Eglises d'Asie

Chrétienne, une enfant trisomique âgée de 11 ans a été emprisonnée pour profanation du Coran

Publié le 20/08/2012




Depuis le 16 août dernier, une fillette âgée de 11 ans, atteinte de trisomie 21 et appartenant à une famille chrétienne d’un bidonville d’Islamabad, est incarcérée dans un centre de détention pour mineurs. Soupçonnée de profanation du Coran, elle risque la prison à vie. Son cas soulève un vif émoi dans le pays. Des islamistes réclament l’application de la loi ; …

… le président de la République a demandé l’ouverture d’une enquête ; deux à trois cents familles chrétiennes du quartier où vivait la fillette ont fui leur domicile par peur de représailles des milieux fondamentalistes.

A ce stade, l’affaire comporte des zones d’ombre. L’identité elle-même et l’âge de la victime sont incertains. Selon certaines sources, elle s’appelle Rifta Masih ; selon d’autres, Rimsha Masih (1). Elle serait âgée de 11 ou 12 ans, sa minorité ne faisant toutefois pas débat – la police a reconnu ce point dans ses rapports. Elle est chrétienne, sans que l’on sache si elle est de confession catholique ou protestante. L’incident qui vaut à la fillette d’être aujourd’hui emprisonnée remonte au 17 avril dernier. Ce jour-là, l’enfant aurait brûlé une dizaine de pages du Noorani Qaida, un livret couramment utilisé pour apprendre les bases de la langue arabe et le Coran. Selon certains récits, la fillette avait tiré de vieux papiers d’un tas d’ordures pour servir de combustible au réchaud familial ; quelqu’un serait entré dans ce qui tient lieu de maison à sa famille et l’aurait accusée de brûler des pages portant des versets du Coran. Selon d’autres sources, la fillette aurait ramassé un vieil exemplaire du Noorani Qaida et l’aurait mis dans un sac plastique avant de jeter le tout sur un tas d’ordures.

Quoi qu’il en soit, la police a enregistré dans un premier temps la plainte d’un musulman du nom de Syed Muhammad Ummad qui reprochait à l’enfant d’avoir profané le Coran. Ce n’est que quatre mois plus tard que les choses ont dégénéré lorsqu’une foule de musulmans a cherché à se saisir de la fillette pour faire justice par elle-même. Là encore, les circonstances de l’arrestation de l’enfant divergent. Selon certains récits, des musulmans constatant le peu d’entrain de la police à donner suite à la plainte déposée pour profanation ont organisé une manifestation pour réclamer que justice soit faite ; la maison de la famille de la fillette aurait été saccagée et le poste de police local soumis à une forte pression. Selon d’autres récits, c’est l’action préventive de la police qui a empêché un sort funeste à la fillette : en l’arrêtant le 16 août, les policiers auraient évité son lynchage par la foule, à l’instar de ce qui s’était passé le 3 juillet dernier au Pendjab lorsque qu’un handicapé mental soupçonné de profanation du Coran avait été brûlé vif par une foule excitée par des religieux extrémistes. Craignant un déchaînement de violences, deux à trois cents familles chrétiennes ont alors fui le quartier, des fondamentalistes musulmans menaçant de venir incendier leur bidonville.

Dans un pays où les accusations de blasphème envers Mahomet ou de profanation du Coran sont passibles, selon le Code pénal, respectivement de la peine de mort et de la prison à vie et où ces articles de loi sont régulièrement dénoncés par les militants des droits de l’homme et les défenseurs des minorités religieuses comme des armes pour terroriser les plus faibles de la société pakistanaise, cette nouvelle affaire crée de remous. Outre le fait qu’elle concerne un enfant trisomique dans un pays où les handicapés vivent le plus souvent cachés du reste de la population, elle vise une chrétienne, mineure de surcroît. Si les chrétiens (2 % de la population) sont régulièrement la cible d’accusations liées aux lois sur le blasphème, il semble que ce soit la première fois qu’un mineur en fasse les frais.

Signe de la sensibilité de l’affaire, le président Asif Ali Zardari a très rapidement déclaré qu’il avait « pris note » de l’arrestation de la fillette et qu’il avait donné instruction au ministère de l’Intérieur de lui fournir au plus tôt un rapport sur son cas. Le catholique Paul Bhatti, conseiller du Premier ministre pour les affaires concernant les minorités et ministre de l’Harmonie nationale, a assuré que la fillette serait soumise à un examen médical ; il a ajouté avoir pris contact avec différents responsables religieux musulmans qui, après l’Eidul Fitr (Aïd el-Fitr), festivité marquant la fin du ramadan, devront déterminer si l’enfant a agi ou non de manière délibérée.

Du côté des responsables chrétiens, la prudence domine. Tahir Naveed Chaudhry, de la All Pakistan Minorities Alliance, a précisé à l’AFP que les familles chrétiennes qui avaient fui leur domicile par crainte de représailles « avaient trouvé refuge chez des proches ailleurs dans la ville et avaient commencé à retourner chez elles, dans le quartier de Mehrabad ». Il a ajouté que son organisation, qui rassemble des représentants des minorités religieuses, telles les chrétiens et les hindous, souhaitait que le cas soit résolu « à l’amiable ».

Pour le Women’s Action Forum, une des principales organisations défendant la cause des femmes au Pakistan, le ton est plus virulent. L’arrestation de la fillette est « inadmissible ». Une porte-parole de l’organisation a demandé sa remise en liberté immédiate et reproché aux hommes qui ont porté plainte contre elle de manquer « totalement d’humanité ». « Il s’agit d’une fausse accusation de blasphème, car il s’agit d’une enfant, qui plus est atteinte d’une maladie mentale. Or, le blasphème suppose une intention qu’elle n’est pas capable d’avoir », a ajouté la porte-parole.