Eglises d'Asie

Le roi des Chakmas alerte la communauté internationale sur la gravité de la situation des autochtones jummas

Publié le 02/11/2012




Dans le cadre d’une tournée européenne afin de sensibiliser l’opinion publique sur les discriminations subies par son peuple, Raja Devasish Roy, roi des Chakmas, la communauté la plus importante parmi les Jummas du Bangladesh …

… , s’est exprimé lors d’une conférence de presse organisée conjointement par la Fondation France Libertés et l’ONG Survival, à Paris mercredi 31 octobre.

« Je suis ici pour attirer l’attention de la communauté internationale sur ce que vivent les communautés autochtones au Bangladesh, a déclaré en préambule, Raja Devasish Roy, avant d’ajouter : « Leurs droits fondamentaux sont gravement bafoués, et le traité signé il y a 15 ans déjà entre les Jummas et le gouvernement attend toujours d’être véritablement appliqué ».

Depuis qu’il a été proclamé roi des Chakmas en 1977, Raja Devasish Roy, 54 ans, se bat pour la reconnaissance des droits des minorités ethniques et religieuses au Bangladesh, se faisant le défenseur de la cause de l’ensemble des Jummas –terme générique regroupant les onze ethnies aborigènes des Chittagong Hill Tracts – sur la scène internationale. Ces derniers jours il a entamé une tournée en Europe afin de faire connaître le sort oublié de ces autochtones du sud-est du Bangladesh. Un périple qui l’a amené de Bruxelles où il s’est exprimé devant la commission européenne, à Paris où il a été reçu entre autres par le Sénat et aujourd’hui 2 novembre, à Genève où il plaide la cause des Jummas devant la Commission internationale pour les Droits des Peuples Indigènes à l’ONU.

Avocat à la Cour suprême du Bangladesh, Raja Devasish Roy s’est fait reconnaître au fil des années comme un interlocuteur politique de poids par les autorités de son pays. Pendant la crise du pouvoir de 2006-2008, il a été conseiller du gouvernement militaire provisoire, ayant en charge le ministère des Chittagong Hill Tracts et le ministère des Forêts et de l’environnement. Il est actuellement membre expert pour l’Asie, au Forum permanent des peuples autochtones des Nations Unies, après avoir siégé comme co-président à la Conférence à l’origine de la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones de 2007.

Aujourd’hui, à l’occasion du 15e anniversaire du traité de paix entre les Jumma et le gouvernement, le roi des Chakmas tire la sonnette d’alarme : « Nous demandons la reconnaissance de notre existence, de notre identité, de nos droits, comme tous les autres peuples ». Il poursuit : « Les Chakmas souffrent non seulement de discriminations, mais de violations des droits de l’homme les plus essentiels : violences, expropriations de leurs terres, non-accès à l’aide humanitaire, aux soins, à l’éducation … ».

Pour lui, les raisons de ces discriminations sont « autant d’ordre ethnique que religieux ou culturel ». Dans un pays où 90 % de la population est bengalie et plus de 85 % de religion musulmane, « il s’agit avant tout de confrontation de cultures et de visions du monde très différentes », explique-t-il encore. Les Chakmas sont quant à eux très majoritairement bouddhistes de tradition theravada, comptant également parmi eux quelques communautés chrétiennes ou hindoues.

Au Bangladesh, leur nombre a été estimé par le gouvernement à plus de 350 000, un chiffre que les Chakmas considèrent comme largement sous-évalué. Il est plus probable, selon eux, que leur population sur l’ensemble du Bangladesh, du Nord-est de l’Inde et de la Birmanie où ils sont également présents, dépasse les 3 millions. Mais aujourd’hui, les Chakmas et les Jummas dans leur ensemble sont devenus minoritaires sur leurs terres ancestrales des Chittagong Hill Tracts. Un processus d’exclusion qui a commencé dès la partition de 1947 entre l’Inde et le Pakistan, avec l’installation de colons bengalis musulmans, encouragée par le gouvernement bangladais et accompagnée d’une violente répression des autochtones.

L’indépendance du Bangladesh en 1971 n’a fait qu’aggraver la situation et augmenter encore les violations des droits de l’homme envers les Jummas, conduisant certains d’entre eux à organiser une résistance armée sous le contrôle du parti autochtone Parbatya Chattagram Jana Sanghati Samiti (PCJSS). Des décennies d’affrontement aboutirent à transformer la région en zone militarisée où les ONG ne pouvaient pénétrer et d’où fuyaient des milliers d’aborigènes lors des flambées de violences qui secouaient régulièrement  les Chittagong Hill Tracts. Ce fut le cas notamment en 1986 où des incidents meurtriers contraignirent à l’exil un très grand nombre d’autochtones (dont une part importante de Chakmas), fuyant les massacres, les incendies de leurs villages, les viols et les tortures.

Un accord de paix entre la guérilla jumma et le gouvernement fut finalement signé, avec la médiation de Raja Devasish Roy, le 2 décembre 1997, traité qui devait mettre fin à la militarisation de la zone et à la spoliation des terres par les colons et l’armée. « C’était aussi un accord visant à faire évoluer le pouvoir des autorités locales, avec une certaine autonomie régionale… », précise le roi des Chakmas, qui évoque « le grand espoir » qu’avait fait naître le traité et le « peu de promesses qui ont été tenues ».

Seule aura échappé au naufrage des accords, la mise en place du Chittagong Hill Tracts Regional Council, conseil chargé de l’administration des 3 districts constituant la région, et au sein duquel les Chakmas sont largement représentés en tant qu’ethnie majoritaire.

Mais aujourd’hui, rapporte Raja Devasish Roy, les violences et exactions envers les Jumma continuent, les militaires ne se sont pas retirés et la spoliation des terres se poursuit. En septembre dernier, à Rangamati, des attaques de colons bengalis contre des populations jumma ont fait une soixantaine de blessés graves, et de nombreuses habitations, centres de soins et écoles incendiés.

Faisaient pourtant partie des engagements du traité de 1997, la non-discrimination envers les autochtones et la restitution de leurs terres. Mais le 15e amendement de la constitution voté en juin 2011 a anéanti les derniers espoirs des peuples indigènes.

En effet, par cet amendement, les Jummas ainsi que tous les adivasi (‘tribals’) du Bangladesh se sont vus refuser la reconnaissance d’un statut de peuple autochtone – qu’ils demandaient depuis des années- , perdant ainsi leur droit à être reconnus dans leurs spécificités ethnique, culturelle et religieuse telles que définies par la Déclaration des droits des autochtones, adoptée par l’ONU en septembre 2007. Cette dernière stipulait en outre que les peuples autochtones ne pouvaient être expulsés de leur terre et avaient le droit d’en exploiter les richesses ; une revendication qu’il sera désormais plus difficile aux Jummas, comme aux autres ethnies aborigènes, de mettre en avant, sans l’appui de la Constitution bangladaise.