Eglises d'Asie

Ni les rebelles ni le gouvernement ne désirent la paix dans l’Etat Kachin, selon l’Eglise catholique

Publié le 08/01/2013




Depuis Noël dernier, les combats ont redoublé d’intensité dans l’Etat Kachin où les troupes gouvernementales paraissent désormais en mesure de resserrer leur étau sur la base de Laiza, localité tout proche de la frontière chinoise où se trouve le quartier général de la Kachin Independence Army (KIA). Selon le directeur de la Caritas locale du diocèse de Lashio, l’accentuation des combats de ces derniers jours témoigne de « l’addiction à la guerre » des parties en présence.

Le P. Christopher Raj dirige Karuna Lashio Social Service, la Caritas du diocèse de Lashio, qui vient en aide aux réfugiés kachin fuyant les combats pour trouver refuge dans cette partie de l’Etat Shan. Il témoigne des souffrances endurées par les civils depuis la rupture du cessez-le-feu en juin 2011 entre l’armée gouvernementale et la rébellion armée kachin. Au-delà de ce témoignage, il s’interroge sur les raisons de la permanence, voire de l’intensification des combats. « Parfois je me demande si les deux parties en présence dans ce conflit ne se sont pas habituées, voire ne sont pas devenues ‘accro’ à la guerre au point qu’il est quasi illusoire d’entretenir l’espoir de voir s’ouvrir des négociations de paix », explique-t-il ce 8 janvier dans une tribune libre publiée sur les fils de l’agence Ucanews.

Selon ce prêtre, « le gouvernement et la KIA semblent plus préoccupés par la préservation des lucratifs intérêts que les uns et les autres entretiennent avec la Chine ». En effet, poursuit-il, « tandis que l’Etat Kachin est déchiré par la violence, il y a toujours des affaires à faire et des profits à engranger dans le commerce du bois et des ressources minérales ; tout cela part de l’autre côté de la frontière à bord de véhicules non immatriculés ».

Il dénonce également les pourparlers que la rébellion kachin et le gouvernement birman ont menés avant la récente intensification des combats, les qualifiant de « rideau de fumée » destiné à donner du temps « aux dirigeants des deux camps pour qu’ils s’enrichissent alors que le nombre des morts allait croissant». Dans ce contexte, la Chine « trouve son intérêt en s’approvisionnant à bon compte en marchandises non taxées et en vendant aux belligérants les armes dont ils ont besoin ».

Aucune négociation de paix sérieuse ne pourra être conduite sans que soient présents à la table des négociations des « représentants de la population au nom de qui la défense de l’Etat Kachin est menée », affirme encore le prêtre catholique. « Tant que les différentes parties affectées par le conflit – soldats gouvernementaux, la KIA et les villageois innocents pris entre deux feux – ne s’assiéront pas autour d’une table, la rapacité et le goût du sang continueront de nourrir ce conflit », conclut le P. Raj.

Ces derniers jours, notamment le jour de Noël et dans les jours qui ont suivi, l’armée gouvernementale a procédé à des frappes aériennes, avec des avions de chasse et des hélicoptères de combat. Une telle montée en puissance du conflit a entraîné une vague de protestations de la part de la communauté internationale, Nations Unies et Etats-Unis en tête. Le gouvernement birman a répondu en niant dans un premier temps une attaque aérienne sur Laiza, puis en évoquant une action d’« autodéfense » avant d’affirmer que ses avions ne faisaient que protéger une importante voie d’approvisionnement. Après que trois bombes eurent atterries sur son territoire, la Chine a émis une protestation par la voie diplomatique.

A Rangoun, Aung San Suu Kyi s’est refusé à se saisir de la question kachin. En marge d’un discours prononcé le 6 janvier pour le 65ème anniversaire de l’indépendance du pays, alors qu’elle était interrogée par la presse sur une éventuelle démarche visant à faire cesser les combats, elle a répondu que « [l’affaire] relevait du champ d’action du gouvernement ». La prix Nobel de la paix a ajouté qu’il lui serait nécessaire d’avoir une invitation officielle, au cas où elle devrait prendre part à des négociations de paix visant à trouver une solution à la guerre dans l’Etat Kachin.

En refusant ainsi d’user de son autorité morale, Aung San Suu Kyi a suscité des expressions de mécontentement et de déception. Son relatif silence à propos des violences entre bouddhistes et musulmans dans l’Arakan à l’automne dernier lui avait déjà valu des critiques. Cette fois-ci, des organes de presse comme l’Irrawaddy, publication d’exilés birmans historiquement proches de celle qui a incarné l’opposition à la junte, ne cachent plus leur désapprobation.

La publication dénonce le « silence » d’Aung San Suu Kyi sur la question des Rohingyas comme des Kachins, le qualifiant de « réponse complètement inadaptée aux problèmes les plus urgents du pays ». Plus encore, l’Irrawaddy avance que cette attitude « démontre à quel point Suu Kyi, qui aura 70 ans quand le pays se rendra aux urnes [pour les élections présidentielles] de 2015, s’est éloignée de ce qu’elle incarnait lorsqu’elle était la voix qui inspirait les masses opprimées du pays. Aujourd’hui, il semble qu’elle se contente d’attendre les instructions du gouvernement avant de prendre position sur l’évidence absolue : que le bain de sang doit cesser, sauf à ce que les blessures de la Birmanie ne cicatrisent jamais ».

En conclusion, l’éditorialiste de l’Irrawaddy ajoute : « Sans parole décisive de la femme en laquelle le pays a placé ses espoirs pour un avenir meilleur, la Birmanie demeurera au mieux une version légèrement moins répressive de la tyrannie profondément divisée qu’elle n’a cessé d’être tout au long de son histoire en tant que nation moderne. »