… amené le pouvoir central, le 10 juin, à décréter l’état d’urgence dans l’Etat de l’Arakan.
Dans l’Etat de l’Arakan (ou Rakhine), les tensions entre la majorité arakanaise bouddhiste et la minorité rohingya musulmane sont fréquentes, les Rohingyas jouissant du sort peu enviable d’apatrides dans leur propre pays et souffrant depuis des années de mesures discriminatoires particulièrement sévères. Mais ces heurts restent généralement de faible intensité tant les militaires et les différents services de sécurité birmans quadrillent le terrain, notamment dans les districts proches de la frontière avec le Bangladesh où se concentrent une bonne partie des quelque 800 000 Rohingyas de l’Etat de l’Arakan. C’est pourtant dans cette région que des violences ont éclaté le 8 juin dernier. Dans la ville de Maungdaw, après la prière du vendredi, des musulmans s’en sont pris à des bouddhistes, faisant plusieurs morts et de nombreux blessés. L’attaque avait été menée apparemment en représailles au lynchage dont avaient été victimes dix pèlerins musulmans cinq jours plus tôt dans un district du centre de l’Arakan. Ceux-ci avaient été eux-mêmes pris pour cible par des bouddhistes voulant se venger du viol et du meurtre d’une jeune femme de leur communauté. La presse locale se montrant peu disserte sur l’attaque du 8 juin, seuls les noms des victimes permettent de déduire qu’elles étaient bouddhistes. « Dix-neuf magasins, 386 maisons et un hôtel ont été brûlés. Quatre homme et une femme ont été poignardés à mort », peut-on lire dans le résumé succinct qui figure sur le site officiel du président Thein Sein.
Réagissant à cet enchaînement de violences sanglantes, le gouvernement a décrété le 10 juin un couvre-feu avant d’imposer l’état d’urgence, mesure qui donne des pouvoirs étendus aux forces armées. Dès le dimanche soir 10 juin, le président Thein Sein s’est adressé à la population dans un discours télévisé. « Des actes d’anarchie se sont propagés largement (…) en Etat Rakhine. Si les deux camps s’entretuent dans une haine et une revanche sans fin (…), cela pourrait se propager au-delà de l’Etat Rakhine (…) », a-t-il déclaré, appelant à un rapide retour au calme. « Ne nous y trompons pas ! Ce que notre fragile démocratie a à perdre ici est considérable : la stabilité et le développement », a-t-il ajouté, soulignant ainsi la vulnérabilité des équilibres ethniques dans une Birmanie en voie de démocratisation rapide depuis plus d’un an mais dont les institutions peinent à trouver la manière d’associer les minorités aux changements politiques. Le président a conclu son discours de neuf minutes en ces termes : « Je ne veux pas vous inquiéter, mais si les tensions venaient à s’aggraver, il deviendra nécessaire d’en appeler à votre collaboration. Je voudrais inviter les personnes, les partis politiques, les responsables religieux et les moyens de communication de masse à s’unir au gouvernement afin de contribuer à ramener la paix et la stabilité et d’éviter une ultérieure escalade de la violence (…). Le gouvernement n’est pas le seul responsable de la stabilité et de l’Etat de droit. »
Dans l’Etat de l’Arakan, les informations recoupées de manière indépendantes sont rares. Selon le site d’information en ligne The Irrawaddy, il semblerait que des Rohingyas aient été également tués, certains abattus par les forces de sécurité, d’autres poignardés à l’arme blanche par des Arakanais. L’intervention de l’armée aurait toutefois ramené un certain retour au calme et à Sittwe, capitale de l’Etat de l’Arakan, un comité interconfessionnel aurait été mis sur pied afin de favoriser un dialogue de paix entre les parties.
Ailleurs dans le pays, notamment à Rangoun, certains ne cachaient pas leur crainte de voir un tel conflit, pourtant très localisé, dégénérer en une guerre interreligieuse d’une plus grande ampleur. Dans un pays où 89 % de la population est bouddhiste et où les communautés chrétiennes et musulmanes (4 % de la population chacune) appartiennent à des minorités ethniques, le risque d’éclatement d’un conflit religieux généralisé est bien réel.
En réponse aux dix morts musulmans du 3 juin dernier, des manifestations ont déjà eu lieu à Rangoun ; ne rassemblant que quelques centaines de personnes à chaque fois, elles ont été pacifiques, se contentant de réclamer justice pour l’une ou l’autre des deux communautés rohingya ou arakanaise. Les sites Internet des journaux locaux ont toutefois laissé transparaître des sentiments antimusulmans à fleur de peau. Appartenant à Eleven Media Group, éditeur d’un des principaux hebdomadaires du pays, l’un de ces sites a ainsi laissé passer des commentaires du type : « Un terroriste est un terroriste. Il faut tous les tuer ! » Dès le 10 juin au soir, les autorités à Rangoun ont d’ailleurs mis en garde la presse contre l’usage dans ses colonnes de tout propos qui viendrait enflammer les passions ; les articles du Code pénal qui limitent la liberté d’expression ont été rappelés.
Cité par le New York Times (1), U Ko Ko Gyi, ex-prisonnier politique aujourd’hui engagé dans la résolution des conflits interreligieux, n’a pas caché son inquiétude concernant d’éventuelles « réponses émotionnelles » aux violences de ces derniers jours. « Nous devons calmer les esprits pour ensuite trouver une solution rationnelle au problème », a-t-il préconisé. De leur côté, des responsables religieux musulmans ont appelé au calme, de même qu’Aung San Suu Kyi, qui, par un communiqué publié dimanche, a appelé le gouvernement à rétablir l’ordre.
Du côté bangladais de la frontière, les garde-frontières du district de Cox’s Bazar ont été placés en état d’alerte, Dacca craignant un afflux de réfugiés rohingyas. La police locale a annoncé détenir quatre Rohingyas blessés, dont l’un par balle, victime de tirs des garde-frontières birmans. Les districts de Cox’s Bazar et de Chittagong Hill abritent entre 200 000 et 300 000 réfugiés rohingyas, en grande majorité clandestins, que le gouvernement bangladais cherche depuis des années à faire rapatrier en Birmanie.
Lundi 11 juin, des garde-frontières au Bangladesh ont renvoyé huit embarcations transportant plus de 300 musulmans rohingyas, la plupart des femmes et des enfants, qui tentaient de fuir les violences religieuses en Birmanie, a indiqué l’un d’entre eux. « Il y avait plus de 300 Rohingyas dans les bateaux venant de la ville birmane d’Akyab. Ils transportaient principalement des femmes et des enfants Rohingyas, beaucoup pleuraient et avaient l’air extrêmement angoissé », a déclaré Shafiqur Rahman, un membre de la force bangladaise des garde-frontières (BGB). « Les huit bateaux ont été renvoyés en territoire birman », a-t-il ajouté.