Eglises d'Asie

Indignation générale après la mort d’un handicapé mental brûlé vif pour blasphème par des islamistes

Publié le 08/07/2012




Dans le sud du Pendjab, un homme soupçonné de profanation du Coran a été brûlé vif par une foule déchaînée, menée par des chefs religieux islamistes. Les responsables des Eglises chrétiennes, des ONG de défense des droits de l’homme ainsi que le gouvernement du Pakistan ont condamné unanimement un « acte d’une barbarie inconcevable ».

Mardi 3 juillet, à la suite d’une plainte déposée par des habitants du bourg de Chani Ghoth appartenant au district de Bahawalpur, dans le sud du Pendjab, la police a arrêté un homme accusé d’avoir profané le Coran (selon certaines versions, il aurait jeté des pages du Coran dans la rue, selon d’autres il aurait tenté de le brûler). Le soir même, alors que l’homme, qui semblait ne pas jouir de toutes ses facultés mentales et « ne même pas savoir où il habitait », était interrogé par les policiers, des chefs religieux islamistes ont incité par haut-parleurs la population à se rendre au commissariat pour « punir le blasphémateur ». En moins d’une heure, une foule menaçante d’environ 2 000 personnes s’est rassemblée devant le commissariat de Chani Ghoth, réclamant que la police lui livre l’homme, alors que sa culpabilité n’avait pas encore été vérifiée.

« Ils nous ont demandé de le tuer sous leurs yeux sinon ils se feraient justice aux-mêmes », a rapporté Mohammed Azhar Gujar, l’un des officiers de police, présent au moment des faits. Il affirme que lui et ses collègues ont tenté de protéger la victime en tirant des grenades lacrymogènes sur les agresseurs, mais que la foule était incontrôlable et en surnombre. Les assaillants, après avoir bloqué la route principale, ont commencé à brûler des véhicules de police et des habitations, avant de pénétrer de force dans le commissariat et d’en extraire le suspect. Selon les forces de l’ordre, une dizaine de policiers auraient été grièvement blessés dans leur tentative pour empêcher la foule d’emmener la victime.

Celle-ci a été ensuite violemment frappée et torturée devant le commissariat avant d’être traînée par la foule hystérique jusqu’à un carrefour de Chani Ghoth. Après l’avoir aspergé d’essence, les forcenés ont brûlé vif le ‘blasphémateur ‘, qui, contrairement à ce qui a pu être rapporté par la police et certains médias, était bien vivant au moment de son immolation et a longuement appelé à l’aide la foule assistant à son exécution sans bouger (les récits des témoins, comme les photos et vidéos prises par portables ne laissent malheureusement aucun doute sur le déroulement des faits).

Alors que dans les premiers comptes rendus il était affirmé que l’identité et la religion de la victime étaient inconnues,  aujourd’hui la police comme les médias donnent à l’homme, apparemment handicapé mental, le nom de Ghulam Abbas. Il aurait été âgé d’une quarantaine d’années et aurait été musulman. « Pendant qu’il était en cellule, il n’arrêtait pas de rire et de psalmodier des choses incompréhensibles », a rapporté l’un des policiers à la BBC. Selon les quelques informations glanées par la Commission ‘Justice et Paix’ du diocèse catholique du Multan, où se trouve Chani Ghoth, (bien qu’elle ne puisse enquêter sur place, la zone n’étant pas encore sécurisée), Ghulam Abbas n’était pas de la région et personne n’est venu réclamer ou identifier le corps.

C’est du côté des chrétiens que la réaction a été la plus vive et la plus rapide. Dès que la nouvelle de l’exécution a été connue le 4 juillet, Mgr Andrew Francis, évêque de Multan, a condamné vigoureusement « un acte inhumain et d’une extrême gravité ». Confiant à l’agence Fides le 6 juillet qu’il se sentait « honteux que ce drame se soit produit dans [son] diocèse », l’évêque a confirmé que toute la communauté catholique « suivait l’affaire dans la prière, avec attention mais prudence ». En tant que président de la Commission pour le Dialogue interreligieux de la Conférence épiscopale, il a assuré que « l’Eglise redoublerait d’efforts pour dialoguer avec les responsables musulmans » afin de mettre fin à la violence religieuse « en augmentation constante dans la région » (1).

Le district de Bahawalpur, qui abrite de très nombreuses madrasas tenues par des islamistes, est le théâtre d’actes de violence et d’exécutions extrajudiciaires récurrents. Le P. Samuel Raphael, qui dessert l’église St. Dominic à Bahawalpur, confirme que les chrétiens du diocèse craignent de plus en plus pour leur vie. « [Ce dernier acte de violence] signifie qu’une société inhumaine et intolérante est en train de se mettre en place à un rythme accéléré (…) ,explique le prêtre, car aujourd’hui c’est la population elle-même qui décide de se substituer à la justice. »

Des propos qui rejoignent ceux de l’évêque d’Islamabad-Rawalpindi, Mgr Rufin Anthony, lequel a appelé les autorités « à comprendre qu’il était enfin temps de légiférer pour protéger les innocents » et d’assurer, pour commencer, la sécurité des personnes accusées sur de simples allégations non vérifiées. « Combien de sang devra-t-il couler encore,  s’est-il indigné, avant que cessent l’impunité, l’illégalité et la liberté dont jouissent ceux qui se font justice eux-mêmes ! »

Peter Jacob, secrétaire exécutif de la Commission ‘Justice et Paix ‘de la Conférence épiscopale du Pakistan (NCJP), a rapporté que depuis le début de l’année 2012, au moins trois personnes (deux musulmans et un chrétien) avaient été victimes d’exécutions extrajudiciaires et 88 autres étaient toujours en attente de jugement pour blasphème. Avec différentes ONG comme la Fondation Masihi ou encore Life for All, la NCJP a demandé l’intervention de la Cour suprême du Pakistan afin de « garantir l’Etat de droit dans le pays » et mettre fin aux abus de la loi anti-blasphème, qui ne cessent de croître.

Dans une démarche officielle plutôt rare, le président Asif Ali Zardari a exprimé jeudi 5 juillet, son « profond chagrin » et s’est déclaré « excessivement choqué par cet atroce incident ». Le président pakistanais a rappelé que nul n’avait le droit de se substituer à la justice, quel que soit le crime commis. Il a chargé son ministre de l’Intérieur, Rehman Malik , de lui remettre un rapport en urgence sur les faits et l’enquête en cours. Depuis le drame, aucun des assaillants n’a été arrêté.