Eglises d'Asie

L’Etat décerne une haute distinction nationale à deux missionnaires catholiques

Publié le 28/03/2012




Dimanche 26 mars, la Saint Anthony’s Church à Karachi était pleine à craquer pour une messe célébrée en l’honneur de deux missionnaires : Sœur John Berchmans Conway, de la congrégation des Religieuses de Jésus-Marie, et le P. Robert McCulloch, de la Société missionnaire de Saint Colomban. L’une est irlandaise, l’autre est australien, et tous deux sont présents depuis des décennies au Pakistan. La messe du 26 mars était célébrée en action de grâce…

 … pour l’œuvre de ces deux missionnaires catholiques, décorés le 23 mars du Sitara-e-Quaid-e-Azam Award, la plus haute distinction civile qui puisse être accordée par l’Etat à un non-Pakistanais.

Conférée à la demande d’Ishrat ul Ibad, gouverneur de la province du Sind, confirmée par le Premier ministre et remise par le président de la République, la décoration accordée à chacun des deux missionnaires est exceptionnelle dans une actualité qui, en ce qui concerne la petite minorité chrétienne de ce pays très majoritairement musulman, est le plus souvent marquée par des violences récurrentes. C’est en effet la première fois que les plus hautes autorités du pays distinguent ainsi des catholiques. Présent au Pakistan depuis 33 ans, le P. McCulloch a accueilli la nouvelle de sa distinction civile en ces termes : « Je considère cette décoration comme une affirmation publique des autorités pakistanaises du rejet de la montée du sentiment antichrétien dans la société tel qu’il est favorisé par les fondamentalistes et les extrémistes islamiques. » Il ajoutait : « Je veux croire que nous avons été tous deux distingués car tout ce que nous avons fait, nous l’avons fait au sein de l’Eglise du Pakistan, aux côtés de prêtres, de religieuses et de laïcs pakistanais. Pour moi, c’est une reconnaissance de ce qu’est l’Eglise au Pakistan et du fait que cette Eglise est pakistanaise. »

Décoré pour « services rendus dans le domaine de la santé, de l’éducation et des relations interreligieuses », le P. McCulloch est âgé de 65 ans. Aujourd’hui président du conseil d’administration de l’Hôpital St. Elizabeth à Hyderabad, dans le Sind, il s’est impliqué dans le domaine de la santé dès son arrivée au Pakistan, en 1979. Il a ainsi monté des campagnes de vaccination contre la tuberculose dans les campagnes reculées du Sind où habitaient des minorités religieuses délaissées de tous (1). Les travailleurs médicaux de religion musulmane ne voulaient pas toucher ces personnes, jugées « impures ». Aujourd’hui, témoigne le P. McCulloch, ces préjugés sont tombés et il arrive même que les autorités pakistanaises fassent appel à des équipes composées de chrétiens pour apporter des soins à des populations musulmanes. Le missionnaire est persuadé que les attitudes les plus ancrées dans les mœurs peuvent évoluer, comme il l’expliquait dans un article publié en 2010 dans la revue des missionnaires de Saint Colomban aux Etats-Unis, intitulé : « Attitudes do change ».

Le P. McCulloch a également introduit au Pakistan les soins palliatifs, notamment à domicile. En collaboration avec des hindous et des musulmans, il a également développé des services d’aide médicale à destination des plus pauvres. Enfin, dès 1985, il créait une école pour garçons dans les villages du diocèse de Hyderabad, l’initiative ayant aujourd’hui abouti à la création d’une cinquantaine d’écoles. En sus de ces multiples responsabilités, le P. McCulloch a longuement présidé le Comité épiscopal pour la traduction (en ourdou) des textes liturgiques.

Agée de 81 ans, Sr Berchmans a un parcours aussi rempli que celui du P. McCulloch. Irlandaise, membre d’une congrégation française fondée en 1818, elle est arrivée au Pakistan à l’âge de 24 ans, quelques années à peine après la partition du Pakistan et de l’Inde en 1947. Sa vie entière a été consacrée à l’éducation des jeunes filles pakistanaises, les Religieuses de Jésus-Marie assumant la direction d’établissements scolaires à Lahore, Murree et Karachi, qui accueillaient – et accueillent encore aujourd’hui – une bonne partie de l’élite féminine du pays. Parmi ses anciennes élèves figurent Benazir Bhutto et Asma Jahangir, ardente avocate des droits de l’homme, ou bien encore l’épouse de l’actuel président de la République Asif Ali Zardari.

Décorée pour « services rendus dans le domaine de l’éducation et de la promotion de l’harmonie interreligieuse au Pakistan », Sr Berchmans s’est déclarée « très heureuse et très surprise » à l’annonce de sa distinction. « Tout au long de ces cinquante-neuf années de mission, j’ai essayé de promouvoir des valeurs morales et éthiques sur la base de l’acceptation de l’autre, du pardon, de la gentillesse et de l’obéissance », a précisé celle qui fut professeur d’anglais et de mathématiques avant de devenir principale d’établissement scolaire. Interrogée sur le niveau d’éducation dans le pays, elle a précisé : « Le taux d’analphabétisme au Pakistan demeure élevé mais les parents sont désormais plus désireux de laisser à leurs filles la possibilité de recevoir une éducation. »

Dans un pays où les chrétiens (1,9 % de la population) souffrent d’une sorte de « double peine » du fait d’appartenir aux plus bas échelons de la société et de professer une foi qui leur vaut de fréquentes attaques de la part d’extrémistes musulmans, le P. McCulloch, qui a été très récemment rappelé à Rome pour prendre en charge la procure centrale des missionnaires de Saint Colomban, se veut optimiste pour l’Eglise du Pakistan. Si elle est pauvre matériellement, cette Eglise est riche en enthousiasme et en talents, explique-t-il. Quant à leur place dans une société en voie d’islamisation rapide, il note : « Les chrétiens ne sont souvent décrits que par le fait qu’ils appartiennent à une minorité. Lorsqu’ils prétendent à quelque chose, ils se voient répondre : ‘Vous ne le pouvez pas car vous n’êtes pas musulman.’ Mais je les encourage toujours à répondre : ‘Si je le peux parce que je suis catholique.’ Les chrétiens du Pakistan peuvent être fiers, tant de leur appartenance religieuse que de leur identité pakistanaise. Pour ma part, en temps que prêtre, je suis leur débiteur : ils m’enseignent à être constant dans la foi en dépit de tout ce qui peut arriver. »