Eglises d'Asie

Vives tensions antimusulmanes dans l’Etat de l’Arakan

Publié le 05/06/2012




A la suite du viol et du meurtre d’une jeune femme bouddhiste, des émeutiers s’en sont pris à un bus de pèlerins musulmans dans l’Etat de l’Arakan, faisant dix morts et des blessés graves. Naypyidaw met en garde contre tout « débordement anarchique ».

Dimanche 3 janvier 2012, dans le sud-ouest de la Birmanie, en plein centre de l’Etat de l’Arakan, un bus de pèlerins musulmans revenant d’une fête religieuse a été intercepté par une foule d’une centaine de personnes. L’incident s’est produit près de la ville de Taunggup (Toungup ou Taunggok selon les transcriptions) et a dégénéré en une flambée de violence. Les assaillants, des Arakanais bouddhistes, en colère après le viol et le meurtre, quelques jours auparavant, d’une jeune Arakanaise âgée de 26 ans, crime imputé à des musulmans rohingyas, ont fait descendre tous les passagers du bus et tué neuf d’entre eux. Un dixième musulman qui accompagnait l’autocar en voiture a également été frappé à mort. Plusieurs autres passagers du bus ont été grièvement blessés. Selon une résidente de Taunggup jointe par téléphone par l’agence Ucanews, les victimes, si elles étaient bien de religion musulmane, n’appartenaient pas à la minorité rohingya de l’Arakan, mais étaient originaires du centre de la Birmanie. « L’attaque est survenue très brutalement et n’a pas duré une demi-heure. La police n’a rien pu faire pour intervenir », rapporte encore cette habitante de Taunggup.

Selon des dépêches d’agences de presse internationales, des tracts antimusulmans circulaient depuis plusieurs jours à Taunggup. Ils faisaient notamment référence à l’arrestation de trois hommes habitant le village majoritairement musulman de Kyaukhtaran, sur la presqu’île de Rambree, au nord de Taunggup. Arrêtés le 29 mai dernier par la police, elle-même sous la pression d’une foule d’un millier de personnes qui étaient venues exiger une action rapide des forces de l’ordre, les trois hommes étaient soupçonnés d’être les auteurs du viol et du meurtre de la jeune Arakanaise, retrouvée assassinée le 28 mai.

Le 4 juin, sur son site Internet tout nouvellement ouvert, le ministère de l’Information à Naypyidaw a brièvement rapporté la nouvelle ainsi qu’un autre incident qui a opposé à Sittwe, capitale de l’Etat de l’Arakan, plusieurs centaines de manifestants à la police (1). Cette fois-ci, les protestataires réclamaient la remise en liberté d’un homme interpellé dans le cadre d’une dispute sur un marché. La police a dû faire usage de gaz lacrymogène et a tiré en l’air pour disperser la foule, rapporte le ministère de l’Information, qui précise qu’une douzaine de personnes ont été blessées au cours de l’incident qui mettait aux prises musulmans et bouddhistes.

Face à l’instabilité de la situation dans l’Etat de l’Arakan (ou Etat Rakhine), le gouvernement birman a mis en garde contre tout « débordement anarchique » dans cette région du pays où cohabitent très difficilement une majorité bouddhiste et une minorité musulmane. La télévision d’Etat a annoncé que ceux qui enfreindraient la loi seraient sévèrement punis.

Au nombre d’environ un million, les Rohingyas, de langue indo-européenne et de religion musulmane, vivent dans la partie nord de l’Etat de l’Arakan à la frontière du Bangladesh. Ils sont fortement discriminés par les Arakanais, qui sont eux de langue lolo-birmane et de religion bouddhiste. L’ostracisme dont ils sont victimes dans leur pays remonte à l’indépendance de 1948. Les Rohingya ayant fourni des supplétifs à l’armée britannique lors de sa conquête du pays au XIXème siècle, ils furent de fait assimilés aux colonisateurs, devenant des boucs émissaires tout désignés. En 1978, 200 000 Rohingyas furent forcés par les autorités birmanes à migrer au Bangladesh, avant d’être rapatriés massivement par l’UNHCR. En 1982, un décret leur imposa de prouver que leurs ancêtres étaient établis en Birmanie avant la colonisation britannique, faute de quoi leur citoyenneté leur serait déniée.

Aujourd’hui, les musulmans rohingyas demeurent de facto des apatrides dans leur propre pays. Après le coup d’Etat de la junte en 1988, des opérations de nettoyage ethnique ont été lancées contre les Rohingyas et, aux offensives armées, se sont ajoutées de violentes discriminations : travail forcé, confiscation des terres et, en 2005, interdiction de se marier ou de se déplacer sans accord des autorités. Privés de travail, d’accès à l’éducation, aux soins ou à l’aide alimentaire, les Rohingyas ont pris le chemin de l’exil, vers les pays frontaliers dans un premier temps (Chine, Laos, Thaïlande et surtout Bangladesh), tentant ensuite de gagner des pays à forte présence musulmane (Inde, Pakistan, Malaisie ou même Arabie Saoudite où ils mènent une vie de clandestins), au point qu’ils sont plus nombreux aujourd’hui hors de Birmanie (plus d’un million) que dans leur pays d’origine (de 750 000 à un million).

Au mois de décembre dernier, à l’occasion d’une visite à Naypyidaw du Premier ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, le président Thein Sein a donné l’assurance que la Birmanie accepterait le retour sur son sol des Rohingyas réfugiés au Bangladesh. L’annonce, entourée de très peu de détails, a créé plus d’incertitudes que de soulagement parmi les Rohingyas, dont le sort, en tant que réfugiés au Bangladesh, figure parmi les moins enviables au monde et dont la vie, en tant qu’apatrides au sein de leur propre pays, est particulièrement misérable dans l’Etat de l’Arakan.

Dans le processus d’ouverture et de réformes que connaît la Birmanie depuis un an, la question des Rohingyas semble complètement absente de l’ordre du jour des uns et des autres, que ce soit le gouvernement à Naypyidaw, l’opposition démocratique autour d’Aung San Suu Kyi ou la communauté internationale. Phil Robertson, directeur de Human Rights Watch Asia, souligne que, du 3 au 6 juin, la Birmanie accueille une réunion de la Commission pour les droits de l’homme de l’ASEAN. Lors des pourparlers préliminaires à cette rencontre, le sort des Rohingyas de Birmanie n’a pas été évoqué. Phil Robertson ne s’attend donc pas à ce qu’elle soit abordée ces jours-ci. « Jusqu’ici, l’ASEAN a ignoré ce problème. Peut-on cependant espérer que l’ASEAN se saisisse d’une question aussi fondamentale pour [la stabilité de] la région, et lui trouve une réponse ? », interpelle le responsable.