Eglises d'Asie

La justice autorise la libération sous caution de Rimsha Masih

Publié le 07/09/2012




Après le coup de théâtre qu’avait constitué l’arrestation, le 1er septembre, de l’imam qui avait accusé Rimsha Masih de profanation du Coran, la justice pakistanaise a autorisé la libération sous caution de la fillette chrétienne. Ce nouveau développement dans une affaire amplement médiatisée au Pakistan comme à l’étranger ne présage cependant pas d’une éventuelle refonte des très controversées lois sur le blasphème.

C’est le vendredi 7 septembre, jour de prière pour les musulmans, que le juge chargé de la plainte pour blasphème déposée contre Rimsha Masih a autorisé la remise en liberté de cette dernière. En l’absence de Rimsha Masih, après avoir entendu les avocats des deux parties, ceux de Rimsha Masih et ceux de son accusateur, le juge Muhammad Azam Khan a accédé à la demande des avocats de la fillette, précisant que l’affaire n’était pas jugée sur le fond et que la remise en liberté de Rimsha Masih se ferait sous caution, laquelle a été fixée à un million de roupies (8 300 euros). Emprisonnée depuis le 16 août dernier, Rimsha Masih n’a donc pour l’heure pas encore recouvré la liberté, la caution devant être rassemblée dans un premier temps et sa sécurité physique assurée ensuite. Rimsha Masih resterait sous un régime de liberté surveillée.

L’annonce du juge dans un tribunal de Rawalpindi a cependant été immédiatement saluée par les différents acteurs pakistanais qui s’étaient mobilisés en faveur de la jeune chrétienne, handicapée mentale. Pour l’un de ses avocats, Tahir Naveed Chaudhry, « c’est un grand pas en avant et cette décision de justice peut redonner confiance aux Pakistanais en leur système judiciaire. C’est la première fois qu’une personne ayant proféré de fausses accusations est arrêtée. Nous remercions les religieux, les médias et la nation pour avoir soutenu la cause [de Rimsha Masih] ». De son côté, Paul Bhatti, ministre de l’Harmonie nationale et frère de Shahbaz Bhatti, assassiné en mars 2011 pour avoir affiché son opposition aux lois anti-blasphèmes, a lui aussi déclaré sa satisfaction. « Justice a été faite, a-t-il déclaré à l’AFP. Cette décision est un message clair envoyé à la communauté internationale ; elle montre que nous, Pakistanais, savons être justes, peu importe qu’il s’agisse du cas d’un musulman ou d’un chrétien. »

Au sein de la communauté chrétienne, si la joie était partagée, l’optimisme était moins éclatant. Un responsable de la All Pakistan Minorities Alliance (qui est présidée par Paul Bhatti) souligne que Rimsha Masih, une fois libérée, restera une cible privilégiée pour les extrémistes musulmans. « Généralement, dès lors qu’une accusation en justice porte sur le terrain religieux, la personne inculpée, même si elle est innocentée, doit se cacher et partir vivre dans une autre ville. Il est souvent arrivé que des avocats ou des juges eux-mêmes soient menacés. Dans le cas de Rimsha, il paraît évident que nous allons devoir trouver un lieu sûr pour elle et sa famille », a expliqué ce responsable.

Pour Peter Jacob, secrétaire de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan, la justice n’est pas exempte de reproche. « Considérant combien est pauvre la famille de Rimsha, fixer la caution à un niveau si élevé n’est pas très correct. De plus, l’enquête a été longue et le cadre judiciaire qui aurait dû s’appliquer – celui de la justice pour mineurs – ne l’a pas été », déclare Peter Jacob, qui précise que l’ensemble de l’affaire Rimsha Masih expose au grand jour les problèmes inhérents à la loi sur le blasphème, ainsi qu’à l’état d’esprit de la société pakistanaise et à la fragilité du système pénal.

Quant à la mobilisation dont a fait montre le Conseil des oulémas du Pakistan en faveur de Rimsha Masih (son président Tahir Ashrafi avait dénoncé les agissements frauduleux de l’imam qui a faussement accusé Rimsha Masih de blasphème), les observateurs font valoir que celle-ci est loin d’être désintéressée. En prenant fait et cause pour Rimsha Masih, Tahir Ashrafi agit pour mieux empêcher toute remise en cause des lois anti-blasphèmes. En effet, si le système judiciaire est capable d’innocenter les personnes faussement mises en cause pour blasphème, c’est donc que l’Etat de droit fonctionne et qu’il n’est nullement nécessaire de réviser ces lois, nécessaires à la protection du caractère islamique de la nation pakistanaise.

Par ailleurs, le 5 septembre à Karachi – et sans qu’il soit possible d’établir un lien entre l’affaire Rimsha Masih et cet incident –, une grenade artisanale a été lancée à proximité immédiate de l’église Saint-Joseph. Deux adolescents, chrétiens, ont été légèrement blessés par son explosion. La paroisse Saint-Joseph s’apprêtait à célébrer du 7 au 9 septembre un festival marial. Du fait de l’incident, celui-ci a vu son programme réduit. Les tentes qui avaient été dressées dans la rue devant l’église ont été démontées. Selon la police locale, « des groupes de talibans se sont installés à proximité de la paroisse et peut-être ont-ils voulu tester les engins explosifs qu’ils fabriquent. Nous avons ouvert une enquête ». C’est la troisième fois en trois ans que l’église Saint-Joseph est la cible d’actions violentes.