Eglises d'Asie

Sichuan : les Tibétains font de l’immolation par le feu l’arme ultime contre Pékin

Publié le 14/02/2012




Lundi 13 février, le mouvement de résistance des bouddhistes tibétains par l’auto-immolation a franchi une nouvelle étape. La nouvelle du décès de la jeune nonne bouddhiste qui s’était immolée par le feu samedi dernier, a précédé de quelques heures seulement celle de la tentative d’immolation d’ un moine de 19 ans, Lobsang Gyatso, cet après-midi.

Selon Free Tibet qui rapporte l’information, l’adolescent appartient à la communauté du monastère de Kirti, lequel symbolise aux yeux des autorités chinoises, l’esprit de la résistance des religieux tibétains et le point de départ de la vague de suicides par le feu qui sévit actuellement au Sichuan (1).

Vers 14 h, heure locale, dans la ville de Ngaba (Aba), près du monastère de Kirti, au Sichuan, le jeune moine a enflammé ses vêtements imbibés d’essence mais les agents de la Sécurité publique, très présents aux alentours du monastère de Kirti, « ont éteint les flammes et l’ont évacué de force ». La déclaration de l’ONG précise que « personne ne sait ce que le jeune garçon est devenu ni s’il est encore vivant ».

Quelques heures auparavant, les principales agences de presse internationales ainsi que la très officielle agence Chine Nouvelle (Xinhua), confirmaient que Tenzin Choedron, 18 ans, nonne au monastère de Mamae, avait succombé à ses blessures, suite à sa tentative d’immolation par le feu dans la soirée de samedi 11 février. Selon les récits des témoins, Tenzin Choedron avait scandé des slogans anti-chinois et appelé à la liberté au Tibet et au retour du dalai lama, avant de s’asperger de pétrole et de se transformer en torche vivante sur un carrefour de la route principale de Ngaba. Elle avait été emmenée rapidement par la police, encore vivante, vers une destination inconnue. Le gouvernement tibétain en exil à Dharmasala a infirmé la version de Xinhua selon laquelle la jeune fille serait décédée sur le chemin de l’hôpital de Ngaba le samedi 11 février. Dans une déclaration parue aujourd’hui, le Parlement tibétain affirme que Tenzin Choedron est morte tôt ce matin à l’hôpital militaire de Barkham. « Son père a été informé que son corps ne serait pas rendu à la famille pour lui rendre les derniers rites », précise même le communiqué.

Depuis samedi dernier, l’armée a encerclé le monastère de Mamae (Dechen Choekhorling ), pourtant déjà sous étroite surveillance depuis l’immolation et le décès, en octobre dernier, d’une autre nonne, Tenzin Wangmo, âgée de 20 ans. Mamae, avec ses quelque 350 religieuses affichant leur fidélité au dalai lama, est considéré par les autorités chinoises, comme un centre dissident, sorte de pendant féminin du monastère de Kirti, dont il partage la même proximité avec la ville de Ngaba. Lors du soulèvement de 2008, les nonnes de Mamae avaient participé en masse aux manifestations et bon nombre d’entre elles avaient été molestées ou emprisonnées.

Le geste de Lobsang Gyatso porte à au moins 24 le nombre de bouddhistes tibétains, religieux mais aussi laïcs (2) qui ont tenté de s’immoler par le feu en moins d’un an, en protestation à la répression religieuse menée par Pékin. Depuis une semaine, le phénomène s’est accéléré brutalement, avec trois tentatives d’immolations en une semaine. Trois jours avant que la jeune nonne ne tente de s’immoler, un ancien moine du monastère de Kirti, Rinzin Dorje, s’était sacrifié, de la même façon atroce et spectaculaire, avant d’être évacué rapidement par les forces de l’ordre. Aucune nouvelle de lui n’a filtré depuis.

A l’approche des célébrations du Nouvel An tibétain (Losar), qui cette année auront lieu du 22 au 24 février, les autorités du Sichuan ont décidé de prévenir tout soulèvement en appliquant les recettes habituelles mêlant censure et répression (3). Hier, le Premier ministre du gouvernement tibétain en exil, Lobsang Sangay, a révélé avoir « des informations selon lesquelles des centaines de convois de tanks et de camions transportant du matériel militaire faisaient actuellement route vers le Tibet ».

A Ngaba, des policiers sont postés « tous les 10 mètres », rapporte le Guardian du 12 février, qui décrit l’impressionnant dispositif de sécurité déployé dans toute la ville, ainsi que les camions remplis de policiers prêts à intervenir avec des extincteurs, au pied du monastère de Kirti. La région est aujourd’hui coupée du monde, Internet et le réseau portable ne fonctionnent plus, les journalistes sont interdits d’accès, et le moindre renseignement donné par téléphone est passible de prison.

Il y a peu encore, des images diffusées sur Internet montraient la violence des manifestations qui vont croissant depuis janvier. Selon les ONG de défense des droits de l’homme, celles-ci auraient déjà fait de plusieurs morts parmi la population tibétaine. Quant à Chen Quanguo, le responsable du Parti comuniste pour le Tibet, il a prévenu ses troupes de se tenir « prêtes pour la guerre ». De l’avis des observateurs, les troubles actuels dans les régions tibétaines sont les plus importants depuis les émeutes antichinoises de Lhassa de 2008. Par ailleurs, l’alarmante amplification du phénomène des immolations semble démontrer une détermination encore plus forte des Tibétains, ainsi que la possibilité de « commettre des actes de plus en plus désespérés ».

Dans son communiqué paru aujourd’hui, le Parlement tibétain en exil a rappelé au gouvernement chinois qu’il était aujourd’hui dans une position où il ne pouvait plus se permettre d’ignorer les demandes du peuple tibétain au risque de voir la situation empirer et peut-être même une rébellion éclater.