Eglises d'Asie

Entre menace islamiste et rassemblement interreligieux, les chrétiens célèbrent Noël sous haute surveillance

Publié le 27/12/2012




Plus encore que les années précédentes, les Eglises chrétiennes au Pakistan ont voulu placer les célébrations de Noël sous le signe de la paix et de la réconciliation. Les rassemblements œcuméniques et interreligieux ont fleuri un peu partout dans le pays, malgré les incidents qui n’ont pas manqué de se produire.

« Pour la première fois au Pakistan, Noël 2012 sera célébré dans la pleine communion des quatre principales communautés chrétiennes », avait déclaré le 22 décembre à l’agence Fides le P. Andrew Nisari, vicaire général de l’archidiocèse catholique de Lahore. Cette unité des chrétiens qui se voulait « visible, y compris au plan médiatique » a consisté en différentes initiatives communes entre l’Eglise catholique et les trois principaux courants des Eglises protestantes : la Church of Pakistan (1), l’Eglise presbytérienne et l’Armée du Salut. Dans les diocèses catholiques de Lahore et d’Islamabad-Rawalpindi, les Eglises ont partagé ainsi une neuvaine de Noël en commun, des rencontres en faveur du dialogue interconfessionnel, ainsi qu’une célébration œcuménique de Noël. A Lahore encore, s’était déjà tenue le 20 décembre, au centre dominicain Peace Center dédié au dialogue interreligieux, une célébration de Noël réunissant 150 personnes – chrétiens, musulmans, hindous et bahaïs – afin de prier pour la paix et la réconciliation.

Une autre rencontre interreligieuse a également été organisée à Islamabad avec le soutien actif de la Pakistan Muslim League-Q (PML-QA), parti politique membre de l’actuelle coalition au pouvoir. La célébration réunissait divers responsables musulmans et chrétiens, ainsi que des membres du gouvernement. Parmi ces derniers se trouvait Akram Masih Gill, ministre fédéral pour l’Harmonie nationale, membre du PML-Q et chrétien, lequel a évoqué le rôle joué par les Eglises dans la construction du pays, notamment dans les domaines de l’enseignement et de la santé.

On peut aussi noter que le ghetto chrétien de Karachi, Essa Nagri, qui avait été le théâtre ces derniers mois d’assauts meurtriers des islamistes, a accueilli le 15 décembre dernier plus de 2 000 personnes sous l’égide du Muttahida Qaumi Movement (MQD) (2). Dans ce ghetto où vivent plus de 50 000 chrétiens dans des conditions très précaires, rapporte le Pakistan Tribune de ce 26 décembre, les responsables et fidèles musulmans ont invité les familles chrétiennes locales afin de leur exprimer leur soutien et de prier pour la paix. « Essa Nagri, a déclaré à l’agence Fides le P. Younas Javed, un des prêtres catholiques de cette communauté, signifie ‘Ville de Jésus’ et pendant une journée, le quartier est vraiment devenu une nouvelle Bethléem où Jésus est né au milieu de la souffrance, portant un message de joie et d’espérance » (3).

Pourtant, selon la Commission des droits de l’homme au Pakistan (HRCP), « 2012 aura été l’une des pires années pour les chrétiens du Pakistan » : un nombre considérable d’entre eux a été accusé de blasphème, beaucoup ont été tués, plusieurs de leurs églises ont été brûlées et leurs maisons pillées. La Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan a souligné que les destructions de lieux de culte n’avaient touché que les minorités religieuses : cinq églises, trois temples hindous et une mosquée ahmadi. « Ces événements indiquent une augmentation préoccupante de la violence envers les minorités dans le pays », a commenté la Commission dans une note envoyée à l’agence Fides, ajoutant que cette violence avait pour origine « un mélange d’incompétence, de complicité et de peur » de l’Etat. Peter Jacob, directeur de la Commission ‘Justice et paix’, a déclaré que ces attaques ne « pourraient s’arrêter que si le Pakistan adoptait une loi sanctionnant la violence à l’encontre des minorités ».

Parmi les cas qui ont particulièrement marqué cette année, celui de Rimsha Masih – une adolescente chrétienne, faussement accusée de blasphème par un responsable musulman et qui n’a été relâchée que sous la pression des ONG et des pays occidentaux. Quant à Asia Bibi, dont l’affaire a pourtant été largement médiatisée, elle a passé son quatrième Noël en prison. « Le temps est fini où nous pouvions dire que seul un petit groupe d’extrémistes, de xénophobes, d’hommes haineux et intolérants pouvaient commettre de tels crimes. Aujourd’hui, le poison s’est répandu sans toute la société pakistanaise », explique Mohsin Sayeed, un journaliste de Karachi, à la Deutsche Welle, ajoutant que ceux qui condamnent « ces crimes barbares » sont devenus minoritaires au Pakistan.

Alors que les mois précédents ont été marqués par de nombreuses attaques meurtrières, faute de protection de la police, les autorités avaient mis en place, pour les 24 et 25 décembre de cette année, un dispositif de sécurité renforcé. Les célébrations de Noël 2012 se sont déroulées sans incident notable. A Lahore, 5 600 policiers avaient été déployés devant les églises de la ville, des patrouilles surveillaient les places et autres lieux susceptibles de se prêter à un rassemblement et, aux abords de la ville, des check-points permettaient de contrôler les véhicules.

La presse officielle a saisi l’occasion pour présenter, avec une certaine emphase, les « mesures efficaces de sécurité » prises par le gouvernement « pour assurer la paix lors de la grande fête des chrétiens, bien qu’ils ne soient que 1,6 % de la population » (4). Il est rapporté que l’église Notre-Dame de Fatima à Islamabad avait reçu des menaces d’attentat et que la police ayant « sécurisé les abords du lieu de culte », les célébrations s’étaient déroulées dans « la quiétude et l’enthousiasme ». Un écho qui l’on ne retrouve pas dans toutes les communautés chrétiennes, qui ont été nombreuses à se voir signifier de fêter Noël dans la plus grande discrétion.

Cela a notamment été le cas Peshawar où les chrétiens ont célébré la Nativité « sans manifestation publique » ni aucune « décoration lumineuse extérieure ». Ces consignes, données par les différentes Eglises de la région, avaient été dictées autant par les menaces dont elles avaient été l’objet que par le deuil du ministre de la province de Khyber-Pakhtunkhwa, Ahmad Bilour, assassiné avec huit autres personnes le 22 décembre dans un attentat suicide revendiqué par le Tehrik-e-Taliban Pakistan. Mgr Humphrey Peters, évêque de Peshawar pour la Church of Pakistan, a exprimé lors d’une déclaration commune des différentes Eglises, sa « profonde affliction » du décès d’un « homme très proche des chrétiens (…) et qui soutenait les minorités dans cette région infestée de talibans ».

Le 25 décembre, Abdul Hai, l’un des responsables de la Commission des droits de l’homme du Pakistan, a déclaré : « Le fanatisme religieux grandit au Pakistan et les extrémistes religieux prennent chaque jour un peu plus de pouvoir (5). Malheureusement, le gouvernement ne fait rien pour protéger les minorités ni leurs lieux de culte. »