Eglises d'Asie

Flambée de violences intercommunautaires entre musulmans et bouddhistes dans la ville de Meikhtila

Publié le 22/03/2013




Selon un bilan provisoire, les violences qui secouent la ville de Meikhtila (Meiktila), localité située à une centaine de kilomètres au sud de Mandalay, ont fait 25 morts et plusieurs dizaines de blessés. En dépit de l’état d’urgence décrété ce vendredi 22 mars par les autorités gouvernementales, le calme semble loin d’être revenu et des affrontements continuent d’opposer musulmans et bouddhistes. Au moins six mosquées ont été incendiées et plusieurs milliers de musulmans auraient fui la ville.

Joint au téléphone par l’AFP, un résident de la ville a témoigné que des groupes d’émeutiers parcouraient librement la ville, armés de gourdins et de couteaux. « Ils ont détruit des mosquées hier et ils tentent de s’en prendre aujourd’hui à la mosquée principale [de Meikhtila] », a-t-il rapporté ce 22 mars, en précisant qu’il avait vu cinq corps calcinés gisant sous des décombres.

Mercredi 20 mars, le point de départ de cette flambée de violence a été une banale altercation entre un client bouddhiste venu vendre une broche en or à un boutiquier musulman faisant commerce de l’or. Une foule de deux cents personnes se serait rassemblée et les violences ont commencé. Ce jour-là, un moine bouddhiste ainsi qu’une autre personne sont décédées de leurs blessures. Le lendemain, les violences mettant aux prises des membres de la minorité musulmane (estimée à 30 000 personnes) et de la majorité bouddhiste (estimée à 220 000 personnes) de la ville ont pris de l’ampleur, amenant le gouvernement à déployer des renforts policiers sur place et à déclarer que les fauteurs de trouble s’exposaient à des sanctions sévères.

Meikhtila, qui se trouve à la jonction des routes Rangoun-Mandalay (sud-nord) et Bagan-Taunggyi (ouest-est), présente un intérêt stratégique évident. C’est la raison de la présence sur place du centre de commandement des forces aériennes du pays et d’une importante base aérienne militaire. La 99ème division d’infanterie légère de l’armée de terre y est aussi stationnée. Réagissant aux informations faisant état de la poursuite des émeutes, auxquelles ont pris part des moines bouddhistes, et aux dépêches d’agence de presse rapportant que des bouddhistes avaient menacé de s’en prendre à des journalistes et avaient détruit leurs photos, le président Thein Sein a déclaré ce 22 mars que les militaires avaient reçu pour instruction de restaurer l’ordre. L’état d’urgence a été instauré à 16h sur la ville et trois localités avoisinantes.

Selon le témoignage d’un habitant de la ville, des centaines de musulmans ont trouvé refuge dans un stade de la ville. De l’aide, en nourriture et en eau, leur a été fournie par des habitants, la plupart d’entre eux étant des bouddhistes qui vivaient paisiblement auprès de leurs voisins musulmans depuis des lustres à Meikhtila, rapporte un membre local de la All-Burma Federation of Student Unions.

Face à cette flambée de violence intercommunautaire, qui, une nouvelle fois, met à jour les sentiments d’animosité ressentis par une large fraction de la population bouddhiste du pays vis-à-vis de la minorité musulmane, le gouvernement, soumis à une forte pression internationale, semble vouloir agir au plus vite pour ramener le calme. Une cellule de crise a été réunie dès le mercredi 20 mars par le gouvernement. Présidée par le ministre de la Sécurité et des Affaires frontalières, elle comprend l’administrateur du District de Meikhtila, un député du Parlement et des officiers supérieurs de police de Meikhtila et de Mandalay.

La population semble toutefois dubitative sur la réelle volonté de l’exécutif à restaurer l’ordre. Cité par l’agence Ucanews, un résident de Meikhtila explique que « les forces de l’ordre se contentent de faire des rondes dans la ville. Elles n’interviennent pas pour empêcher les émeutiers de brûler les mosquées et les maisons [des musulmans]. Le gouvernement n’est pas sincère. Il veut créer le chaos pour faire croire que l’armée joue un rôle crucial dans le maintien de l’intégrité du pays ». Sur place, un policier déclare que lui et ses hommes n’ont pas été autorisés à tirer sur les émeutiers, mais seulement à confisquer les armes qui sont en leur possession. Un autre policier affirme que les forces de l’ordre ont été autorisées à tirer sur les émeutiers mais uniquement en visant les jambes.

Pour tenter de contribuer au retour au calme, le groupe de la « Génération étudiante 88 » a envoyé une délégation à Meikhtila. Min Ko Naing, un des responsables du groupe, a expliqué qu’ils s’inquiétaient du risque de propagation des tensions raciales et religieuses à d’autres régions du pays, diverses personnes ou groupes ayant intérêt à saisir ce qui se passe à Meikhtila pour attiser ailleurs les tensions interreligieuses.

En juin 2012, des violences dans l’Etat Rakhine, au sud du pays, avaient mis en évidence l’hostilité latente d’une partie importante de la population bouddhiste à l’encontre des musulmans. Ces violences mettaient aux prises les musulmans rohingya et les bouddhistes arakanais, ces derniers appartenant à une minorité ethnique distincte de la majorité birmane. A Meikhtila, ce sont des musulmans n’appartenant pas à la minorité rohingya qui ont été pris pour cible des bouddhistes birmans. En 2003, déjà, dans la ville de Kyaukse, distante d’à peine cinquante kilomètres de Meikhtila, des heurts entre musulmans et bouddhistes avaient fait une dizaine de morts.