Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Des Eglises interdites défient le régime chinois

Publié le 30/12/2011




Ces derniers temps, la vague d’arrestations et de condamnations de militants des droits de l’homme, d’artistes et de dissidents en tous genres n’a pas épargné les chrétiens. A plusieurs reprises, des pasteurs protestants, membres d’Eglises domestiques, c’est-à-dire non affiliées au très officiel Mouvement des trois autonomies, ont été interpellés par la police…

 … et parfois condamnés à des peines de prison. Au moment où les communautés protestantes clandestines font de nouveau parler d’elles, cet article, paru le 28 juillet dernier dans le Wall Street Journal, apporte un éclairage supplémentaire sur certaines de ces Eglises non officielles mais néanmoins souvent très visibles dans le paysage urbain et rural de la Chine d’aujourd’hui. La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie.

 

Lors d’un récent rassemblement dominical de l’Eglise de Sion à Pékin, le Rév. Jin Mingri a présenté sa vision de la place des chrétiens en Chine, vision qui contraste fortement avec la mainmise du Parti communiste sur les religions. « Faisons en sorte que nos descendants deviennent de grands hommes politiques, à l’instar de Joseph et de Daniel, a lancé Mr Jin en se référant à ces figures de l’Ancien Testament qui ont surmonté de grands défis avant de devenir des chefs respectés. Faisons en sorte qu’ils influencent l’évolution future de ce pays. »

Le Rév. Jin, dont la communauté rassemble quelque 800 âmes, appartient à ce groupe de plus en plus important de pasteurs protestants qui défient la politique religieuse de la Chine, en n’hésitant pas à engager un bras de fer, généralement ignoré de l’étranger, avec le régime en place.

Pour la première fois, des Eglises clandestines chinoises, dont le nombre des fidèles est estimé en dizaines de millions, sont en train de s’organiser pour faire pression sur le régime et obtenir une reconnaissance légale.

Le gouvernement, qui craint que la foi en Dieu ne remplace bientôt la foi dans le Parti, répond à cette offensive par une campagne contre ces Eglises et leurs réseaux. D’après certains spécialistes du monde chinois, ce conflit apparaît comme l’un des plus durs de son histoire récente depuis la brutale répression contre les membres du Falungong en 1999 après que ces derniers eurent fait la même requête de reconnaissance officielle.

En avril dernier, les autorités ont expulsé les fidèles de l’Eglise de Shouwang du lieu qu’ils louaient. La communauté de Shouwang est l’une des Eglises clandestines les plus populaires de Pékin, avec plus d’un millier de fidèles. En réaction, dix-sept responsables d’Eglises clandestines à travers toute la Chine ont signé leur première pétition à l’attention du gouvernement (un acte de rébellion sans précédent) afin de demander une révision des lois régissant la religion.

La police a arrêté d’autres responsables d’Eglises dont un pasteur réputé du Jiangsu au début du mois de juillet. Ce dernier a été condamné à deux ans de camp de travail pour avoir organisé des assemblées clandestines.

« La situation commence à nous échapper », reconnaît Yang Fenggang, directeur du Centre sur la religion et la société chinoise de l’université Purdue [Etats-Unis] et spécialiste des relations entre société et religion en Chine.

Plus d’une dizaine d’années après l’écrasement du mouvement Falungong, les enjeux sont aujourd’hui devenus plus importants. Une campagne nationale contre les Eglises clandestines pourrait provoquer non seulement des résistances internes, mais aussi porter préjudice à l’image extérieure de la Chine et lui valoir la réprobation des chrétiens à travers le monde.

En mai 2011, la Commission gouvernementale américaine sur la liberté religieuse à travers le monde a rendu un rapport critiquant l’accroissement en Chine des destructions et fermetures d’églises et de lieux de culte chrétiens « non officiels ».

Contrairement au Falungong qui a été éradiqué après que des dizaines de milliers de ses membres ont été arrêtés ou ont disparu avec la répression lancée contre eux en 1999, le mouvement protestant d’aujourd’hui pourrait être plus difficile à supprimer. Il existe en effet un vaste réseau de communautés clandestines à travers le pays dont les responsables n’attendent que le moment de se déployer. Ainsi à peine l’Eglise de Shouwang était-elle muselée que l’Eglise de Sion prenait la relève et que le Rév. Jin se mettait à prêcher ouvertement. Et d’autres pasteurs se tiennent prêts en coulisses, à prendre leur tour.

Grâce à un réseau de séminaires clandestins dont l’existence est peu connue, de nouveaux responsables d’Eglise sont formés chaque jour. D’après le pasteur Jin, qui participe au développement de ces écoles, pour la seule ville de Pékin, environ vingt séminaires interdits instruisent des centaines d’étudiants au cours de cycles de deux ou trois ans. Une fois diplômés, nombreux sont ceux qui développent leur propre Eglise, contribuant ainsi à la croissance de la communauté protestante clandestine. « [Les étudiants] savent tous qu’ils sont dans l’illégalité, affirme le Rév Jin. Quand ils se décident à servir, c’est après avoir pesé les difficultés et les risques. »

Toutefois, ces tensions ne mèneront pas nécessairement à une épreuve de force, si les deux parties acceptent de faire des compromis. Le Parti communiste, faisant face aujourd’hui à d’autres difficultés d’ordre social ainsi qu’à la perspective du changement des hauts responsables politiques en 2012, pourrait souhaiter éviter l’épreuve de force. D’après les spécialistes, tout dépend de la façon dont les leaders protestants choisiront d’affronter le pouvoir.

Le gouvernement n’a en effet déclenché la répression du mouvement Falungong qu’au moment où des milliers de ses membres sont descendus dans la rue en plein centre de Pékin, le forçant à réagir. « Lorsque le Falungong s’est mis à organiser des sit-in en 1999, le pouvoir a commencé à avoir peur », rappelle Lian Xi, spécialiste de l’histoire du christianisme en Chine à l’université de Hanovre. Je pense qu’il ressent aujourd’hui la même peur devant la capacité des Eglises chrétiennes à organiser et mobiliser les foules. »

Dans le même temps, le gouvernement doit mesurer les conséquences d’une attitude conciliante vis-à-vis des Eglises protestantes. Comme l’explique Lian Xi, « que faire si les musulmans dans le Xinjiang ou d’autres organisations religieuses revendiquent la même souplesse ? C’est comme si l’on ouvrait une vanne. »

L’Administration d’Etat pour les affaires religieuses et le ministère des Affaires étrangères n’ont pas souhaité répondre à nos questions, ainsi que le Bureau d’information du Conseil pour les affaires d’Etat et l’Assemblée nationale populaire.

La position du gouvernement s’exprime cependant dans un éditorial d’avril 2011 du très officiel Global Times, peu après l’interdiction de l’Eglise de Shouwang. « Une Eglise ne doit pas devenir un pouvoir prêchant un changement radical, écrit l’éditorialiste. Dans le cas contraire, elle s’engagerait sur un terrain politique et non plus religieux, ce qui n’est pas autorisé pour les Eglises. »

Les tensions autour du christianisme ont toujours existé en Chine, où la présence de chrétiens est avérée depuis au moins le VIIème siècle. Après la prise du pouvoir par Mao Zedong en 1949, les communistes ont reconnu cinq religions : le protestantisme, le catholicisme, le taoïsme, le bouddhisme et l’islam. Mais dans la pratique, ils limitèrent drastiquement l’exercice du culte, détruisirent les églises et exilèrent les missionnaires étrangers. Durant la décennie que dura la Révolution culturelle, toute expression religieuse fut interdite.

Dans les années qui suivirent la mort de Mao en 1976, la Chine commença une timide libéralisation politique qui contribua à assouplir la politique religieuse, tout en maintenant le contrôle de l’Etat. Le culte est autorisé dans les églises dirigées par les organismes gouvernementaux : pour les protestant, le Mouvement des trois autonomies, pour les catholiques, l’Association patriotique des catholiques chinois. Il existe des organismes similaires pour le taoïsme, le bouddhisme et le l’islam. Il y a dix ans, les pasteurs cachaient les « Eglises domestiques » dans des demeures privées car il était interdit d’organiser des activités religieuses en dehors des groupes officiels. Mais, ces dernières années, du fait de la relative ouverture de la Chine, certaines Eglises comme celle de Sion ont commencé à louer des espaces de réunion et à animer des assemblées de centaines de fidèles. Elles sont soutenues financièrement par le nombre grandissant de leurs membres qui s’enrichissent et, pour quelques-unes, par des Eglises évangéliques étrangères.

L’actuelle répression se concentre principalement sur les protestants en raison de leur rapide progression numérique et de leur attitude provocatrice, expliquent les spécialistes religieux. D’après les statistiques gouvernementales, la Chine compte 23 millions de protestants (Eglises non officielles comprises). Certains experts estiment cependant que l’on peut évaluer le nombre des fidèles des Eglises domestiques entre 30 et 60 millions. A titre de comparaison, le Parti communiste, officiellement athée, revendique 80 millions de membres.

Contrairement à leurs homologues urbains, la plupart des pasteurs ruraux prêchent encore dans la clandestinité. Mais là aussi, les organisations [protestantes] croissent en nombre et en assurance. Depuis la petite ville poussiéreuse de Nanyang, au cœur de la province centrale pauvre du Henan, Zhang Mingxuan dirige l’Alliance des Eglises domestiques de Chine. Tous les trois mois, il reçoit environ 70 pasteurs de toute la Chine rurale, qui viennent dormir à même le sol en ciment, chez lui au fond d’une petite ruelle que les chiens errants disputent aux vendeurs de rue. Tous ensemble, ils prient et discutent de la nécessité d’unir leurs efforts.

« Mon père, c’est Dieu », proclame Zhang Mingxuan, vêtu d’un costume foncé et d’une cravate sur laquelle apparaît le dessin d’une croix. « Et Il est plus grand que Hu Jintao », ajoute-t-il, citant le président chinois et chef du Parti.

La police a tenté de démanteler ce groupe, explique Zhang Mingxuan, et lui-même est constamment harcelé. Le pasteur doit prendre des précautions, jonglant avec une demi-douzaine de portables dont il retire la batterie afin de ne pas être repéré par la police. Les portables sont un outil essentiel pour communiquer des consignes aux autres réseaux disséminés dans le pays.

Récemment, dans un village près de Nanyang, perdu au milieu des champs de blé, une trentaine de paysans se sont réunis un matin de semaine, genoux contre genoux, sur le sol en ciment d’une pièce commune peu éclairée. Le prêcheur, un membre de l’Alliance des Eglises domestiques de Chine, transmet le message de Zhang Mingxuan : « L’unité est la seule voie que nous devons suivre. »

Jin Mingri, le pasteur de l’Eglise de Sion à Pékin, est venu au christianisme dans la foulée des manifestations de la place Tienanmen en 1989. Il étudiait à l’époque dans une université pékinoise (de même que son ami Jin Tianming, qui devait plus tard prendre la tête de l’Eglise de Shouwang) et il rejoignit les étudiants et leurs sympathisants qui demandaient des réformes politiques. Après la sanglante répression du printemps de Pékin, « nous avions le sentiment que la vie n’avait plus aucun sens, qu’il n’y avait place que pour la souffrance », se rappelle Jin Mingri, dont le nom de baptême est Ezra. « Nous avons alors entendu le message de l’Evangile et nous avons été séduits. »

A partir de 1992, et pendant dix ans, le jeune Jin Mingri prêche dans une église officielle mais il finit par trouver trop lourd le contrôle omniprésent de l’Etat. « Dans les faits, le Mouvement des trois autonomies n’a aucune marge de manœuvre, affirme-t-il. C’est le gouvernement qui dirige tout. »

Pendant que le christianisme croissait en Chine, d’autres religions ont commencé à se développer elles aussi. L’une d’entre elles, le Falungong, est un mouvement spirituel alliant les principes moraux du fondateur Li Hongzhi, à des exercices de méditation et de respiration. A la fin des années 1990, la popularité grandissante de ce mouvement provoqua les critiques de certains universitaires soutenus par le gouvernement.

En avril 1999, quelque 10 000 membres du Falungong descendirent dans la rue, encerclant silencieusement Zhongnanhai, le quartier où se situe le cœur du pouvoir, dans le centre de Pékin. Ils réclamaient pour eux et leur mouvement une reconnaissance officielle. Les chefs du Parti, furieux qu’un groupe dont ils ne connaissaient presque rien puisse mobiliser tant de monde à travers tout le pays, le qualifièrent aussitôt de « secte diabolique » et l’interdirent. Des dizaines de milliers de membres furent emprisonnés, dont un grand nombre furent condamné au camp de travail, tandis que d’autres mouraient en détention.

En 2002, Jin Mingri quitta le Mouvement des trois autonomies pour aller étudier en Californie, alors que se poursuivait la répression contre le Falungong. Lorsqu’il revint en Chine en 2007, il ne voulait plus faire partie de l’Eglise officielle. A 42 ans, il décida donc de fonder l’Eglise de Sion à Pékin et commença à prêcher clandestinement.

« Notre façon de croire, c’est celle d’un peuple affamé qui recherche avidement sa nourriture, a dit Jin Mingri dans l’une de ses récentes et nombreuses interviews. Le gouvernement n’a pas besoin et n’a pas le droit de décider de ce que vous mangez, ni de ce que vous pouvez manger ou non ! »

Peu après son retour, Jin Mingri a participé au lancement du Réseau de prière des pasteurs de Pékin. Aujourd’hui, plus de vingt autres grandes villes chinoises ont des réseaux similaires, assure-t-il.

La police a rapidement fait pression sur leur groupe, explique Jin Mingri, arguant du caractère illégal d’un mouvement non enregistré. Lui et les autres pasteurs répondaient alors que les objectifs [de leurs réunions] étaient la prière et non pas la politique. Une fois, la police a même bloqué les ascenseurs d’un building afin d’empêcher les membres de l’Eglise de participer à une assemblée. Parfois, les chrétiens sont contraints de se replier dans un restaurant pour prier.

L’année dernière, Jin Mingri ainsi qu’une vingtaine d’autres responsables religieux d’Eglises domestiques rurales ou citadines, se sont réunis pour préparer le ‘Congrès de Lausanne sur l’évangélisation mondiale’, une rencontre internationale de responsables évangéliques. Plus de 200 responsables de communautés protestantes de Chine avaient prévu de s’y rendre.

Alors que la délégation arrivait à l’aéroport de Pékin afin d’embarquer pour Cape Town, où devait avoir lieu le Congrès, la police les a empêchés de partir. Plusieurs de ces responsables chrétiens refusèrent de rentrer chez eux et certains se réfugièrent dans un hôtel de la banlieue de Pékin. Finalement, au bout de deux jours, plus d’une centaine de policiers encerclèrent l’hôtel où étaient rassemblés une trentaine de chrétiens, et les forcèrent à regagner leur domicile.

En janvier dernier, l’Administration d’Etat pour les Affaires religieuses a annoncé que l’objectif de l’année 2011 serait de « ramener les croyants qui assistaient à des réunions privées [illégales], à participer à des activités enregistrées et officielles ». Cette déclaration avait été faite peu de temps avant le lancement d’une nouvelle campagne de répression dans le contexte du printemps arabe au Moyen-Orient, lequel entraîna en Chine l’arrestation de centaines de blogueurs, avocats, artistes et militants pour les droits de l’homme.

Après que la police eut fermé le lieu de culte de l’Eglise de Shouwang, ses fidèles ont tenté de se rassembler à l’extérieur pour les célébrations dominicales, mais ne réussirent qu’à se faire capturer par la police. Certains furent assignés à résidence, d’autres rapatriés dans leur ville d’origine en province.

En mai 2011, Jin Mingri a été désigné pour porter la pétition des pasteurs demandant plus de liberté religieuse à l’Assemblée nationale du populaire. Quelques jours auparavant, un agent de la Sécurité publique était venu chez lui avant de l’emmener dans un café voisin pour une ‘discussion’. Le fonctionnaire avait « simplement voulu l’avertir des sévères conséquences » qu’il encourrait, s’il acceptait cette mission. Jin Mingri se contenta de lui répondre qu’il y réfléchirait.

« Le problème est très complexe, explique Jin Mingri, spécialement en Chine où il n’y a pas de questions religieuses simples. Religion et politique sont intimement liées. Nous avons donné notre pétition à l’Assemblée nationale populaire, non pas au nom d’une communauté se désignant elle-même comme chrétienne, mais au nom de citoyens revendiquant leurs droits. Bien évidemment, c’est une action politique. »

Quelques jours plus tard, il a envoyé de nouveau la pétition des pasteurs, par email. A ce jour, leur groupe n’a toujours pas reçu de réponse.

Pour le moment, Jin Mingri est toujours autorisé à prêcher bien qu’il reçoive régulièrement la visite d’agents de la Sécurité publique. Mais il n’a aucunement l’intention de céder.