Eglises d'Asie

Des bouddhistes étrangers appellent à la fin des violences contre les Rohingyas

Publié le 12/12/2012




Le 5 décembre dernier, dix-sept responsables bouddhistes issus de différents pays à travers le monde ont publié une lettre ouverte « à leurs frères et sœurs bouddhistes » de Birmanie pour leur faire part de leur « préoccupation » au sujet des violences ethniques visant les musulmans dans l’Etat Rakhine.

Publiée en premier lieu sur Tricyle, site de dissémination de la doctrine bouddhique, puis reprise le 10 décembre par le site américain The Huffington Post, la lettre a reçu très peu d’écho en Birmanie même et guère plus au sein des sites d’information indépendants tels que The Irrawaddy ou The Democratic Voice of Burma. Ces sites couvraient en revanche largement les suites de la répression lancée le 29 novembre dernier par les forces de l’ordre birmanes contre les opposants à une mine de cuivre exploitée par des intérêts chinois, opération au cours de laquelle plusieurs dizaines de moines bouddhistes ont été blessés.

Signée de personnalité telle le vietnamien Thich Nhat Hanh, fondateur du Village des pruniers, sis en France, du moine américain Bhikkhu Bodhi, du moine réformateur thaïlandais Phra Phaisan Visalo et de quatorze autres personnalités bouddhistes du Sri Lanka, du Japon, du Canada et des Etats-Unis, la lettre est un appel très clair adressé aux bouddhistes de Birmanie à ne pas faire preuve d’esprit de haine et d’exclusion envers les musulmans rohingyas en Arakan.

« Alors que la Birmanie traverse une période de grands changements positifs, nous sommes inquiets de la violence ethnique croissante qui touche les musulmans de l’Etat Rakhine et de la violence à l’encontre des musulmans et d’autres (populations) à travers le pays », écrivent ces responsables bouddhistes. Rappelant que « les Birmans sont un peuple noble et [que] les bouddhistes birmans ont une histoire longue et profonde de défense du Dharma [l’enseignement du Bouddha, NDLR] », les signataires – qui ont reçu le soutien du dalaï-lama (1) – se placent aux côtés des bouddhistes birmans qui « prennent courageusement la défense des principes bouddhiques » de compassion, de bienveillance et de respect mutuel, « même quand d’autres diabolisent les musulmans ou d’autres groupes ethniques et leur nuisent ».

« Que vous soyez un maître, un jeune moine ou une religieuse, ou que vous soyez un bouddhiste laïque, s’il vous plaît, parler haut, levez-vous, réaffirmez ces vérités bouddhiques, et soutenez tous ceux qui, en Birmanie, agissent avec la compassion, la dignité et le respect offerts par le Bouddha », concluent-ils, non sans avoir rappelé les enseignements bouddhiques de compassion, de soin de l’autre, de respect pour tous, sans distinction « de classe, de caste, de race ou de croyance ».

L’appel des moines étrangers intervient alors que le conflit dans l’Etat Rakhine ne semble pas près de trouver une solution. Depuis le mois de juin dernier et au gré de regains sporadiques de tension, la minorité musulmane rohingya (environ 800 000 personnes sur quatre millions d’habitants dans l’Etat Rakhine), à laquelle une loi de 1982 dénie la citoyenneté birmane, se trouve en butte à l’hostilité ouverte des Arakanais bouddhistes. Des heurts entre les deux communautés ont fait des morts des deux côtés et les camps de déplacés, qui accueillent principalement des Rohingyas, organisent une ségrégation de fait des populations. Sous la pression de la communauté internationale, le président Thein Sein a déclaré, peu avant la visite à Rangoun du président américain le 19 novembre dernier, que son gouvernement travaillait à résoudre ce conflit, mais ni la manière ni l’objectif poursuivi n’ont été précisés. La leader de l’opposition, Aung San Suu Kyi, a appelé le gouvernement à préciser le champ d’application de la loi de 1982 ; elle s’est vu vertement tancée par Dacca après avoir laissé entendre que le problème venait en partie du fait que le Bangladesh n’assurait pas avec suffisamment d’efficacité la surveillance de sa frontière avec la Birmanie. A l’étranger, de nombreuses voix ont critiqué le relatif silence de la prix Nobel de la paix sur cette question et sa réticence à dénoncer les atteintes aux droits de l’homme dont sont victimes les Rohingyas.

Au sein de la communauté des moines bouddhistes de Birmanie, l’opinion la plus répandue concernant les Rohingyas semble être celle qui est partagée par la vaste majorité de la population, à savoir que les musulmans de manière générale (2) et les Rohingyas en particulier représentent un danger tant démographique que religieux pour le bouddhisme en Birmanie (lequel rassemble près de 90 % de l’ensemble des habitants du pays). Aux mois de septembre et d’octobre derniers, plusieurs milliers de moines bouddhistes étaient descendus dans les rues de Rangoun et de Mandalay pour protester contre les violences en Arakan ; ils appelaient à l’expulsion vers le Bangladesh des Rohingyas, caractérisés par eux – comme par une majorité de la population – d’immigrés illégaux bangladais.

Parmi ces moines se trouvent des personnalités comme le Vénérable Wirathu. Appartenant au monastère Masoeyein, l’un des monastères les plus influents de Mandalay, Wiranthu avait pris la tête des moines réclamant la déportation des Rohingyas de l’Arakan. Ces jours-ci, le même Wiranthu se montrait tout aussi actif pour organiser les manifestations dénonçant la violence mise en œuvre, le 29 novembre dernier, par les forces de l’ordre autour de la mine de cuivre de Latpadaung. Située à un peu plus de cent kilomètres au nord de Mandalay, près de la ville de Monywa, la mine, opérée en joint venture par des intérêts chinois et l’armée birmane, est l’objet d’une opposition tenace des populations locales. Après l’assaut lancé le 29 novembre contre les opposants à la mine, qui a fait plusieurs dizaines de blessés parmi les moines, le gouvernement a dû désigner une commission d’enquête. Dirigée par Aung San Suu Kyi, celle-ci doit rendre ses conclusions avant le 31 décembre et conseiller les autorités sur la poursuite ou non des opérations minières à Latpadaung.