Eglises d'Asie

Etat Shan : des musulmans se réfugient dans un temple bouddhique pour fuir les émeutes

Publié le 04/06/2013




Les émeutes antimusulmanes se suivent et ne se ressemblent pas toujours en Birmanie. Comme cela a été le cas à plusieurs reprises en diverses régions du pays ces derniers mois, les violences qui ont éclaté la semaine dernière à Lashio, capitale de l’Etat Shan, ont pris pour cible la communauté musulmane, au nom de slogans pro-bouddhistes. Toutefois, à la différence …

… de ce qui a pu se passer ailleurs dans d’autres régions du pays, à Lashio, un temple bouddhique a offert l’asile aux musulmans pourchassés.

Sans avoir ni l’ampleur ni le caractère meurtrier des violences exercées en juin puis en octobre 2012 sur les Rohingya dans l’Etat de l’Arakan, les violences de Lashio seraient une nouvelle illustration du virulent sentiment antimusulman à l’œuvre dans la majorité bouddhiste de la population et qui s’est exprimé en mars dernier à Meikthila, ville de la plaine birmane au sud de Mandalay, début mai à Myityina, dans l’Etat Kachin, ou bien encore il y a quelques jours dans la ville d’Okhan (Oakkan), à 90 km au nord de Rangoun.

Toutefois, le fait qu’un temple bouddhique a ouvert ses portes aux musulmans fuyant les violences exercées contre eux à Lashio vient illustrer le degré de complexité que ces événements à répétition revêtent et indique également que l’ensemble des Birmans bouddhistes et du clergé bouddhique ne partagent pas nécessairement les vues extrémistes – et très antimusulmanes – propagées par certains moines, tel le Vénérable Wirathu, promoteur désormais bien connu d’une campagne de boycottage des commerces tenus par des musulmans.

A Lashio, le 28 mai dernier, dès le début des troubles, l’abbé du monastère Thiri Mangala décide d’ouvrir les portes de son institution aux musulmans fuyant les émeutiers, et, dès le 29 mai, ce sont plusieurs centaines de personnes qui campent entre les murs du monastère. « Si nous ne portons pas assistance aux personnes qui se trouvent être dans une situation désespérée, alors nos vies sont vides de sens, explique le Vénérable Ashin Pinya au journaliste de l’agence Ucanews venu l’interviewer le 2 juin dernier. Il ne s’agit que d’amour et de compassion. »

Pour Myint Maung, l’un des musulmans qui a trouvé refuge au monastère, le fait que lui et ses proches aient pu trouver à s’abriter dans un temple bouddhique démontre que les émeutes de ces derniers temps ne peuvent être résumées en un affrontement entre majorité bouddhiste et minorité musulmane. « Si les violences sont issues d’un véritable clash entre les communautés bouddhiste et musulmane, alors comment se fait-il que nous soyons abrités et nourris dans un monastère bouddhique ?, explique-t-il au même journaliste. Je ne sais pas pourquoi de telles violences continuent d’éclater ici et là dans le pays, mais je pense qu’un groupe d’individus est à l’origine de tout cela. » Pressé de préciser l’identité de ces « individus », il se refuse à citer un nom mais précise que l’identité des moines qui ont appelé à s’en prendre aux musulmans est connue de tous.

Pour l’abbé de Thiri Mangala, ceux qui se sont livré aux violences antimusulmanes, que ce soit en juin dernier en Arakan ou ailleurs dans le pays depuis cette date, ne représentent qu’une minorité. Mais, reconnaît-il aussitôt, ils représentent une menace majeure pour l’image des Birmans bouddhistes en tant que peuple pacifique et constituent également un obstacle à la transition vers la démocratie que vit actuellement la Birmanie.

« Certains moines bouddhistes, au nom des enseignements du Bouddha, tiennent des discours de haine pour créer un sentiment d’animosité envers les musulmans. Ils ne forment qu’une minorité ignorante [de l’enseignement du Bouddha] », affirme-t-il, ajoutant : « Nous ne renoncerons jamais à nos efforts pour venir en aide aux personnes en difficulté. »

Le 28 mai, les troubles à Lashio ont débuté par une banale altercation entre un vendeur d’essence, musulman, et une cliente bouddhiste, la dispute se soldant par l’aspersion d’essence par le vendeur sur sa cliente, transformant celle-ci en torche vivante. Si, selon les informations disponibles, les jours de la cliente bouddhiste, transportée à l’hôpital, ne sont plus en danger, l’incident a provoqué une émeute, une fois le vendeur musulman appréhendé et conduit au poste de police.

Une foule de plusieurs centaines de personnes, comprenant quelque 80 moines bouddhistes, a fait le siège du poste de police où était détenu le vendeur musulman. Puis, face au refus de la police de livrer ce dernier, la foule de bouddhistes a retourné sa vindicte sur un quartier musulman de la ville, incendiant une mosquée, une madrasa et plusieurs dizaines de boutiques et d’habitations appartenant à des musulmans, faisant, selon certaines sources, au moins un mort.

Un couvre-feu a été décrété sur la ville. Un peu plus de quarante personnes ont été interpellées par les forces de l’ordre pour détention de machettes et autres armes blanches. Le calme semblait toutefois être revenu sur la ville dès le 30 mai et le vendredi 31 mai les commerces rouvraient, à l’exception de ceux tenus par les musulmans. Quant au marché central de Lashio, fermé dès le 29 mai, il a rouvert le 3 juin et, selon le site d’information en ligne The Irrawaddy, est aussi fréquenté qu’à l’accoutumée. La présence de l’armée et de la police dans les quartiers musulmans restait toutefois très forte, les autorités filtrant les entrées dans ces rues pour « en écarter les personnes étrangères et surveiller toute activité inhabituelle », expliquait un responsable de la municipalité.

Au total, environ 1 400 musulmans de Lashio, ville d’environ 150 000 habitants aux origines ethniques et religieuses très diverses, ont dû fuir leur domicile, principalement durant la journée du 29 mai, avant de commencer à regagner leurs foyers à partir du 3 juin.