Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Essor du bouddhisme en Chine : réalités et ambiguïtés

Publié le 08/12/2011




En Chine, le mont Wutaishan est à la fois un haut lieu touristique et un centre de pèlerinage célèbre où le bouddhisme, y compris tibétain, peut s’afficher. Loin du Tibet où la répression se poursuit, l’image du bouddhisme en Chine y est soignée par les autorités. Les nombreuses universités bouddhiques attirent de plus en plus d’adeptes, …

 … issus en grande majorité des classes aisées chinoises, mais ignorant très largement les réalités de la situation tibétaine et les fondements véritables du lamaïsme.

Le texte ci-dessous est la retranscription d’une émission diffusée le 2 décembre 2011 par la BBC (BBC World Service) (1). La traduction est d’Eglises d’Asie.

Wutaishan, situé dans les montagnes de la province du Shanxi, dans la partie septentrionale du pays, est un site sacré pour les bouddhistes depuis des siècles (2). Ils sont nombreux à parcourir ses chemins qui serpentent dans la montagne et à visiter ses temples remontant au VIIIème siècle. Sur l’un de ces sommets, un groupe d’homme d’âge moyen, suspend une guirlande de drapeaux à prière entre deux arbres et la contemplent avec satisfaction flotter dans le vent. L’un d’eux refuse d’être interviewé. Il est fonctionnaire du gouvernement et veut que sa pratique du bouddhisme demeure dans le domaine privé. Un autre membre du groupe, Zhang Jiankun, âgé de 42 ans, ancien représentant en produits pharmaceutiques, se montre nettement plus loquace.

« J’étais fumeur, buveur, joueur et coureur de jupons. Tous les jours, j’en avais besoin, raconte-t-il. Et puis, à partir 30 ans, je m’étais mis à gagner beaucoup d’argent, mais j’avais aussi de l’hypertension, et le foie détruit par l’alcool. J’invitais tous mes clients à sortir et donc je buvais tous les jours. De plus, j’étais devenu obèse. » « Aujourd’hui, poursuit-il, j’ai maigri, ne bois plus qu’occasionnellement et peux grimper sur ces montagnes sans aucune difficulté. Zhang Jiankun en attribue le mérite à sa conversion au bouddhisme, il y a maintenant onze ans, qui l’a aidée à purifier son karma. »

« Beaucoup de gens essayent de trouver un équilibre de vie. Moi, à un moment donné, j’ai réalisé qu’avoir une vie riche matériellement ne signifiait pas avoir une vie riche spirituellement, explique-t-il. Je voulais la liberté, mais pour être libre, il fallait que je trouve la sagesse. J’ai découvert que le bouddhisme pouvait aider à atteindre la sagesse qui mène à la liberté. »

Zhang Jiankun a liquidé une partie de sa fortune et a passé six ans au Tibet, méditant et étudiant les textes bouddhiques. Lorsqu’il revint, il était plus paisible, mais aussi plus gentil et respectueux avec ses parents. « Ils sont heureux du chemin que j’ai pris, dit-il. J’avais de mauvaises habitudes ; je ne faisais aucun effort pour contrôler mon mauvais caractère, je les laissais seul pour aller boire dehors. Maintenant, ils apprécient ma présence et je leur manque quand je ne suis pas dans les parages. Ils me voient finalement agir comme le chef de famille et prendre soin d’eux. Tout cela, c’est grâce au bouddhisme et à la compassion [qu’il m’a enseigné]. »

Comme bon nombre de ses compatriotes, Zhang Jiankun estime que le bouddhisme tibétain est d’une forme plus pure que les autres variantes [du bouddhisme] qui subsistent dans la Chine actuelle. Après soixante ans de régime communiste, bien des Chinois pensent que le bouddhisme a été profondément altéré avant d’être finalement « coopté » par le régime en place. Bien entendu, ils savent aussi que le bouddhisme tibétain ne s’est pas tiré indemne de la tourmente révolutionnaire. Sous le joug du Parti communiste, des milliers de temples bouddhistes au Tibet ont été détruits et des centaines de milliers de Tibétains ont été tués quand ils n’étaient pas jetés en prison, comme ce fut le cas pour bon nombre de nonnes et de moines bouddhistes.

Pendant longtemps, le Parti a considéré le bouddhisme et les autres religions comme des superstitions arriérées, et ce n’est que récemment qu’il a changé quelque peu son attitude. « Il nous a été dit qu’il n’y avait pas de Dieu, que nous étions nés en quelque sorte pour être athées. C’est une bien triste chose que nous ayons été privés de notre liberté de choix, regrette Lin Gu, un ancien journaliste, âgé de 38 ans. Mais je reconnais que ce questionnement angoissant sur le sens ultime à donner à la vie est toujours présent en moi. C’est pourquoi je poursuis ma quête. »

Lin Gu fait partie de cette génération qui a grandi avec le boom économique de la Chine et l’idée que devenir riche était ce qu’il y avait de plus valorisant pour un individu. En tant que journaliste, constate-t-il, il a vu où cela pouvait mener. « Par exemple, relate-t-il, je vois dans la Chine d’aujourd’hui que les gens peuvent s’énerver très vite. Je peux entendre aussi les revendications contre l’injustice sociale. Dans notre société où l’on peut facilement se mettre en colère, être frustré ou être déprimé, nous avons besoin de quelque chose comme le bouddhisme pour retrouver notre harmonie intérieure et notre équilibre, pour mieux faire face, surtout psychologiquement, à un monde qui change de plus en plus. »

Selon certaines estimations, pas moins d’un Chinois sur quatre pratique le bouddhisme de manière active, et la proportion est encore plus forte parmi les classes urbaines et mobiles, relativement aisées et créatives, qui, elles, se tournent en priorité vers la forme tibétaine du bouddhisme.

Mais parmi ceux qui cherchent le chemin qui donnerait un sens à leur vie, tous n’ont pas saisi réellement ce qui fait l’essence du bouddhisme. Devant un temple du Wutaishan, une jeune femme d’affaires de Shanghai, Chu Hui, allume de longs bâtons d’encens. Elle les porte à son front et s’incline profondément vers le temple. La jeune femme raconte qu’elle est déjà venue ici faire un vœu et qu’elle revient parce qu’il s’est réalisé. « Si vous faites un vœu et qu’il devient réalité, vous devez revenir pour remercier, dit-elle. Sinon, il vous arrivera un malheur, enfin je crois. »

Chu Hui reconnaît qu’elle n’est pas encore bouddhiste, elle se dit juste attirée par cette religion. Une attitude qu’elle partage avec de très nombreux visiteurs, comme le confirme le moine Maître Shi Yanping : « Les gens essayent de trouver un chemin dans leur cœur pour rejoindre le bouddhisme, dit-il. Mais bon nombre d’entre eux ne le comprennent pas. Ils pensent que brûler de l’encens, tomber à genoux et frapper le sol de leur tête, c’est cela le bouddhisme. Mais la véritable pratique du bouddhisme, on la trouve au fond de son cœur. »

Maître Shi met la bouilloire à chauffer pour le thé, pendant qu’il raconte comment il est arrivé à Wutaishan il y a près de vingt ans, alors qu’il était encore un tout jeune homme. Il est heureux de parler de sa vie et des préceptes bouddhiques. Mais interrogé sur la façon dont il ressent, en tant que bouddhiste tibétain, les restrictions imposées par le Parti communiste, il se ferme comme une huître. « Ni le bouddhisme chinois ni le bouddhisme tibétain n’ont à faire face à de quelconques restrictions en Chine, dit-il. Quelques personnes ont tiré prétexte de la liberté de religion pour commettre des erreurs ou des infractions. Mais cela ne signifie pas que la pratique religieuse subisse des restrictions. »

Quand il lui est demandé si, pour des bouddhistes tibétains, le fait d’exposer des photos du dalai lama peut être considéré comme une infraction, il répond par la négative. Apprenant que des bouddhistes tibétains ont été arrêtés uniquement pour avoir fait cela, il se montre surpris. « C’est la première fois que j’entends parler de ça », répond-il avec un sourire poli.

La plupart des Tibétains de Chine ne pourraient pas en dire autant. Lors du soulèvement de mars 2008 dans les provinces et régions chinoises de populations tibétaines, le gouvernement chinois a exercé une violente répression pendant de longues semaines. Les zones tibétaines ont été envahies de militaires et de policiers, qui tentaient d’obliger les moines à abjurer le dalai lama, arrêtant ceux qui montraient un quelconque signe d’allégeance à son égard.

Avant cela, en 2007, le gouvernement avait fait passer une loi interdisant aux chefs spirituels tibétains de se réincarner sans la permission des autorités chinoises. Le gouvernement espérait ainsi être en mesure de choisir la nouvelle génération des chefs du bouddhisme tibétain. En 1995, il avait remplacé le véritable panchen lama, un garçon âgé de 6 ans reconnu comme la réincarnation du précédent panchen lama, lequel s’était opposé au Parti communiste. Cette seconde figure majeure du bouddhisme tibétain était décédée subitement et prématurément (3). A la mort du dalai lama, le panchen lama est chargé traditionnellement de reconnaître sa réincarnation. En contrôlant le panchen lama, le gouvernement cherche ainsi à contrôler l’ensemble du bouddhisme tibétain.

Le dalai lama a qualifié les manœuvres actuelle du gouvernement chinois de « génocide culturel ». « La propagande communiste chinoise dresse un tableau idyllique de la situation au Tibet, a-t-il récemment déclaré lors d’une visite au Japon. Mais en fait, de nombreux Chinois, qui ont visité le Tibet, ont eu tous l’impression que ce qui s’y passait était terrible. »

Cette année, au moins onze Tibétains se sont immolés par le feu pour protester [contre la situation au Tibet]. Le gouvernement chinois a qualifié ces actes de « terrorisme déguisé ». Il persiste à prétendre que les Tibétains complotent contre la Chine et que le dalai lama est à l’origine de ce mouvement séparatiste.

Le dalai lama quant à lui n’a jamais cessé d’affirmer que ce n’était pas du tout le cas. Il a déclaré que, bien que le Tibet eût été indépendant, il avait accepté qu’il soit aujourd’hui considéré comme une partie de la Chine. Il ne demandait qu’un surcroît d’autonomie pour les Tibétains, ce que refusait le gouvernement chinois. Ce dernier a alors traité le dalai lama de criminel, de séparatiste et même de « loup déguisé en moine ».

Si aujourd’hui, un nombre croissant de Chinois le suivent en tant que leader spirituel, ils doivent néanmoins avancer avec précaution.

Reta Dinchenpujun est un « bouddha vivant », un maître spirituel réincarné, revenu aider les autres à atteindre l’illumination. Il refuse de dire s’il lui a été demandé de renier le dalai lama. « Je ne m’intéresse pas particulièrement à la politique, dit-il. Personne n’a à me dire ce que je dois faire ou ne pas faire dans la vie. Je n’appartiens qu’à moi-même. » Il s’arrête puis reprend : « Bien sûr, le dalai lama est un modèle spirituel pour tous les bouddhistes tibétains, comme chaque dalai lama l’a été dans le passé. »

Lorsqu’ils sont laïcs, les Chinois pratiquant le bouddhisme tibétain s’expriment avec encore plus de circonspection à propos du dalai lama. Mais s’il s’agit de parler des capacités du bouddhisme à transformer leur vie, ils le font alors avec passion.

« J’espère que le bouddhisme permettra une révolution des esprits en Chine, déclare l’ancien journaliste Lin Gu. Je pense qu’en Chine, ce dont nous avons le plus besoin, c’est d’amour, de compassion, de pardon et de réconciliation. Notre histoire, faite de violences et de bouleversements, est un héritage bien lourd que nous avons tous à porter. Nous avons besoin du bouddhisme pour devenir tolérant, nous rejoindre les uns les autres, pourvoir dire ‘je suis désolé, je me suis trompé’ ou encore ‘ je te pardonne, je t’aime’. » Il ajoute toutefois que c’est là un rêve et qu’en attendant, il a quitté le journalisme pour enseigner dans une université bouddhique.

De son ancien métier, il conserve cependant une attitude intellectuelle empreinte de scepticisme. Lin Gu veut croire que la Chine s’orientera dans la direction qu’il espère, mais lorsqu’il regarde autour de lui et qu’il voit à quoi ressemble la vie moderne en Chine aujourd’hui, il ne peut s’empêcher d’exprimer des doutes.