Eglises d'Asie

Les pourparlers entre les minorités ethniques et Naypyidaw se multiplient mais aucune solution politique ne semble en vue

Publié le 09/03/2012




Tandis que le pays se prépare aux élections législatives partielles du 1er avril prochain, le gouvernement de Naypyidaw multiplie les pourparlers avec les représentants des minorités ethniques. Si certaines négociations débouchent sur la signature d’accords de cessez-le-feu, aucune solution politique de fond ne semble toutefois être proposée par le pouvoir en place.

 Le 7 mars dernier, à Loikaw, capitale de l’Etat Kayah, situé sur le flanc oriental de l’Union du Myanmar, une délégation du gouvernement birman a signé un accord de cessez-le-feu avec le KNPP (Karenni National Progressive Party), principal représentant politique du peuple karenni (qui peuple l’Etat Kayah). Paraphé par U Aung Min, ministre des Chemins de fer et poids lourd du gouvernement birman, et Khu Oo Reh, du KNPP, l’accord comporte trois points : un cessez-le-feu proprement dit entre les rebelles karenni et l’armée birmane, la création de bureaux de liaison afin prévenir toute difficulté dans l’application du cessez-le-feu et enfin un engagement à ouvrir à l’avenir de nouvelles négociations.

Divers observateurs étaient présents lors de la signature de cet accord, dont des membres du Haut Commissariat pour les réfugiés de l’ONU, ainsi que des diplomates américains et anglais. Pour l’Eglise catholique, très présente au sein des diverses composantes du peuple karenni, on notait, dans les rangs des observateurs, la présence de l’évêque de Loikaw, Mgr Sotero Phamo, accompagné d’un de ses prêtres.

Selon Khu Oo Reh, le nouvel accord de cessez-le-feu augure mieux que le précédent de 1995, qui avait été rompu trois mois plus tard. La rencontre du 7 mars à Loikaw a été précédée de négociations préliminaires à Chiang Mai, en Thaïlande, au mois de février et « cette fois, les discussions se sont mieux déroulées que lorsque nous nous étions rencontrés en 1993, 1994 et 1995 », a expliqué le leader politique, précisant que « les réformes engagées par Naypyidaw depuis quelques mois et la forme civile du gouvernement » permettaient d’envisager l’avenir avec un certain optimisme. « Il est toutefois trop tôt pour dire si nous sommes parvenus à un résultat satisfaisant », a-t-il conclu.

Le lendemain 8 mars, plus au nord et cette fois-ci dans la ville chinoise de Ruili, le gouvernement birman a ouvert un nouveau round de négociations avec la rébellion kachin. En novembre 2011, puis en janvier dernier, de précédents pourparlers avaient achoppé sur le fait que l’armée birmane poursuivait ses opérations militaires dans l’Etat Kachin, mais, pour cette nouvelle session de négociations, les dirigeants kachin se sont montrés enclins à espérer une issue positive. « Les deux parties ont témoigné de leur volonté réciproque d’entrer dans un dialogue politique », a déclaré très récemment le général Gun Maw, vice-chef d’état-major de la Kachin Independence Army à The Irrawaddy. L’optimisme était toutefois tempéré par le fait que si « [Naypyidaw] avait entamé des réformes, le changement n’était pas encore complet », avait ajouté le général kachin. « Les changements ne vont pas jusqu’à englober la question ethnique. Nous pouvons même affirmer qu’aucune des questions soulevées par les minorités ethniques n’a pour l’heure trouvé de réponse. Notre attitude reste donc : ‘Wait and see’. »

Quelques jours auparavant, le 1er mars, le président birman, Thein Sein, s’était adressé au Parlement de l’Union à l’occasion d’un discours-bilan marquant le premier anniversaire de son nouveau gouvernement civil. Sur le sujet des minorités ethniques, il y réitérait son annonce faite le 12 décembre dernier selon laquelle il avait ordonné aux soldats gouvernementaux de mettre fin aux « attaques » contre les groupes armés des minorités ethniques. « Le commandant en chef des armées, le général Min Aung Hlaing, a lui aussi ordonné à ses troupes de cesser les hostilités », a-t-il curieusement précisé, laissant penser que le chef des armées pourrait mener une politique différente de celle du sommet de l’Etat. Il a aussi ajouté que « [le] pays formant une Union, toutes les minorités ethniques devraient être pareillement impliquées dans le processus politique [de réforme]. » « (…) Il est nécessaire que nous, au gouvernement, contribuions à résorber les incompréhensions et la méfiance qui existent entre les groupes ethniques et le gouvernement », a-t-il poursuivi. Citant un jeune chef rebelle qui affirmait que ses soldats tenaient un fusil entre leurs mains alors qu’ils auraient préféré travailler avec un ordinateur portable, Thein Sein a déclaré « avoir décidé de profiter d’être au pouvoir pour éliminer toutes ces infortunes ». Sur le fond, le président a plaidé pour la sincérité des dirigeants birmans : « Nous ne cherchons pas à piéger quiconque sur le chemin qui mène à la paix (…). Nous négocions des pourparlers de paix sur la base de l’esprit de l’accord de Panglong. »

L’accord de Panglong renvoie à la base fédérale sur laquelle avait été rédigée la première Constitution du pays. Lors de la seconde guerre mondiale, certaines minorités avaient choisi de s’aligner sur le Japon (Birmans, Arakanais bouddhistes notamment), d’autres restant fidèles aux troupes alliées (Karens, Kachins et populations musulmanes). Le général Aung San, héros de la libération du pays (à la fois des colons britanniques et des envahisseurs japonais) et père d’Aung San Suu Kyi, leader de l’actuelle opposition démocratique, avait donc mené des négociations avec la plupart des chefs de groupes ethniques afin de réunifier cette mosaïque de peuples sous une même fédération. Le 12 février 1947, il signait avec 21 représentants de minorités ethniques (dont les Shans, Chins et Kachins, les Karens ayant refusé de traiter), l’accord de Panglong, au terme duquel la majorité des groupes ethniques acceptait de se réunir en une « Union de Birmanie », sous un régime de type fédéral, avec un gouvernement central mais une forte autonomie pour chacun des sept Etats (des minorités ethniques) et des sept Divisions (à majorité birmane).

Cet accord reste encore aujourd’hui le modèle d’union prôné par les principaux groupes ethniques rebelles. Ainsi, dans l’interview citée ci-dessus accordée à The Irrawaddy, le Kachin Gun Maw y fait directement référence : « [Notre] intention est d’obtenir des droits égaux et l’auto-détermination, comme cela avait été décidé avec l’accord de Panglong en 1947. »

Selon les observateurs, la difficulté réside dans une différence d’approche entre les rébellions ethniques et le gouvernement central : pour les minorités, la référence est l’accord de Panglong lui-même, tandis que Naypyidaw ne fait mention que de « l’esprit » de l’accord de Panglong, sans jamais préciser sa traduction institutionnelle pour aujourd’hui.