Eglises d'Asie

Etat Kachin : témoignage de deux rescapés des violences armées

Publié le 09/02/2012




Dans la délicate partie qui se joue entre le gouvernement de Naypyidaw et les rébellions ethniques, les populations civiles payent un lourd tribut aux violences armées, notamment dans l’Etat Kachin. Depuis la reprise des combats en juin dernier entre la KIA (Kachin Independence Army) et l’armée birmane, il est estimé que 60 000 Kachin ont fui leurs foyers (1) pour trouver refuge…

… dans des zones contrôlées par la rébellion ou encore en franchissant les frontières en direction de la Chine et de la Thaïlande. Le 9 février, l’agence Ucanews a publié le témoignage de deux rescapés de ces violences.

Le premier témoignage est celui d’un jeune garçon âgé de 14 ans. Désormais orphelin, il a trouvé refuge à Nongdao, en Chine populaire, juste au-delà de la frontière avec la Birmanie, où Karuna Banmaw, la Caritas du diocèse de Banmaw, l’un des deux diocèses de l’Eglise catholique en pays kachin, l’a pris en charge. Profitant d’une relative accalmie des combats, il est arrivé il y a peu dans ce centre pour accueil des réfugiés kachins monté par l’Eglise catholique. Les événements de son récit ne sont pas précisément datés. « Des tirs ont éclaté lors que les troupes gouvernementales ont investi notre village, témoigne-t-il. C’est alors que ma mère et moi avons pris la fuite. Mais ma mère a glissé, elle est tombée mais elle m’a crié de ne pas cesser de courir. Je me suis mis à l’abri dans un champ de maïs. C’est ensuite que j’ai entendu la voix de ma mère. J’ai couru vers elle mais je l’ai trouvée morte, tuée par une balle. » Le jeune garçon poursuit en racontant qu’il n’avait plus que sa mère, son père étant décédé alors qu’il était en bas âge. « Je n’ai plus de parents désormais. Je n’ai aucune idée de la manière dont je vais pouvoir survivre. »

Le second témoignage est celui d’un catéchiste, Paul Natel. Agé de 43 ans, il a trouvé refuge dans un camp géré par Karuna Lashio Social Services, la Caritas du diocèse de Lashio. Le camp est situé à Nankham, dans la partie nord de l’Etat Shan, en Birmanie, à un jet de pierre de la frontière chinoise et de la ville de Ruili. Il raconte : « Après nous être cachés dans la forêt durant deux semaines environ, nous avons réalisé, moi et les quatre amis qui étaient avec moi, que nous devions trouver refuge dans le camp de Manwingyi, situé sur le territoire du diocèse de Banmaw. Pour ne pas nous perdre et trouver notre chemin, nous utilisions des talkies-walkies et notre crainte était de nous faire prendre par une patrouille de l’armée. Avec de tels instruments, les soldats nous auraient à coup sûr pris pour des rebelles et nous aurions été abattus sur le champ. Mais nous n’avions pas le choix ; si nous voulions atteindre le camp, il fallait pouvoir s’orienter. Nous avancions lentement car il nous fallait porter des personnes âgées et des enfants qui ne pouvaient pas marcher. Le camp n’était pas très éloigné, à seulement cinq heures de marche, mais nous avons dû nous arrêter en pleine jungle durant la nuit. Personne ne pouvait dormir tant la peur dominait. Au petit matin, nous nous sommes remis en route et nous avons pu parvenir jusqu’à l’église Saint-Patrick à Manwingyi. Là, le curé nous a pris en charge et a organisé notre transfert jusqu’au camp de Nankham car il y avait déjà un trop grand nombre de réfugiés à Manwingyi. » A Nankham, Karuna Lashio Social Services subvient aux besoins d’environ 500 réfugiés, répartis en deux lieux, tandis que l’Eglise baptiste et une association de l’ethnie Pa-laung s’occupent de 500 autres réfugiés. Paul Natel conclut : « Aujourd’hui, nous sommes réfugiés ici, mais notre situation demeure très incertaine. »

Depuis l’échec des pourparlers du 19 janvier dernier entre le gouvernement birman et la rébellion kachin (2), la question ethnique, ainsi qu’il est convenu d’appeler le problème des rapports entre le centre birman et la périphérie du pays peuplée de minorités ethniques, reste entière. Les réformes décidées par Naypyidaw se poursuivent et la campagne en vue des élections législatives partielles du 1er avril prochain va bon train. La dynamique réformatrice semble toutefois se heurter à la méfiance qui continue de régner au sein des organes politiques et militaires des rébellions ethniques. L’accord de cessez-le-feu signé le 12 janvier dernier entre le gouvernement et la KNU (Karen National Union) n’est pas accepté par une partie de la direction de la rébellion karen. Dans l’Etat Mon, situé dans la partie sud de la Birmanie, entre l’Etat Kayin et la mer d’Andaman, la situation ne semble pas non plus stabilisée : des contacts approfondis ont eu lieu le 1er février entre le New Mon State Party (NMSP) et Aung Min, ministre des Chemins de fer, au sujet de futurs pourparlers de paix, mais, le 8 février, le président du NMSP, Nai Htaw Mon, a déclaré que son organisation ne signerait pas de traité avec Naypyidaw tant que l’armée birmane continuerait à faire la guerre aux Kachins.

A la publication The Irrawaddy, Nai Htaw Mon a précisé : « Ne croyez pas que [les groupes ethniques] soient divisés. Avec ce gouvernement, chacun d’entre nous a vécu des situations particulièrement amères. Si nos demandes ne sont pas satisfaites, nous pouvons très bien retrouver une unité et reprendre les armes. »

Au-delà du scrutin du 1er avril et de la mise en place d’un début très réel de démocratisation, la question de l’organisation constitutionnelle future des institutions birmanes n’a pas encore été abordée, font valoir les observateurs. Les minorités militent pour une dévolution fédérale du pouvoir, mais, là aussi, les propositions concrètes font défaut.