma Yinglin, évêque de Kunming et président de la Conférence des évêques « officiels ».
Au sein des cercles catholiques de Chine, les commentaires sont allés bon train quant à la signification tant de la rencontre elle-même que du message à la tonalité très « patriotique » du ministre Zhu Weiqun. Un des participants de la rencontre a dit avoir été pris par surprise, la rencontre lui ayant été présentée comme devant être « une discussion et un partage d’expériences ». La présence du ministre et de représentants des autorités chinoises ne lui avait pas été annoncée et il en a ressenti de la « gêne ». Ce même participant, qui s’est exprimé de manière anonyme auprès de l’agence Ucanews (3), a ajouté que l’impact d’une telle rencontre pour les Eglises locales était limité, l’influence des structures centrales que sont l’Association patriotique et la Conférence épiscopale sur les diocèses étant faibles. Selon lui, dans certains diocèses, l’évêque, les prêtres, les religieuses et les fidèles se sont organisés pour maintenir à distance ces corps très « officiels ».
Pour certains commentateurs locaux, la présence du ministre Zhu Weiqun peut être interprétée certes comme un signe de l’importance que Pékin attache à l’ancrage « patriotique » de l’Eglise de Chine mais aussi comme une tentative des autorités centrales de soutenir un évêque très affaibli localement et placé en marge de son Eglise du fait de son illégitimité. De fait, Mgr Zhan Silu se trouve en grande partie isolé au sein d’une région, le Fujian, et d’un diocèse, son propre diocèse de Mindong, qui est un bastion de la partie « clandestine » de l’Eglise. A Mindong, on estime que neuf fidèles sur dix se rattachent à la partie « clandestine » plutôt qu’à la partie « officielle » de l’Eglise.
Selon un bloggeur de la sphère catholique chinoise, un prêtre qui a adopté le pseudonyme de « Shanren » (‘l’homme de bien’), les propos du ministre Zhu Weiqun témoignent cependant de la persistance de la volonté du gouvernement chinois à vouloir contrôler l’Eglise, et cela en dépit du discours officiel voulant faire accroire que la sphère politique est distincte de la sphère religieuse. Il s’indigne notamment de la volonté du gouvernement et des évêques qui lui sont inféodés de promouvoir des objectifs politiques sous le couvert d’une action ayant trait à l’évangélisation et au travail pastoral. Il ajoute également que « c’est faire insulte aux chrétiens de Chine que de leur dire qu’ils n’aiment pas assez leur pays et qu’ils ont donc besoin d’une association patriotique pour guider leurs pas ».