Eglises d'Asie

Le président annonce la poursuite des réformes, la tension demeure élevée en Arakan

Publié le 21/06/2012




Le 19 juin dernier, jour où la leader de l’opposition Aung San Suu Kyi fêtait son 67ème anniversaire à Oxford, en Angleterre, dans le cadre d’une vaste tournée européenne, le président Thein Sein a annoncé à Naypyidaw l’entrée des réformes dans une « seconde phase ». Après une année consacrée « aux réformes politiques et à la réconciliation nationale », le président a lancé une « deuxième phase du processus de réformes…

(…) qui se concentrera sur le développement du pays et de la population ». Dans le même temps, en Arakan, la tension entre la majorité arakanaise et la minorité rohingya demeurait forte et l’état d’urgence décrété le 10 juin n’a toujours pas été levé.

Dans un discours diffusé à la télévision nationale, le président a mis en avant la nécessité de rattraper le retard pris par la Birmanie sur ses voisins en termes de développement économique. Il a mis l’accent sur l’éducation et la santé, fixant comme objectif à l’horizon 2016 de tripler le revenu par habitant avec l’aide, notamment, de l’aide internationale. « Il est de la responsabilité de notre gouvernement de mener à bien le développement de la nation et d’améliorer les conditions de vie de la population », a-t-il déclaré, soulignant qu’un des outils de l’Etat serait la « libéralisation » de l’économie et le désengagement de l’Etat d’un certain nombre de secteurs.

En tournée en Europe, Aung San Suu Kyi a pour sa part insisté sur la mise en place d’un « Etat de droit » comme préalable au développement économique. Mettant en avant la nécessité de se montrer sélectif dans le choix des investissements étrangers et respectueux de l’environnement et des droits sociaux, elle n’a pas hésité à Genève à, par exemple, dénoncer le manque de transparence de Myanma Oil and Gas Enterprise (MOGE), l’entreprise nationale qui gère le secteur des hydrocarbures, et cela à quelques mois de l’attribution de plusieurs permis de prospection à des entreprises étrangères.

Dans ce contexte, les violences meurtrières qui ont eu lieu dans l’Etat de l’Arakan ces dernières semaines sont passées au second plan, y compris dans les discours des responsables politiques birmans. Dans la presse officielle, les bilans sont succincts. Le 16 juin, The New Light of Myanmar annonçait que les violences avaient fait un total de 50 morts et 54 blessés ; 78 émeutes avaient éclaté et 2 230 habitations et bâtiments, dont des lieux de culte, avaient été incendiés. Ventilées par appartenance ethnique (et donc religieuse, les Arakanais étant très majoritairement bouddhistes et les Rohingyas musulmans), les chiffres indiquaient que les deux communautés avaient à peu près également souffert des violences, que ce soit en termes de nombre de morts, de blessés ou de dégâts matériels. Selon une dépêche AFP du 21 juin, le bilan serait de 71 morts.

Selon les agences de presse internationales, la situation en Arakan semble toutefois loin d’être stabilisée. Des centaines de Rohingyas qui tentaient de passer au Bangladesh ont été refoulés par les gardes-frontières de Dacca. Des dizaines de milliers de personnes ont fuis les violences, des temples bouddhistes accueillant les Arakanais et des mosquées les Rohingyas. Le 19 juin, le Programme alimentaire mondial a indiqué avoir distribué une aide d’urgence à 66 000 personnes et précisé que 90 000 déplacés avaient besoin d’assistance. Selon des témoignages recueillis sur place, les gens craignent de retourner chez eux, redoutant de nouvelles flambées de violence.

Par ailleurs, selon Democratic Voice of Burma, site d’information tenu par des exilés birmans, les trois Rohingyas qui ont été arrêtés pour le viol et le meurtre d’une jeune femme bouddhiste – crime qui a déclenché les violences de ces dernières semaines – sont passés en jugement et, le 18 juin, ont été condamnés à la peine de mort par un tribunal de Kyaukpyu, ville portuaire de l’Arakan. Plus exactement, deux des trois inculpés sont passés en jugement, le troisième ayant été condamné de manière posthume, pratique autorisée par le Code pénal birman. Ce troisième inculpé s’était en effet donné la mort quelques jours plus tôt dans sa cellule.

Les organisations internationales des droits de l’homme ont dénoncé le verdict, entaché selon elles de partialité, et la rapidité avec lequel il a été prononcé, signe d’une justice expéditive. L’organisation Arakan Project, qui milite pour les droits des Rohingyas, y a vu « un geste destiné à calmer la population arakanaise ». Sa directrice Chris Lewa a fait état d’informations lui parvenant qui indiquent que les forces de l’ordre ont procédé à des arrestations en masse de jeunes hommes Rohingyas. « Des personnes les ont vu emmenés en camion, les yeux bandés et les mains attachés. Le pire est que personne ne sait pourquoi ils ont été arrêtés ni où ils ont été emmenés », a-t-elle ajouté.

Selon Phil Robertson, de la section Asie de Human Rights Watch, les autorités devraient se soucier de traduire en justice les personnes qui sont responsables du lynchage de dix musulmans, incident qui a suivi le viol pour lequel les trois Rohingyas ont été condamnés à mort et qui a contribué à l’embrasement de l’Arakan. Sinon, elles encourent le soupçon de la partialité, a-t-il ajouté.