Eglises d'Asie – Malaisie
La question de la liberté religieuse au cœur de la campagne électorale
Publié le 07/11/2012
Ainsi, le 3 novembre dernier, Nurul Izzah Anwar, vice-présidente du PKR (Parti Keadilan Rakyat) (1), a déclaré au cours d’un meeting qu’elle était favorable à ce que la liberté religieuse bénéficie à tous les Malaisiens, y compris aux Malais. Ce faisant, elle s’est attirée de vives critiques de la part de groupes islamiques conservateurs ainsi que de membres de l’UMNO, le parti au pouvoir, qui l’ont accusée d’être favorable à « l’apostasie » des musulmans.
L’ancien Premier ministre Mohamad Mahathir est monté au créneau le 7 novembre, affirmant en conférence de presse : « Nous sommes musulmans. Nous ne changeons pas de religion. Quant aux autres, (…) leurs croyances les autorisent peut-être (à se convertir), mais nous ne devrions pas nous laisser influencer par les idées occidentales. » L’ancien homme fort de la Malaisie a ajouté qu’au cas où une telle liberté serait accordée aux musulmans, cela aurait des conséquences néfastes en termes d’équilibre entre les ethnies qui composent la population du pays.
Dans les semaines qui ont précédé, ce sont des groupes et des responsables musulmans ainsi que des parlementaires et des membres de l’UMNO qui ont lancé une campagne visant à demander l’introduction des hududs dans la législation malaisienne. Là encore, la question religieuse a des répercussions politiques. Les hududs sont les dispositions légales inspirées de la charia qui définissent les peines appliquées pour les différents crimes (comme par exemple l’amputation de la main pour les voleurs). En Malaisie, Etat laïque dont la religion officielle est l’islam et où les autres religions ont droit de cité, des lois inspirées de la charia existent déjà ; elles s’appliquent aux seuls musulmans et concernent les secteurs de la vie civile tels que le mariage, le divorce, l’héritage et des questions morales. La Constitution fédérale donne aux Etats la possibilité d’assurer l’application de telles lois issues de la charia mais réserve le domaine du Code pénal au gouvernement fédéral. Selon les propositions avancées ces dernières semaines par des membres de l’UMNO, les hududs devraient donc être imposées aux non-musulmans.
La réaction de ces derniers a été immédiate. A l’agence Fides, Thomas Philips, prêtre de l’Eglise Mar Thoma syrienne de Malaisie et président du Malaysian Consultative Council of Buddhism, Christianity, Hinduism, Sikhism and Taoism, organe défendant les intérêts des non-musulmans de Malaisie, a déclaré : « Notre position est claire : nous entendons conserver le statu quo et nous défendrons la Constitution actuelle, qui protège les minorités et ne fait pas de la Malaisie un Etat islamique. Nous sommes opposés à toute modification qui conduirait à imposer la loi islamique via les ordonnances hududs. » Un responsable hindou, Mogan Shan, a pour sa part souligné que « les non-musulmans étaient déjà pénalisés par la législation actuelle, notamment en ce qui concernait les mariages mixtes » étant donné que le conjoint non musulman devait se convertir à l’islam. En dépit des conflits de juridiction occasionnés par l’existence de ce système judiciaire double (les cours islamiques étant réservées aux seuls musulmans et les cours civiles aux autres), les responsables religieux non musulmans rejettent tous l’imposition des hududs à l’ensemble des Malaisiens.
Selon Thomas Philips, proposer aujourd’hui l’introduction des hududs « constitue une manœuvre électoraliste : étant donné l’imminence des élections, certains responsables veulent gagner des voix en touchant à des thèmes religieux. Nous demandons à tous de ne pas instrumentaliser la religion à des fins politiques. La campagne électorale doit être fondée sur les solutions à apporter aux problèmes réels des personnes et non sur l’exploitation d’arguments relatifs à la religion ».
De fait, la campagne électorale attise les passions. Pour le Barisan Nasional, la coalition au pouvoir depuis 54 ans et dominée par l’UMNO, l’enjeu est d’inverser la tendance imprimée lors des précédentes élections de 2008, au cours desquelles pour la première fois elle avait perdu la majorité symbolique des deux tiers qu’elle détenait au Parlement. L’opposition, emmenée par Anwar Ibrahim, compte quant à elle consolider sa percée, voire accéder au pouvoir. Dans ce combat, les uns comme les autres veillent à la fois à séduire l’électorat malais (et donc musulman) tout en n’effrayant pas les composantes minoritaires de la population (2). Mais, au sein de la société civile, le succès de la mobilisation populaire autour de Bersih (‘propre’ en malais), qui milite pour des élections dénuées de fraude, témoigne du désir d’une part grandissante de la population de ne plus se laisser définir en fonction de l’appartenance ethnique ou religieuse.