Eglises d'Asie

En dépit de l’islamisation croissante de la société, des chrétiens veulent croire à la possibilité d’une cohabitation paisible

Publié le 15/05/2012




Les nouvelles dramatiques en provenance du Pakistan sont fréquentes, notamment celles concernant le sort des minorités religieuses. Pourtant, parmi les 5 % des 190 millions de Pakistanais qui ne sont pas musulmans mais chrétiens (2 % de la population), ou encore hindous, sikhs, parsis, bouddhistes, certains veulent croire qu’en dépit de l’islamisation progressive de la société, une cohabitation paisible avec la majorité musulmane est possible.

Le week-end dernier à Lahore, l’Eglise presbytérienne du Pakistan en collaboration avec l’Institut de théologie pour les laïcs, une institution rattachée à l’Eglise catholique, organisait un colloque intitulé « Faith in Context », réunissant divers intervenants chrétiens et membres de la société civile, dont des musulmans. Les participants du colloque n’ont pas caché que les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et le déclenchement de la guerre en Afghanistan qui avait suivi avaient été le point de départ d’une « décennie noire ». Au Pakistan, le sentiment anti-chrétien n’a fait que croître, ont-ils rappelé, et depuis cinq ans notamment, les attaques ciblant des lieux de culte chrétiens sont allées crescendo. Toutefois, ont-ils ajouté, il existe des raisons de garder espoir.

Secrétaire exécutif de la Commission pour l’œcuménisme et le dialogue interreligieux de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan, Javed William a expliqué que « nombreux étaient les responsables des Eglises chrétiennes à savoir qu’au sein de la société pakistanaise, l’homme de la rue associait les chrétiens à l’Amérique et les hindous à l’Inde ». L’élimination d’Oussama ben Laden il y a un peu plus d’un an par un commando américain dans la ville de garnison d’Abbottabad a encore accru la force du sentiment anti-américain, a-t-il souligné, des Pakistanais musulmans trouvant chez les Pakistanais chrétiens un exutoire facile à leur vindicte envers les Etats-Unis. « Dans un tel contexte, il est essentiel, ne serait-ce que pour notre survie, que nous réussissions à mener un dialogue sincère avec les musulmans », a estimé le responsable catholique, en concluant par ces mots : « La minorité chrétienne ne peut en aucune façon se permettre une confrontation avec la majorité [musulmane] ».

Pour la presbytérienne Romana Bashir, responsable du Centre d’études chrétiennes de Rawalpindi, ville jumelle de la capitale Islamabad, les chrétiens doivent persévérer dans la double approche que certains de leurs responsables ont choisi de mettre en œuvre, à savoir à la fois garder le contact avec les milieux islamiques radicaux et mener des actions concrètes avec des musulmans sur le terrain. Elle cite à cet égard la province du Pendjab, où vivent 80 % des chrétiens du pays et « où les violences anti-chrétiennes se sont multipliées ces dernières années ». En dépit de ces violences, qui ne doivent pas être niées, elle a expliqué que pourtant les relations entre musulmans et chrétiens s’amélioraient.

« Des madrasas (écoles coraniques), certes peu nombreuses, admettent désormais des chrétiens aux cours d’informatique qui y sont dispensés », a-t-elle mis en avant, soulignant au passage l’état lamentable dans lequel se trouvait le système public d’éducation. Elle a aussi expliqué que « des oulémas appartenant à la mouvance radicale se montraient mieux disposés à l’égard des chrétiens », citant le cas de l’un d’entre eux qui a accepté d’inclure des couples chrétiens dans le programme qu’il a mis en place pour les couples pauvres désirant se marier (dans une société où la dot occupe une place considérable, la pauvreté économique est un frein au mariage). « Oui, il y a de l’espoir », a conclu Romana Bashir.

Parmi d’autres signes indiquant que le sort des minorités religieuses au Pakistan n’est pas uniformément sombre figure la publication de l’ouvrage du jésuite allemand Christian Troll, récemment traduit en ourdou. Spécialiste de l’islam et plus particulièrement de l’islam en Asie du Sud, le jésuite était à Lahore à la fin du mois de février dernier pour le lancement de Muslim Swalat, Masihi Jwabat (traduction de Muslime fragen, Christen antworten paru en 2003) (1). Dans un pays où les avocats ont souvent ces derniers temps, pris le parti des milieux islamistes les plus durs, c’est un avocat réputé pour plaider régulièrement devant la Cour suprême, Abid Hassan Minto, qui a présenté cette traduction à la presse. Dans son discours, il n’a pas hésité à évoquer les sujets sensibles : « Le caractère très imprécis de la définition juridique du blasphème ou bien encore les préjugés entretenus dans les manuels scolaires envers les religions autres que l’islam mettent en danger toutes les minorités. » Il a également ajouté qu’au Pakistan, la religion ne devrait pas jouer de rôle en politique ou dans le fonctionnement des institutions de l’Etat.

Pour le dominicain James Channan, du Centre pour la paix de Lahore, une structure animée par sa congrégation, un tel ouvrage est nécessaire au Pakistan, où la crainte d’être accusé de blasphème rend difficile tout dialogue interreligieux. « A plusieurs occasions, des accusations de blasphème ont été lancées après que des discussions sur des sujets religieux aient tourné au vinaigre. [Le livre du P. Troll] peut être une aide pour les personnes qui sont engagées dans des initiatives interreligieuses », a-t-il estimé.

Dans l’immédiat, l’actualité récente a toutefois continué de produire son lot de nouvelles inquiétantes. Dans la vaste province du Baloutchistan, agitée de revendications irrédentistes, un employé du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), enlevé à Quetta, avait disparu depuis quatre mois. Le 29 avril, son corps décapité a été retrouvé sur le bas-côté d’une route. Agé de 60 ans, de nationalité anglaise, Khalil Dale s’appelait auparavant Ken Dale, mais avait pris le prénom de Khalil après sa conversion à l’islam, il a plusieurs années de cela. Le 10 mai dernier, le CICR a annoncé qu’il suspendait ses opérations à Karachi et Peshawar et étudiait le maintien de sa présence dans le pays. Au sein la branche de Quetta de la Caritas Pakistan, on confirmait que même les équipes locales de la Caritas ne pouvaient plus se rendre dans les régions reculées de la province, mais que néanmoins l’action caritative du vicariat apostolique de Quetta serait poursuivie.