Eglises d'Asie – Pakistan
Reconnue comme mineure, la fillette chrétienne inculpée de profanation du Coran pourrait voir son horizon judiciaire s’éclaircir
Publié le 29/08/2012
Depuis son incarcération dans un centre pour mineurs, le cas de Rimsha Masih soulève une vive agitation au Pakistan comme au sein de la communauté internationale. Arrêtée le 16 août dernier après qu’une plainte eut été portée contre elle pour profanation du Coran, Rimsha Masih est immédiatement apparue comme étant une nouvelle victime des lois anti-blasphème, qui punissent de mort toute offense à Mahomet et de prison à vie toute profanation du Coran mais sont dénoncées comme autant d’instruments visant à régler des conflits personnels ou à exercer des pressions sur les plus faibles de la société pakistanaise, notamment ses minorités religieuses.
A l’étranger, la communauté internationale s’est saisie de l’affaire. « Le gouvernement du Pakistan doit impérativement libérer Rimsha Masih et assurer sa protection ainsi que celle de sa famille et de leur communauté, a déclaré, depuis Washington, l’influent Conseil des relations américano-islamiques. L’arrestation d’une personne si jeune, surtout si elle est handicapée mentale, constitue une violation grave des principes fondamentaux de l’islam. » La France a également condamné fermement cette affaire et a appelé Islamabad à respecter ses engagements internationaux, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié en 2010. « L’existence même du délit de blasphème porte atteinte aux libertés fondamentales, que sont la liberté de religion ou de conviction, ainsi que la liberté d’expression », a indiqué le ministère français des Affaires étrangères. A Amnesty International, on considère que cette affaire démontre la gravité de « l’érosion de l’Etat de droit ». Le Vatican enfin, par la voix du cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, a pris la défense de la jeune Pakistanaise accusée de blasphème, soulignant qu’elle « ne sait ni écrire ni lire ». Dans un entretien diffusé par Radio Vatican, le cardinal français a souligné qu’« avant d’affirmer qu’un texte sacré a été l’objet de mépris, il convient de vérifier les faits ».
Au Pakistan, le président Zardari a fait savoir qu’il avait demandé « un rapport » sur cette affaire. Geste qui a été commenté dans le pays par les défenseurs des droits de l’homme comme une déclaration a minima d’un président soucieux de ne pas se mettre à dos les milieux extrémistes musulmans.
C’est dans ce contexte délicat que la commission médicale chargée d’examiner la fillette a dû se prononcer. Son avis était déterminant. En effet, si la majorité est fixée à 18 ans au Pakistan, les enfants de moins de 15 ans ne peuvent être déférés que devant une juridiction pour mineurs et les actes d’un enfant de moins de 12 ans ne peuvent être qualifiés de délits étant donné qu’en-dessous de cet âge, le Code pénal tient les enfants pour irresponsables. Dans le cas de Rimsha Masih – et en l’absence d’état-civil fiable –, les parents de la fillette ont toujours assuré que leur enfant était âgée de 11 ans et qu’elle souffrait de handicap mental.
Dans le rapport remis au juge chargé de l’affaire, la Commission médicale a donc fixé l’âge de Rimsha Masih « à environ 14 ans » et, sans se prononcer sur une éventuelle trisomie 21 dont serait atteinte la fillette, elle a défini le niveau mental de l’enfant comme étant « inférieur à celui des enfants de son âge ». Selon différents observateurs locaux, ce diagnostic revêt les apparences d’un diagnostic taillé sur mesure. En effet, il place Rimsha Masih dans une tranche d’âge qui la rend justiciable devant une juridiction pour mineurs, tout en ouvrant la possibilité d’un non-lieu pour irresponsabilité du fait de sa déficience mentale.
Dès l’annonce du diagnostic, l’avocat de la fillette, Tahir Naveed Chaudhry, a déclaré qu’il était confiant et que, le 30 août, lors de la présentation de Rimsha Masih devant un juge, il obtiendrait sans doute sa remise en liberté sous caution. « La preuve de son analphabétisme, de son jeune âge et de sa maladie mentale a été faite, ce qui accroît ses chances d’être remise en liberté », a-t-il affirmé.
Pour Peter Jacob, secrétaire exécutif de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan, il est trop tôt pour se montrer optimiste. Dans des affaires comme celle de Rimsha Masih, les autorités, politiques ou judiciaires, prennent rarement clairement position. Elles préfèrent prendre des décisions en demi-teinte qui évitent de les exposer à un sort semblable à celui de Shahbaz Bhatti, ministre des Minorités religieuses, ou de Salman Taseer, gouverneur de la province du Pendjab, abattus l’an dernier parce qu’ils avaient pris position en faveur d’une révision des lois anti-blasphème, a-t-il expliqué, précisant qu’« un véritable débat civilisé ne sera possible [au Pakistan] que si l’hypothèque d’un recours à la violence est levée ».
A Mehrabad, le quartier d’Islamabad où était installée la famille de Rimsha Masih, un calme précaire est revenu. Plusieurs centaines de familles chrétiennes qui avaient fui dans la crainte de violences dirigées contre elles n’ont toutefois pas regagné leur domicile. Les parents, frères et sœurs de Rimsha Masih ont été placés en un lieu sûr, tenu secret pour éviter toute violence à leur encontre.
Ces violences interviennent dans un quartier qui faisait pourtant figure d’exemple : abritant une communauté de plusieurs centaines de familles chrétiennes, Mehrabad abritait un lieu de culte chrétien pour la construction duquel les musulmans du quartier n’avaient pas hésité à contribuer, geste remarquable dans un pays où les chrétiens – une minorité d’à peine 2 % de la population – sont le plus souvent tout en bas de l’échelle sociale et sont l’objet de constantes brimades de la part de la majorité musulmane. Au fil des mois cependant, des discordes entre les deux communautés seraient apparues et, ces derniers temps, des musulmans auraient réclamé la fermeture de l’église.