Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – « Le gouvernement doit se défaire d’une mentalité colonialiste »

Publié le 08/06/2012




La Lettre du pape aux catholiques de Chine vue par un prêtre chinoisEcrite par un prêtre catholique du nord de la Chine, signée d’un pseudonyme (« le P. Huabei »), la lettre ci-dessous a été publiée sur les fils de l’agence Ucanews le 5 juin dernier. Traduite par la rédaction d’Eglises d’Asie, elle offre un aperçu de la manière dont la Lettre de Benoît XVI, rendue publique au printemps 2007, a été reçue par l’Eglise en Chine.

Je m’en voudrais d’écrire que la Lettre du pape Benoît XVI aux catholiques de Chine a déclenché une guerre, mais je me dois de dire que la réalité est encore plus tragique que cela. Des mois avant que la lettre papale ne soit rendue publique, le 30 juin 2007, les rumeurs allaient bon train quant à ce texte. Ceux qui étaient aux commandes en Chine mais dont le cœur n’est pas empli de Dieu, nourrissaient des craintes intenses à son sujet. Et, de fait, dans les heures où la lettre a été publiée, elle s’est trouvée bloquée sur Internet, inaccessible sur le Web [chinois]. Dans les mois qui ont suivi, ceux qui osaient parler de cette lettre le faisaient en baissant la voix et en chuchotant.

A l’époque, la majorité des catholiques en Chine n’avaient pas de connexion à un ordinateur et ils n’ont donc pas pu prendre connaissance de ce texte immédiatement (sans compter le fait que la censure appliquée sur le Net rendait difficile sa circulation).

Quoi qu’il en soit, la tension que la Lettre papale a provoquée au sein de l’Eglise de Chine ne peut qu’être comparée à l’effet que la canonisation de 120 martyrs de l’Eglise en Chine avait eu en 2000. On se souvient que l’organisation à Rome, le 1er octobre 2000, jour de la fête nationale en Chine [NdT : et jour de la sainte Thérèse, patronne des missionnaires], de ces canonisations avaient provoqué l’ire de Pékin et gelé les relations sino-vaticanes.

Après la publication de la Lettre du pape en 2007, des officiels du gouvernement sont souvent venus rendre visite aux prêtres catholiques pour leur demander : « Avez-vous lu la lettre du pape ? » Une fois convaincus que nous n’avions pas lu la lettre, ils repartaient non sans avoir scanné nos papiers personnels et nous avoir récité un laïus selon lequel leur travail de contrôle était particulièrement « réussi ».

Certains prêtres courageux ont toutefois eu l’audace de faire circuler la lettre du pape parmi leurs paroissiens, voire de l’afficher sur les murs de leur église. Ils en reproduisaient le texte et le collaient sur les murs autant de fois que nécessaire, à mesure que des mains hostiles l’arrachaient. On peut toutefois noter qu’en dépit du climat de peur et d’intimidation qui régnait alors, ces prêtres courageux n’ont pas été ennuyés ni convoqués pour se voir sermonner par les autorités.

La tension ambiante faisait cependant son effet et la plupart des évêques et des prêtres se sont contentés de faire le dos rond pour éviter tout ennui superflu. On peut dire que cet état d’esprit a grandement réduit l’impact que ce document aurait dû avoir. A l’exception de quelques personnes qui ont posté sur Internet les résultats de leur réflexion, je n’ai pas vu un grand nombre de catholiques s’organiser pour étudier de manière sérieuse et systématique cette lettre papale. De même, je n’ai pas eu connaissance de ce qu’un évêque n’ait travaillé honnêtement répandre l’essence de la lettre au sein de son clergé. Plusieurs prélats ont bien rédigé des lettres pastorales mais rares sont les textes qui donnent l’essentiel de la lettre du pape. La plupart des évêques ont semblé être davantage accaparés par les affaires courantes de leurs diocèses respectifs ou ont été comme paralysés par un certain sentiment d’impuissance les empêchant d’en faire plus en ce domaine.

En fait, il n’y a eu que deux catégories de personnes à avoir pris vraiment à cœur la lettre du pape Benoît XVI : les catholiques « clandestins », dans la mesure où le pape par sa Lettre, révoquait tous les pouvoirs extraordinaires qui leur avaient été conférés pour faire face à des nécessités pastorales impérieuses dans le contexte difficile des décennies passées ; et le personnel de l’Association patriotique des catholiques chinois, dans la mesure où le pape dans sa Lettre, écrivait que l’Association, du fait que son objet était de promouvoir une Eglise indépendante [de Rome], était incompatible avec la doctrine catholique.

La lettre du pape menaçait la légitimité même de l’existence de ces deux groupes. Ainsi que le bloggeur catholique « Shanyulai » l’a écrit, « la communauté catholique ‘officielle’ est remise en question par le fait que l’Association patriotique est déclarée ‘incompatible avec la doctrine catholique’ tandis que la communauté ‘clandestine’ fait face au cauchemar de se voir sacrifiée sur l’autel des relations diplomatiques entre la Chine et le Vatican ».

Pour les « clandestins », aborder la lettre du pape sans la comprendre dans son entier n’a produit que des effets pernicieux, nombre de catholiques « clandestins » s’estimant désormais condamnés à disparaître.

Pour les membres de l’Association patriotique, la réaction a été plus vive et ils ont compris qu’ils devaient mettre la pression sur les évêques, sur un nombre toujours plus grand d’évêques et de prêtres, pour avoir une chance de survivre. De fait, on ne peut que constater qu’ils sont parvenus, ces dernières années, à un certain nombre de « succès » : en 2007 et en 2008, ils ont célébré avec un faste certain les cinquantenaires respectifs de l’Association patriotique et des premières ordinations épiscopales « autonomes ». En 2010, ils ont mené à bien dix ordinations épiscopales décentes (pour lesquelles les candidats à l’épiscopat avaient été approuvés par Rome ainsi que par Pékin – NdT), tout en finissant l’année par une ordination illicite et en convoquant la Huitième Assemblée nationale des représentants catholiques. En 2011, deux ordinations illicites supplémentaires furent organisées.

Après avoir ainsi instrumentalisé les évêques, l’Association a usé du slogan de « l’évangélisation » pour sauvegarder son statut, accroissant ainsi les « inquiétudes » exprimées par le pape Benoît XVI dans sa lettre.

En résumé, je voudrais redire que, bien que le pouvoir politique continue de harceler notre Eglise, il n’est pas dans les intentions du pape de fomenter une guerre, de jouer un jeu ou de manigancer des stratagèmes ; il ne fait que manifester sa bienveillance et l’amour de Dieu.

La foi catholique ne se soucie que de justice, de paix, de repentance et du renouveau de l’humanité. Le gouvernement devrait se défaire d’une mentalité colonialiste qui voudrait que tous les étrangers cherchent à rabaisser la Chine. Nous ne devrions pas nier le fait que les missionnaires étrangers ont fait œuvre de charité et ont donné leurs vies pour la Chine.

Il est temps aujourd’hui pour nous de relire la lettre du pape et de comprendre que son propos n’est pas de « traiter tous les aspects des problèmes complexes » (de la vie de l’Eglise en Chine) mais de « présenter certaines orientations concernant la vie de l’Eglise et l’œuvre d’évangélisation en Chine » (§ 2 de la Lettre du pape Benoît XVI).

Et nous nous devons de rejeter fermement toutes les voix qui tenteraient de brouiller ou d’affaiblir ce propos.