Eglises d'Asie

Sous la pression des bonzes, le gouvernement refuse à l’OCI l’ouverture de centres d’aide pour les Rohingyas

Publié le 16/10/2012




Lundi 15 octobre, le gouvernement de Thein Sein a déclaré qu’il retirait son autorisation d’ouverture de bureaux de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) sur son territoire, afin de « respecter la volonté du peuple ».

Depuis plusieurs jours déjà, des milliers de moines bouddhistes défilaient dans les villes les plus importantes du pays, dont Rangoun et Mandalay, pour protester contre l’installation d’une antenne de l’OCI en Birmanie (1).

Rejoints par de nombreux citoyens birmans, ils étaient plus de 5 000 à Rangoun, lundi 15 octobre, à brandir des pancartes où l’on pouvait lire : « Non à l’OCI !» ou encore « Que vive le bouddhisme !». « Nous n’accepterons jamais qu’il y ait ici un bureau de l’OCI, même temporaire », a déclaré à l’AFP le Vénérable Oattamathara, l’un des bonzes en charge des actions de protestation à Mandalay.

Dans un contexte de forte tension due aux récentes violences entre bouddhistes arakanais et Rohingyas musulmans – une minorité apatride considérée comme l’une des plus persécutées au monde par l’ONU – , la demande d’ouverture d’un bureau de l’organisation musulmane a été perçue comme une provocation par la population très majoritairement bouddhiste du Myanmar.

Depuis juin en effet, des vagues de violences meurtrières entre Arakanais bouddhistes et Royingyas musulmans se succèdent dans l’Etat de l’Arakan (Rakhine), obligeant le gouvernement birman à maintenir l’état d’urgence dans la région. Selon le dernier bilan – officiel et largement sous-estimé selon les ONG et les rapporteurs de l’ONU -, les affrontements auraient fait 90 morts et 80 000 déplacés, pour ces trois derniers mois.

Selon les informations parcellaires qui proviennent de cette région interdite aux journalistes et aux organisations humanitaires, les derniers actes de violence connus ont été commis début octobre par des Arakanais bouddhistes qui auraient incendié le quartier musulman de Sittwe, chef-lieu de l’Arakan. L’incident n’aurait pas fait de victimes cette fois-ci, les Rohingyas ayant été déplacés dans des camps autour de Sittwe et dans le nord de l’Etat, depuis les heurts intercommunautaires de juin dernier.

Ces agressions, tout comme les précédentes, avaient été menées en représailles après d’autres violences, ici commises par les musulmans du Bangladesh voisin, qui, apprenant les attaques qui avaient touché les Rohingyas en Birmanie, avaient incendié les temples et les habitations des communautés bouddhistes installées à la frontière bangladaise, les 29 et 30 septembre dernier.

Alors que l’animosité entre les deux communautés reste vive et que les quelque 800 000 Rohingyas de Birmanie sont de plus en plus considérés comme un danger pour l’identité birmane intimement associée au bouddhisme, l’annonce de l’installation de la représentation de l’OCI a été mal reçue. « Nous ne voulons rien avoir à faire avec l’OCI qui est une organisation islamique, explique un bonze lors de la grande manifestation de lundi dernier à Rangoun. Sa présence ne fera que créer davantage de violence interethnique et interreligieuse dans notre pays. »

Les manifestations du lundi 15 octobre, qui sont les plus importantes depuis que le mouvement contre l’OCI  a été lancé par les moines, auront finalement obtenu du gouvernement qu’il cède devant « la volonté de la nation ». Le 15 octobre au soir, le site Internet du cabinet présidentiel affichait la déclaration attendue : « Le gouvernement n’autorisera pas l’ouverture d’un bureau de l’OCI, car cela n’est pas conforme au désir de la population. »

L’organisation musulmane avait cependant bien obtenu du président Thein Sein l’autorisation d’ouvrir une antenne en Birmanie afin de venir en aide aux Rohingyas. Cette demande avait été faite l’été dernier, après que des représentants de l’OCI eurent effectué une mission d’évaluation dans l’Arakan et constaté les prémices d’une crise humanitaire grave, notamment dans les camps de déplacés où les conditions sanitaires et alimentaires se détérioraient rapidement. Un accord de coopération avait été signé début septembre entre l’OCI et le gouvernement de Birmanie, prévoyant l’installation d’un bureau pour les affaires humanitaires à Rangoun et d’un bureau de coordination à Sittwe en Arakan.

Dans son édition du mardi 16 octobre, le magazine The Irrawady cite le directeur du Département des minorités de l’OCI, Talal Daous, s’exprimant depuis l’Arabie Saoudite où se trouve le siège de l’organisation : « Cette décision [du gouvernement birman] est très regrettable car le service qui était envisagé était uniquement humanitaire et devait être dispensé à tous ceux qui avaient été victimes des violences intercommunautaires sans aucune discrimination. »  Le directeur du Département des minorités concluait en critiquant la « légèreté et le manque de sérieux » d’un gouvernement qui « revient sur ses engagements » et qui, de plus, ne « semble pas très préoccupé par les questions humanitaires ».