Eglises d'Asie – Chine
POUR APPROFONDIR – La religion, talon d’Achille du géant chinois ?
Publié le 23/07/2012
Depuis 1994 où Liu Peng avait présenté une justification de la politique de Pékin en matière religieuse en tout point conforme au discours officiel, « la Chine a bien changé », comme le constate le chercheur lui-même, une quinzaine d’années plus tard. En 2009, dans un article du China Daily, il appelle en effet l’Etat à établir un nouveau système de gouvernance religieuse, fondé sur la loi et non sur des mesures administratives, proposant également que chaque groupe religieux puisse avoir la possibilité d’être enregistré légalement.
Dans ce dernier texte, Liu Peng va encore plus loin, avançant le postulat que le développement de la Chine ne se fera qu’au prix d’une redécouverte de la spiritualité.
Mais que manque-t-il donc à la Chine ?
Qu’est-ce que j’entends par le fait que la Chine doit développer « des atouts majeurs dans d’autres domaines ? » [l’auteur fait ici référence à la première partie de son article. NDLR (1)]. La liste des réponses serait très longue. Mais en réalité cette question peut être posée de deux manières : « Quel est le point faible qui entrave encore le complet développement de la Chine ? » ou bien « Quel est le plus grand manque de la Chine d’aujourd’hui ? »
Concernant ce qui pourrait manquer à la Chine, un grand nombre de personnes penseraient à des choses comme les ressources énergétiques, passage obligé du futur développement de la Chine. D’autres diraient le marché mondial, l’énergie, la science ou la technologie. Certains évoqueraient le système juridique. Tout cela est effectivement indispensable et vital pour le futur développement de la Chine, mais il ne s’agit que d’une analyse superficielle qui en reste au niveau des choses matérielles et non pas du décryptage de ce qui affaiblit la Chine en profondeur.
Si nous regardons en arrière pour voir comment la Chine s’est efforcée de conserver sa place dans le monde à travers son histoire plurimillénaire, et comment d’autres puissances se sont élevées dans l’histoire, nous pouvons constater que le facteur clé dont dépend le futur développement de la Chine ne se trouve pas dans le domaine matériel, mais bien dans le domaine spirituel. De quoi manque surtout la Chine du XXIe siècle ? De savoir en quoi croire ! La Chine souffre de sérieux manques concernant la vie spirituelle et la vie morale qui sont par essence du domaine de la foi. Sur ces sujets, les Chinois font l’expérience d’une confusion et d’un vide préoccupants. Il est temps d’allumer la flamme spirituelle qui éclairera la voie du développement pour la nation et pour le pays.
La raison pour laquelle la société chinoise a connu une multitude d’affaires aussi scandaleuses que ridicules, avec le manque d’intégrité qui va de pair, ne vient pas du fait que nous sommes à court d’argent. Mais plutôt du fait que nous avons perdu ce en quoi nous croyions. Comme une maison recouverte de poudre d’or, nous ne nous occupons que des apparences. Alors que le cœur des systèmes de valeurs et de croyances sur lequel reposait l’esprit chinois par le passé a été détruit, nous n’avons pas encore opéré les innovations nécessaires pour développer de nouveaux systèmes de valeurs et de croyances pour la Chine d’aujourd’hui. Quand l’ancienne foi est détruite, et la nouvelle pas encore établie, un véritable désert spirituel et moral s’instaure, accentuant un peu plus chaque jour le déséquilibre entre le spirituel et le matériel.
Bien que la Chine ait fait des progrès visibles en terme de développement matériel, cette prospérité ne peut combler l’absence de spiritualité et de foi. A court de nouveau combustible, la lumière de la flamme spirituelle chinoise s’affaiblit. En réalité, la lumière de cette flamme est même trop faible pour indiquer une direction et fournir la force de cohésion nécessaire à une nation composée d’ethnies différentes, de classes sociales multiples, de groupes aux intérêts divergents ; à elle seule, cette flamme ne peut briller suffisamment pour dissiper l’obscurité et illuminer le moindre recoin du monde. Comment dans cette situation un pays peut-il s’élever au rang de grande puissance ?
En d’autres mots, pour que la Chine accède au statut de grande puissance, elle doit répondre à la question suivante : quel est le pilier spirituel, le cœur du système de valeurs et de croyances des Chinois ? A la question « En quoi croyons-nous aujourd’hui ? », il existe une réponse officielle toute faite que chacun connaît pour l’avoir répétée plusieurs fois aux nombreux examens de l’école primaire au collège. Cependant, si vous prenez en compte l’état actuel de la spiritualité chinoise, c’est une question pressante qui se pose depuis longtemps mais que l’on a délibérément évitée. C’est cette question qui entrave la croissance chinoise de l’intérieur, et dans une certaine mesure, qui détermine le futur développement de la Chine.
Aujourd’hui, que l’on ait ou non la volonté ou le courage de l’admettre, nous savons que les principes éthiques sont mis à mal par notre société. Les problèmes éthiques découlent des problèmes des systèmes de valeurs, qui à leur tour proviennent des problèmes spirituels. Cela démontre bien que le système de croyances imposé par les autorités depuis des années n’est qu’une coquille vide. Malheureusement, en raison de considérations complexes, les autorités chinoises et les médias ne sont pas disposés à admettre un tel fait et à en discuter ouvertement.
Alors que nos vies quotidiennes sont de plus en plus envahies par des affaires de moeurs effarantes (les briqueteries du Shanxi (2), le lait frelaté de Sanlu, l’affaire Luo Caixia (3), le scandale des autorités engagées dans des réseaux de prostitution de mineurs dans le Guizhou et le Sichuan, l’affaire Deng Yujiao (4), …), les médias restent beaucoup plus enclins à raconter ces histoires qu’à en analyser les causes. Parmi les rares exemples où ils s’intéressent aux origines des faits, ils ne les attribuent pas à la perte de repères spirituels et ne vont donc pas jusqu’aux racines des affaires en question. Les autorités traitent bien évidemment ces cas comme des incidents isolés et non représentatifs de la société dans son ensemble. S’ils sont contraints de considérer ces problèmes sous l’angle de la morale, ils tendent alors à les attribuer au manque d’adhésion d’un « petit nombre de personnes » au système de valeurs et de croyances si souvent martelé, au manque de « perspective révolutionnaire sur la vie et ses valeurs», ainsi qu’à la perte de l’idéal et de la ‘foi’ communistes.
Ils ne se demandent pas cependant, pourquoi leurs campagnes de propagande à long terme et grande échelle n’ont pas pu aider un si important « petit nombre de personnes », à conserver leur « perspective révolutionnaire sur la vie et ses valeurs ». Ils se contentent de constater l’augmentation phénoménale des crimes et l’effondrement dévastateur de la morale au sein de la société. Nos médias ne se confrontent guère à ces questions ou n’abordent jamais celles-ci de façon directe.
Comment se fait-il que le cœur du système de valeurs et de croyances que les autorités ne cessent de propager ne fonctionne pas ? Est-ce que les Chinois, après avoir simplement résolu les problèmes consistant à se nourrir et à se vêtir, s’accommoderaient en fait de n’importe quel système de valeurs et de croyances ? Qu’est-ce qui ne va pas au juste dans le domaine spirituel en Chine ? Pensons-nous réellement que nous n’avons aucun problème concernant nos croyances ou considérons-nous simplement que ces problèmes sont insignifiants et peu dignes d’intérêt ?
Où va donc la Chine, et surtout, jusqu’où pourra-t-elle aller ?
Nous pouvons prétendre que ces problèmes n’existent pas et continuer à garder ce système de valeurs et de croyances dépassé comme la réponse standard aux examens universitaires. Mais cela ne fera que masquer les causes du problèmes jusqu’à ce que toutes ces incohérences éclatent au grand jour.
En fait, la répétition de manifestations de masse comme celle de Weng’an (5) montre clairement que ces contradictions internes sont devenues plus fortes et commencent à faire surface. Se convaincre du contraire ou fermer les yeux ne servira à rien. Si la Chine refuse de se confronter à la question de savoir ce en quoi elle croit, elle n’aura jamais le pouvoir d’une grande puissance. De la réponse à cette question dépend l’avenir de la Chine. Quiconque se soucie du devenir de la Chine et désire que celle-ci puisse grandir, doit affronter cette question, y réfléchir, et y répondre.