Eglises d'Asie – Bangladesh
La minorité bouddhiste victime de violentes attaques des musulmans
Publié le 01/10/2012
C’est dans la soirée du 29 septembre qu’une foule d’environ 25 000 personnes a commencé à déferler sur Ramu, dans le district de Cox’ Bazar, proche de la frontière birmane, mettant le feu à plus d’une quinzaine de temples bouddhistes en bois, dont certains avaient plus de 300 ans, et détruisant des dizaines de maisons. Selon les témoins, les assaillants, aux cris d’« Allah Akbar », ont poursuivi ensuite toute la nuit leurs attaques dans les villages alentours, puis les sous-districts voisins d’Ukhia, Patia et de Teknaf, avant de gagner au petit matin le district de Chittagong, où d’autres monastères et pagodes bouddhistes ont été incendiés, des temples hindous également pris pour cible et des dizaines de maisons pillées.
Ce lundi 1er octobre, les forces de l’ordre peinaient toujours à établir un bilan des dégâts matériels mais aussi des éventuelles victimes, la plupart des membres des communautés bouddhistes ayant fui les violences dès le samedi soir et restant introuvables. Cependant, selon les derniers éléments d’informations fournis par les médias bangladais et les commissariats locaux, au moins 22 temples bouddhistes auraient été pillés et détruits, deux temples hindous incendiés et plus d’une centaine de maisons vandalisées.
Cette attaque est probablement la plus violente qui se soit jamais produit au Bangladesh envers la très minoritaire communauté bouddhiste et semble avoir pris de court les autorités. Sur les 153 millions d’habitants que compte le pays, près de 90 % sont musulmans, 8 % sont hindous, les chrétiens, les bouddhistes et les animistes se partageant les 2 % restants.
Si des heurts sont fréquemment rapportés entre les musulmans et les hindous ou encore les chrétiens, les violences envers les bouddhistes sont rares et l’événement a surpris malgré le contexte d’exacerbation des passions dû au film islamophobe « L’innocence des musulmans », au sujet duquel la colère ne s’est toujours pas dissipée au Bangladesh.
Devant cette situation inédite et un paysage de désolation qui évoque selon les témoins « le passage d’un cyclone », les autorités ont dès le dimanche 30 septembre interdit tout rassemblement public, instauré un couvre-feu dans les districts concernés, et dépêché des unités militaires et des gardes-frontière afin de prévenir de nouveaux incidents.
L’agence Fides, dans une dépêche de ce lundi 1er octobre, rapporte que le P. Adam S. Pereira, supérieur de la congrégation catholique de la Sainte-Croix, très présente au Bangladesh et en particulier à Chittagong, s’est dit « abasourdi » par cette soudaine « flambée de haine et de violence aveugles ». L’évêque de Chittagong, Mgr Moses M. Costa, a également exprimé sa surprise et son inquiétude : « Nous ne nous y attendions pas. Les deux communautés s’accusent réciproquement, mais cette violence [a été provoquée volontairement] par les islamistes. Nous, chrétiens, pourrions être la prochaine cible (…). Nous condamnons toute forme de violence et demandons le respect de toutes les communautés religieuses. »
Le ministre bangladais de l’Intérieur, Mohiuddin Khan Alamgir, qui s’est rendu sur les lieux dimanche, a déclaré être convaincu qu’il s’agissait « d’actes prémédités et délibérés de violence intercommunautaire envers une minorité ». Il s’est engagé à faire reconstruire les monastères et les temples détruits, et à ce que les victimes soient indemnisées et les coupables mis « sous les verrous d’ici quinze jours ».
Selon le Daily Star du lundi 1er octobre, 93 personnes ont été arrêtées dans les différents sous-districts de Cox’s Bazar et 73 autres dans ceux de Chittagong ce matin, en relation avec les violences du week-end. Ces 166 arrestations ont été annoncées par le ministre de l’Intérieur, qui a ajouté que plusieurs personnes avaient également été placées en détention préventive pour éviter d’autres troubles.
Quant au présumé responsable des émeutes, en ayant publié une « photo sacrilège » sur sa page Facebook, il s’agirait d’un certain Uttam Kumar Barua, employé du Bangladesh Institute of Small Industry and Cottage (BISIC), lequel a été arrêté et conduit dans un lieu tenu secret, ainsi que sa mère et sa tante, pour leur propre sécurité. Le jeune bouddhiste de 25 ans aurait cependant clamé son innocence, assurant qu’il avait été « tagué » (un processus de marquage sur Facebook) par un membre de son réseau sur la photo incriminée et n’avait jamais posté cette dernière.
Une déclaration qui semble rejoindre les dernières conclusions de l’enquête. Lors de sa conférence de presse ce matin à Dacca, Mohiuddin Khan Alamgir a en effet expliqué qu’ « [ils] étaient certains que ce n’était pas Uttam qui était à l’origine de la publication de la photo (…) où l’on voit une femme étrangère qui foule aux pieds le Coran (…) », mais que le jeune bouddhiste pouvait en revanche avoir été l’instrument de « fondamentalistes ayant agi avec la complicité d’agents étrangers », ou qu’« Uttam [ pourrait] être lui-même un de ces agent des puissances occidentales étrangères ».
Le ministre de l’Intérieur, s’il a réitéré à plusieurs reprises sa conviction que « cette affaire cachait un complot de l’Occident », a également accusé le Bangladesh Nationalist Party (BNP), principal parti d’opposition, d’avoir sciemment « jeté de l’huile sur le feu » et de porter une lourde responsabilité dans les émeutes des 29 et 30 septembre.
D’autres membres du gouvernement se sont joints au ministre de l’Intérieur pour pointer du doigt le Bangladesh Jamaat-e-Islami, allié du BNP et plus grand parti islamiste du pays, qui, selon eux, aurait utilisé la colère de ses membres au sujet des affrontements meurtriers dont sont victimes depuis juin dernier les Rohingyas musulmans dans l’Etat tout proche d’Arakan, de la part des Birmans bouddhistes.
Les responsables du BNP comme du Jamaat ont aussitôt démenti ces accusations, affirmant n’être aucunement impliqués dans les attaques et accusant à leur tour le gouvernement bangladais d’avoir manipulé les fonctionnaires locaux pour faciliter les émeutes, « la police et les pompiers n’étant étonnamment pas intervenus pendant les incendies et les pillages ».