Eglises d'Asie

Le parti des bonzes s’attaque aux musulmans pour « sauver la race bouddhiste et cinghalaise »

Publié le 29/03/2013




Plusieurs centaines d’extrémistes bouddhistes menés par des bonzes ont attaqué la nuit dernière un magasin de vêtements appartenant à une famille musulmane dans la banlieue de Colombo. Cet incident est le dernier épisode d’une campagne d’incitation à la haine orchestrée par les bouddhistes nationalistes cinghalais à l’encontre des minorités ethniques et religieuses du Sri Lanka. 

L’entrepôt et la boutique de vêtements attaqués à Pepiliyana, dans la banlieue de la capitale, appartiennent à la chaîne Fashion Bug, un groupe musulman, qui possède des magasins de prêt-à-porter bon marché dans les principales villes du pays.

Des vidéos prises par les caméras de surveillance, les téléphones portables de passants et la caméra d’un journaliste de la chaine Sirasa TV circulent déjà sur la Toile, ne laissant aucun doute sur l’identité des agresseurs. On y voit des moines bouddhistes briser les vitres du magasin sous les encouragements de la foule et le regard impassible des forces de l’ordre qui ne semblent pas envisager d’intervenir.

Les assaillants ont jeté des pierres sur les bâtiments avant de saccager les marchandises, de vandaliser plusieurs véhicules et d’y mettre le feu. Un nombre encore indéterminé de personnes ont été blessées, dont le gérant du magasin qui a dû être hospitalisé et quelques journalistes venus sur les lieux (parmi lesquels un reporter du Colombo Telegraph et un correspondant de la BBC).

Selon ces derniers, la foule menée par les moines rassemblait plus de 500 personnes et attaquait avec violence tous les témoins présents, malgré la présence de la police qui n’a pas bougé, attendant la fin de l’incident pour installer un cordon de sécurité. « Nous avons déployé des unités d’intervention spéciale et bouclé le périmètre », a cependant déclaré à la BBC ce matin le porte-parole de la police, Buddhika Siriwardena, ajoutant que « la situation était sous contrôle » et qu’aucune arrestation n’avait eu lieu.

Après les chrétiens (1), victimes de vagues de violence menées par les mêmes partis bouddhistes extrémistes, ce sont les musulmans qui ces derniers mois sont devenus les cibles principales des bonzes nationalistes. Depuis janvier, des universités, des écoles, des entrepôts, des magasins et des abattoirs ont été ainsi attaqués, généralement à la suite de prêches haineux de membres du parti Bodu Bala Sena (BBS, Force bouddhiste), dont le secrétaire général Gnanasara Thero appelle régulièrement chaque bouddhiste du pays à devenir un « policier officieux contre l’extrémisme islamique ».

Au nom de la « protection de la race cinghalaise et bouddhiste », le BBS et le Cinghalais Echo, un autre mouvement ultra-nationaliste, « recourent désormais à ‘l’action directe’ tous les deux ou trois jours », explique le correspondant de la BBC.

Si l’existence d’une politique de « bouddhisation et de cinghalisation forcée » de l’île est dénoncée depuis longtemps par les ONG et les Eglises chrétiennes, les attaques des bonzes ont augmenté de façon alarmante, amenant différentes organisations dont l’International Crisis Group (ICG) à alerter récemment la communauté internationale. « La situation des minorités a encore empiré depuis la fin de la guerre (…) et le gouvernement sri-lankais refuse de reconnaître la gravité de l’oppression dans laquelle il maintient les Tamouls et aujourd’hui les musulmans », s’inquiète le responsable de l’ICG pour le Sri Lanka dans le Times of India du 12 mars dernier.

Environ 74 % des Sri-Lankais sont Cinghalais et 70 % d’entre eux adhèrent au bouddhisme, religion d’Etat. Les hindous représentent 15 % de la population, et les chrétiens environ 9 % dont près de la moitié sont issus de la minorité tamoule. Les musulmans, dont le nombre est estimé à 8 %, occupent quant à eux un statut particulier au Sri Lanka où ils sont considérés comme une ethnie à part. 

Aujourd’hui, la position du « parti des bonzes », le Jathika Hela Urumaya (JHU, Front national de la liberté), qui appartient à la coalition dirigée par le président Mahinda Rajapaksa, s’est considérablement durcie et son objectif, qui vise à rétablir un Sri Lanka bouddhiste et cinghalais, très clairement exprimé. Le 26 mars, le Vénérable Thero Medagoda Abayathissa, l’un des chefs de file du BBS, lié politiquement au JHU, a engagé les familles cinghalaises à « avoir au moins cinq ou six enfants » afin de préserver la « race bouddhiste cinghalaise », ajoutant : « Le Sri Lanka n’est pas un pays multiracial ni plurireligieux, mais une nation cinghalaise et bouddhiste. Par conséquent, il doit se préparer à lutter contre les groupes extrémistes chrétiens et musulmans qui sont à l’oeuvre dans le pays. »

Cette déclaration très officielle intervenait en réponse à la grève générale des musulmans lancée le 25 mars en protestation à « la campagne de haine » menée contre eux par les bonzes nationalistes depuis des mois. « Les bouddhistes cinghalais doivent donner une leçon qu’ils n’oublieront pas aux extrémistes musulmans », concluait dans son communiqué le BBS, lequel venait pourtant d’obtenir quelques jours auparavant la suppression de l’étiquetage halal des produits alimentaires (2), mesure qu’il avait réclamée au cours de violentes manifestations tout au long du mois de février dernier. Cette décision avait finalement été prise par l’All Ceylon Jamiyyathul Ulama (ACJU), principale organisation musulmane sri-lankaise, afin de « mettre un terme à la campagne islamophobe menée par le parti bouddhiste » et à ses attaques répétées contre les mosquées et les magasins musulmans.

Quelques voix s’élèvent néanmoins ces jours-ci parmi les cinghalais bouddhistes pour dénoncer les actions du parti des bonzes. Dans le Sri Lanka Guardian de ce vendredi 29 mars, un « Sri-Lankais patriote », anonyme, fustige l’attitude de « moines racistes qui ne voient pas qu’ils mènent leur pays à la ruine » et prédit que « ces fous stupides » qui clament que « seuls les Cinghalais bouddhistes ont le droit de vivre au Sri Lanka » risquent de déclencher une autre guerre civile, qui sera « pire que les 30 années de conflit avec les Tigres tamouls ».

Les nationalistes continuent cependant de poursuivre de leur vindicte les commerces musulmans et ont publié cette semaine un communiqué demandant aux Cinghalais de boycotter les magasins des fidèles de l’islam lors du Nouvel An sri-lankais qui débute dans quelques jours.

Deux semaines avant l’attaque de Pepiliyanan, souligne encore le Colombo Telegraph de ce 29 mars, le BBS avait fustigé l’industrie textile « confisquée » par les musulmans. Le secrétaire général du BBS, Galabodaaththe Gnanasara Thero, avait accusé dans un discours haineux les magasins Fashion Bug de convertir de force leurs employées à l’islam, de les soumettre à des mauvais traitements et de les harceler sexuellement, appelant la foule à « lancer des pierres et détruire ceux qui osaient commettre de tels actes sur des jeunes filles innocentes ».

(eda/msb)