Eglises d'Asie – Chine
POUR APPROFONDIR – Que dit la Constitution chinoise au sujet de la religion ?
Publié le 18/04/2013
De ces quatre grands piliers inamovibles du régime, les partisans du Parti communiste chinois se félicitent, car ils attribuent à ce dernier bien des mérites : il a mené la Chine sur la route de l’indépendance nationale, de la reconnaissance internationale et du progrès économique. Grâce à la stabilité interne et à la très stricte discipline à laquelle sont soumis les membres du Parti, celui-ci donne au pays une armature solide et l’empêche de sombrer dans le désordre et la guerre civile. Le Parti communiste permet aux différentes provinces de cet immense pays qu’est la Chine de rester unies et solidaires dans les difficultés, malgré une population composée de tant d’ethnies différentes. Finalement, et ce n’est pas rien, il a rendu sa fierté au peuple chinois.
Les accusateurs du Parti, quant à eux, ne mâchent pas leurs mots : contrôle idéologique sévère, musèlement de la liberté d’expression, des libertés syndicales, restrictions nombreuses de l’usage d’Internet, encadrement sourcilleux des médias, quasi-interdiction pour des étrangers de participer à l’information ou même de s’exprimer publiquement, répression au quotidien des religions et des minorités ethniques, volonté ferme des plus hauts dirigeants chinois de maintenir à tout prix le monopole du pouvoir au Parti communiste. Celui-ci est toujours et partout présent, d’une présence étouffante et accaparante. Tout doit passer par ses fourches caudines et rien ne peut se faire sans lui. Il est l’incarnation de l’unique légitimité possible. Sa domination sans partage depuis plus de soixante ans engendre corruption, abus de pouvoir et d’innombrables violations des droits de la personne. Il a commencé par être l’expression des classes sociales les plus pauvres de Chine mais, au fil des ans, s’est transformé pour devenir, aujourd’hui, l’instrument de la classe dominante.
Dans ce contexte, chacun, au sein du Parti comme en dehors de lui, parle ouvertement de la nécessité d’une réforme du système. Dans un pays qui n’a pas connu d’Etat de droit et au sein d’une République populaire qui, un temps au cours de son histoire, a pu se passer de Constitution ou l’ignorer complètement, la réforme passe certes par une refonte de la Constitution mais aussi par une mise à plat de la place et du rôle du droit dans la société. Dans cette perspective, Pékin observe sans doute de près ce qui se passe aujourd’hui au Vietnam, où le pouvoir a initié une consultation publique au sujet de la refonte de la Constitution du pays et voit cette consultation lui échapper, la société civile – et notamment l’Eglise catholique – mettant en cause du rôle dirigeant du Parti communiste sur la politique et la société.
L’article ci-dessous, traduit par la rédaction d’Eglises d’Asie, présente succinctement ce que dit la Constitution de la République populaire de Chine de la religion, et notamment le fait, souvent repris à l’étranger, que la loi chinoise interdit l’instruction religieuse aux jeunes âgés de moins de 18 ans. L’auteur, Joann Pittman, a longuement vécu à Pékin et collabore aujourd’hui à China Source. Basé aux Etats-Unis, fondé en 1997, China Source vise à réunir et rassembler informations et analyses concernant les communautés chrétiennes de Chine. Son article « What Does the Chinese Constitution Say About Religion? » est daté du 20 mars 2013.
Que dit la Constitution chinoise au sujet de la religion ?
par Joann Pitttmann
Les idées fausses abondent au sujet des dispositions concernant la religion qui sont inscrites dans la Constitution de la République populaire de Chine. Le gouvernement affirme que « la liberté de croyance religieuse » est inscrite au cœur dans la Constitution. Et pourtant souvent, nous entendons que la Constitution interdit l’enseignement de la religion aux personnes âgées de moins de 18 ans. Il n’est donc pas inintéressant de jeter un œil sur ce que la Constitution énonce réellement au sujet de la religion et de la liberté religieuse.
Depuis sa fondation en 1949, la République populaire de Chine a connu quatre textes constitutionnels différents. La première Constitution a été ratifiée en 1954 et a énoncé les principes directeurs, ainsi que l’établissement des structures de l’Etat et les droits et devoirs des citoyens. Une deuxième Constitution de la République populaire de Chine a été ratifiée en 1975, puis une troisième version amendée a été ratifiée en 1978. La Constitution actuelle de la République populaire de Chine date de 1982 (et a fait l’objet de révisions en 1988, 1993, 1999 et 2004). Chacune de ces Constitutions reflète les conditions politiques et sociales particulières qui avaient cours en Chine au moment de leur ratification.
Chacune de ces Constitutions comporte un article qui traite des « croyances religieuses ».
L’article 88 de la Constitution de 1954 dispose : « Les citoyens de la République populaire de Chine jouissent de la liberté de leurs croyances religieuses. »
Pendant la Révolution culturelle, la Constitution a été mise de côté et Mao a gouverné par ordonnances. A la fin de la Révolution culturelle, la Constitution a été reprise et révisée.
L’article 28 de la Constitution de 1975 dispose : « Les citoyens jouissent de la liberté de parole, d’écriture, de presse, de réunion, d’association, de défilés, de manifestations et du droit de grève et ils jouissent également de la liberté de croire ou de ne pas croire et de propager l’athéisme. »
L’article 46 de la Constitution de 1978 dispose : « Les citoyens jouissent de la liberté de croire à une religion ou de ne pas y croire et de propager l’athéisme. »
L’article 36 de la Constitution (actuelle) de 1982 dispose : « Les citoyens de la République populaire de Chine jouissent de la liberté de croire à une religion. Aucun organe de l’Etat, aucun organisme public ou privé ne peut contraindre les citoyens à croire ou à ne pas croire à une religion. L’Etat protège les activités religieuses normales. Personne ne peut, au nom d’une religion, organiser des actions qui troublent l’ordre public, qui nuisent à la santé des citoyens ou qui entravent le système éducatif de l’Etat. Les corps religieux et les affaires religieuses ne doivent pas être l’objet d’une domination étrangère. »
Le point commun à tous ces articles est de conférer le droit à croire ou à ne pas croire à une religion. On constate aussi que l’article 36 est le plus précis de tous les articles au sujet des protections que la Constitution semble offrir aux citoyens. Ceux-ci ne peuvent pas être contraints de croire à une religion. Ceux qui croient à une religion ne doivent pas être l’objet de mesures discriminatoires.
Cependant, les dispositions de la seconde moitié de cet article 36 semblent infirmer ou du moins définir des limites à la liberté promise dans la première partie. Après avoir énoncé les libertés reconnues aux citoyens, il est écrit en réalité que l’Etat peut fixer des limites à la religion (réglementation des activités religieuses « normales »). L’Etat est en position de déterminer quelles sont les activités religieuses qui peuvent être considérées comme « normales ». L’Etat doit fixer quelles activités sont considérées perturbatrices de l’ordre social, nuisent à la santé de la société et interfèrent dans le système éducatif. Selon certains universitaires et juristes reconnus de Chine populaire, la première partie de l’article protège effectivement la liberté religieuse alors que la seconde moitié la restreint. (Et, s’il m’est permis d’ajouter un commentaire : « rien n’est tel qu’il paraît être » sur ce point).
Cependant, en fin de compte, peu importe vraiment ce que la Constitution énonce ou non car, dans le système juridique en Chine, les tribunaux n’ont pas le pouvoir d’examiner la loi quant au fond. En d’autres termes, ils ne peuvent s’appuyer sur la Constitution quand ils ont à juger de telle ou telle affaire. Cela leur est tout simplement impossible et doit donc être tenu pour non pertinent.
Comme je l’ai précisé précédemment, cela fait des années que nous entendons ou lisons que la Constitution chinoise interdit l’enseignement de la religion aux jeunes de moins de 18 ans. La bonne nouvelle, comme nous pouvons le constater, est que ce n’est pas vrai. La Constitution chinoise ne dit rien de tel. La mauvaise nouvelle, en revanche, est que cette interdiction figure bien dans le « Document n° 19 – Point de vue fondamental et politique relatif aux questions religieuses au cours de la période socialiste de notre pays », diffusé par le Conseil des affaires d’Etat (le gouvernement) en 1982.
Ce texte est un document détaillé, faisant ressortir comment la religion peut être pratiquée ou non dans la société. Il précise : « Le pouvoir politique dans un Etat socialiste ne peut en aucune façon être exercé pour promouvoir toute religion, ni être exercé pour interdire toute religion, à condition que ce soit une question de croyances et de pratiques religieuses normales. Parallèlement, la religion n’a pas le droit de s’immiscer dans les affaires juridiques ou administratives de l’Etat, ni d’intervenir dans les écoles ou dans l’enseignement public. Il est absolument interdit de contraindre quiconque, particulièrement les jeunes de moins de 18 ans, à devenir membre d’une Eglise, à devenir moine ou moniale bouddhiste, ou à aller dans les temples ou les monastères pour y étudier l’Ecriture sainte bouddhiste. »
En 2005, le Conseil des affaires d’Etat a promulgué un texte intitulé « Dispositions relatives aux affaires religieuses » dans lequel il indique plus précisément de quelle manière les affaires religieuses doivent être gérées en Chine. Il est intéressant de noter que, dans ce dernier texte, il n’est pas fait mention d’interdictions concernant les moins de 18 ans.
L’article 2 énonce : « Les citoyens jouissent de la liberté de croyance religieuse. Aucun organisme ou individu ne peut contraindre des citoyens à croire ou à ne pas croire à une religion quelle qu’elle soit. Il ne peut pas non plus y avoir de discrimination envers des citoyens qui ont une croyance religieuse (ci-après désignés comme citoyens religieux) ou envers des citoyens qui n’en ont pas (ci-après désignés comme des citoyens non croyants). Les citoyens religieux et les citoyens non croyants doivent se respecter mutuellement et vivre en bonne entente, de même que les citoyens qui croient à différentes religions. »
L’article 3 énonce : « L’Etat, en conformité avec la loi, protège les activités religieuses normales et garantit les droits légaux ainsi que les intérêts légitimes des corps religieux, des lieux pour les activités religieuses et des citoyens religieux. Les corps religieux, les lieux pour les activités religieuses et les citoyens religieux doivent se conformer aux termes de la Constitution, aux lois, aux dispositions et aux règlements pour préserver l’unité du pays, la solidarité nationale et la stabilité de la société. Aucune organisation ou individu ne peut tirer profit de la religion pour déclencher des mouvements qui troublent l’ordre public, nuisent à la santé, ou s’immiscent dans le système éducatif de l’Etat ou dans tout autre activité qui causerait du tort à l’Etat, aux intérêts publics ou à l’exercice des droits légitimes des citoyens. »
En d’autres termes, les Chinois peuvent croire ce qu’ils veulent, mais l’Etat se réserve le droit de mettre des limites à la pratique de leur religion.