Eglises d'Asie – Thaïlande
Bangkok et les insurgés du Sud thaïlandais se disent prêts à entamer des pourparlers de paix
Publié le 28/02/2013
Ce 28 février, c’est à Kuala Lumpur, en Malaisie, que les deux parties se sont entendues. En présence de son homologue malaisien, le secrétaire général du Conseil national de sécurité thaïlandais a échangé une poignée de main avec Hassan Taib, représentant en Malaisie du Front national révolutionnaire (Barisan Revolusi Nasional Melayu Pattani). Le Front est l’une des diverses organisations du Sud thaïlandais qui réclament la sécession de Pattani, Narathiwat et Yala, les trois provinces thaïlandaises à majorité malaise et musulmane. A l’issue de la cérémonie de signature de l’accord, Hassan Taib a déclaré qu’« avec l’aide de Dieu, [les deux parties] feraient de leur mieux pour résoudre le problème (…) et travailler ensemble ».
Dans la soirée de ce 28 février, le Premier ministre malaisien Najib Razak devait avoir une entrevue avec le chef du gouvernement thaïlandais, Mme Yingluck Shinawatra, actuellement en déplacement en Malaisie, pour évoquer cet accord, dont on ne sait pour l’heure que peu de choses. Aucune date n’a été communiquée quant à de futures négociations entre Bangkok et les insurgés du Sud thaïlandais.
En dépit de ces limites, l’accord conclu à Kuala Lumpur constitue bien une première depuis qu’en 2004, les violences ont éclaté dans les trois provinces à majorité malaise du Sud thaïlandais. Au fil des années, le nombre des victimes a augmenté sans beaucoup de répit (à ce jour, plus de 5 300 morts et 11 000 blessés, principalement des civils) et surtout sans qu’aucune solution politique n’émerge.
Avant d’être élue en 2011 au poste de Premier ministre, Yingluck Shinawatra, sœur de l’ex-Premier ministre Thaksin, avait bien osé évoquer l’idée d’une « zone administrative spéciale » pour les trois provinces méridionales, mais une fois au pouvoir, elle a semblé s’en remettre à une approche purement militaire du problème, contribuant ainsi à son enkystement.
L’ouverture de négociations avec des représentants des insurgés représente donc un changement de cap très notable. Selon Srisompob Jitpiromsri, chercheur en sciences politiques à l’Université Prince of Songkhla, en Thaïlande, « cet accord est une bonne nouvelle : non seulement c’est la première fois que le gouvernement thaïlandais reconnaît un groupe séparatiste, mais le fait que le processus de négociation se fasse sous médiation malaisienne ne peut qu’encourager d’autres parties à s’engager dans les pourparlers » (1).
Pour nombre d’experts, la suite qui sera éventuellement donnée à ce premier accord est cependant tout sauf évidente. Ils soulignent qu’à Bangkok, le gouvernement aussi bien que les militaires ont beaucoup de mal à identifier des interlocuteurs légitimes et représentatifs dans un conflit où les attentats et les violences quasi quotidiennes ne sont jamais revendiqués par telle ou telle organisation. Chercheur à l’Université Chulalongkorn, à Bangkok, Panitan Wattanayagorn estime qu’« il existe plusieurs groupes qui pourraient venir à la table des négociations avec les autorités thaïlandaises mais ils ne sortiront pas de la clandestinité tant que leur sécurité ne sera pas garantie et qu’ils n’obtiennent pas une amnistie – ce qui, en l’état actuel des choses, a peu de chances de leur être accordée par le gouvernement ». De plus, ajoute le chercheur, « l’unité devra se faire également au sein des insurgés eux-mêmes et elle n’est pas du tout acquise, ce qui laisse à penser que nous ne verrons pas les incidents disparaître du jour au lendemain ».
Peuplées à 80 % de Malais musulmans, les trois provinces du Sud thaïlandais, ainsi que quatre districts de la province voisine de Songkhla, se distinguent du reste du royaume de Thaïlande où les musulmans ne forment qu’une minorité de 2,3 % de la population. Ancré dans une histoire faite d’une commune appartenance au sultanat de Pattani, formellement rattaché à la Thaïlande en 1909, le particularisme des provinces du Sud thaïlandais se nourrit d’un sentiment identitaire et culturel très fort. Les populations locales ressentent très mal, par exemple, le fait de devoir envoyer leurs enfants apprendre le thaï à l’école plutôt que le jawi (yawi), dialecte local issu du malais et écrit à partir de l’alphabet arabe. S’ajoute à cela le sentiment d’être laissé à l’écart du développement économique, bien que les grands centres touristiques de Phuket et Krabi ne soient qu’à une demi-journée de voiture.
Dans ce conflit, dont il est difficile de déterminer avec précision les acteurs – les insurgés appartenant à une nébuleuse peu structurée politiquement quoiqu’organisée militairement sur le terrain –, le facteur religieux ne se présente pas à ce jour comme un point de ralliement. La pratique de l’islam est en effet libre et ne pose pas de difficultés particulières dans le Sud thaïlandais.
Par ailleurs, les spécialistes s’accordent à dire que les rebelles ne semblent pas entretenir de contacts avec les groupuscules extrémistes présents en Indonésie ou dans le Sud philippin. En revanche, certains insurgés mêleraient étroitement revendication séparatiste et engagement dans des activités criminelles ou mafieuses.