Eglises d'Asie

Les opérations de l’armée birmane en pays kachin s’intensifient et n’épargnent pas les civils

Publié le 25/10/2011




 En dépit – ou à cause – de l’annonce le 30 septembre dernier par le président Thein Sein de la suspension de la construction du barrage hydroélectrique de Myitsone (1), les combats continuent de faire rage dans l’Etat Kachin entre les forces armées birmanes et les soldats de la KIA, la branche armée de la Kachin Independence Organisation. Selon les informations transmises…

 … par des sources catholiques, les déplacés sont au nombre d’au moins 20 000 et des témoignages rapportent de nombreux cas d’exactions commises par les soldats gouvernementaux.

En-dehors de la zone des combats, qui prennent le plus souvent la forme d’accrochages sporadiques entre détachements de l’armée birmane et unités de la KIA, c’est dans l’Etat Shan du Nord, qui jouxte au sud l’Etat Kachin, qu’une partie des personnes fuyant les combats trouvent refuge. Plus d’un tiers des Kachins étant chrétiens (baptistes et catholiques essentiellement), c’est tout naturellement vers les Eglises chrétiennes qu’ils se tournent pour chercher secours. Le 12 octobre dernier, Mgr Philip Lasap Za Hawng, évêque du diocèse catholique de Lashio, a effectué une tournée dans les paroisses situées dans la partie nord de son diocèse afin d’y conforter les personnes déplacées. Une assistance matérielle est assurée à ces dernières par Karuna Lashio, branche locale de la Caritas, ainsi que par la société Saint-Vincent-de-Paul. Dans la localité de Mong Ji, le curé de la paroisse, le P. La Yawng, a fait part à son évêque du fait qu’une cinquantaine de personnes avait trouvé refuge sur le terrain de l’église paroissiale, une centaine d’autres étaient hébergées chez des paroissiens, tandis que la paroisse baptiste voisine en accueillait encore une centaine. Selon le curé, outre les difficultés inhérentes à ce genre de situation dans le domaine sanitaire (recrudescence des maladies respiratoires, des infections cutanées ou bien des diarrhées), un de ses motifs d’inquiétude était la présence continue d’une quarantaine de soldats de l’armée régulière à proximité de l’église. Le prêtre craignait notamment que les soldats se servent dans les stocks de produits alimentaires ou médicaux destinés aux réfugiés.

En pays kachin, des informations font état de graves violences perpétrées par l’armée contre les civils. Ainsi, selon des sources en provenance du diocèse de Banmaw, diocèse situé en pays kachin au sud du diocèse de Myitkyina, l’armée se livre à des opérations de nettoyage ethnique et considère systématiquement tout homme kachin comme membre de la KIA. Des informations dignes de foi font état de viols sur la personne des femmes et des jeunes filles.

Ainsi, le 16 octobre, sur la route qui va de Banmaw à Myitkyina, un bataillon de l’armée régulière, soit environ 150 hommes, a investi le village de Nam San Yang. Des soldats ont pénétré dans l’église catholique où une vingtaine de fidèles, principalement des femmes et des personnes âgées, étaient rassemblés pour l’assemblée dominicale. « L’armée voulait utiliser l’église et le terrain autour comme base pour mener des opérations dans les environs, où des accrochages avaient eu lieu », a expliqué la source citée par l’agence Fides (2). Un catéchiste du nom de Jang Ma Awng Li, parce qu’il parlait le birman, a tenté d’établir le contact avec les militaires mais ces derniers l’ont roué de coups. « Parce que le curé était absent ce dimanche, je devais diriger l’assemblée dominicale et nous avions prévu de commencer le service à 8 heures. Cependant, parce qu’on entendait des tirs à l’extérieur, nous n’avons commencé qu’à 9 heures. C’est alors que nous avons été interrompus par les soldats. Ils disaient que tous les hommes dans le village étaient des sympathisants de la KIO et appartenaient à la KIA. Ils nous ont demandé où nous cachions nos armes. Ils nous ont battus à coups de crosse. Je leur ai répondu qu’aucun membre de la KIA n’était passé par le village », a témoigné le catéchiste à Mizzima, un site d’informations sur la Birmanie basé à New Delhi.

« Vers 9h30 environ, alors que nous étions debout à attendre, les soldats ont pointé leurs armes vers nous. Dès nous avons vu cela, nous nous sommes jetés à terre, en les implorant de ne pas nous tuer et que nous n’étions que des civils. Ils ont commencé à tirer. Si nous ne nous étions pas couchés, les balles nous auraient touchés. Les enfants criaient ; une femme âgée pleurait, a poursuivi ce témoin. Ensuite, les soldats ont ordonné à cinq hommes, dont moi, de se lever. Ils nous ont fait asseoir, nous ont lié les mains dans le dos et nous ont emmené pour nous interroger. J’avais très peur qu’au cas où des membres de la KIA surgissent, une fusillade éclate et que nous soyons tués. Ils nous ont battus à coups de crosse, en nous demandant où étaient les bombes et les armes. »

Ensuite, le catéchiste et ses quatre compagnons ont été contraints à servir de porteurs pour les soldats, avant d’être finalement relâchés non sans avoir reçu le message suivant de l’officier commandant le bataillon : l’état-major a décrété que tous les habitants mâles du village de Nam San Yang étaient membres de la KIA et qu’à ce titre, ils devaient être liquidés ; quant aux femmes, elles devaient être arrêtées – ce qui est le plus souvent synonyme de viol (et, de fait, selon les informations rapportées par Fides, une jeune fille âgée de 19 ans a été emmenée ce 16 octobre et violée à plusieurs reprises par un groupe de soldats).

Selon le témoignage du catéchiste, le détachement de l’armée birmane n’a quitté le village qu’après avoir mis le feu à plusieurs maisons et saccagé tant l’église catholique que le temple baptiste. Les catholiques du village ont alors décidé de quitter les lieux et, par des chemins à travers la forêt, de gagner Laiza, quartier général de la KIO, tout près de la frontière avec la Chine populaire.

Après l’annonce de l’arrêt de la construction du barrage de Myitsone, Mgr Raymond Saw Po Ray, président de la Commission épiscopale ‘Justice et Paix’, avait fait part de sa joie, qualifiant cette décision de « signal très positif » mais ajoutant qu’il fallait attendre avant de voir si le gouvernement allait véritablement se mettre à « écouter la volonté du peuple ». L’évêque catholique ajoutait notamment que « la prochaine étape, celle du conflit avec les minorités ethniques, serait difficile à cause de la volonté de certains responsables militaires mais aussi du fait des intérêts de la Chine » (le barrage de Myitsone est construit par une société chinoise). Selon le témoignage de catholiques kachins, le regain de violence militaire dans l’Etat Kachin soulève de fortes questions : après l’espoir suscité par l’arrêt de la construction du barrage, « la situation sur le terrain s’aggrave et le peuple kachin ne fait pas confiance au gouvernement ». « La violence des militaires perdure et, selon la police kachin, ils se livrent à des actes de nettoyage ethnique. Le nombre des réfugiés augmente. Quelle est donc le but visé par le gouvernement ? Souhaite-t-il le respect des droits de l’homme, la justice et l’équité pour les minorités ethniques de ce pays ? », s’interroge une source catholique.

Pour Christian Solidarity Worldwide (CSW), « de telles attaques sur la personne des civils et des communautés religieuses contrastent très nettement avec le nouveau discours du régime sur les réformes et la volonté de paix. Les viols, le travail forcé et l’élimination physique de civils sont des crimes contre l’humanité. Nous prions instamment le président Thein Sein de faire cesser les attaques et de décréter un cessez-le-feu de manière à entamer un véritable processus de réconciliation nationale ».