Eglises d'Asie – Bangladesh
De violents affrontements entre le Jamaat-e-Islami et la police témoignent de l’influence grandissante des islamistes dans le pays
Publié le 21/09/2011
… Bien que le parti islamiste, allié du Bangladesh Nationalist Party (BNP), principal mouvement d’opposition, ait multiplié ces mois dernier les protestations à l’encontre de la coalition au pouvoir menée par la ligue Awami, il s’agit de la première émeute importante depuis la victoire aux élections de Sheikh Hasina en janvier 2009.
« Je n’avait pas vu d’incident d’une telle violence depuis vingt ans. Nous pouvons être heureux que les bâtiments n’aient pas été touchés, bien que les rues entourant la cathédrale ressemblent à un champ de bataille », a rapporté le P. Kamal Corraya, chargé de la communication pour l’archevêché de Dacca, à l’agence Ucanews. Les affrontements entre les forces de l’ordre et les militants semblent avoir débuté à Kakrail, d’où partait la manifestation, pour s’étendre ensuite aux quartiers adjacents dont Bijoynagar, non loin de la cathédrale Sainte-Marie, l’archevêché et le séminaire Saint-Joseph.
Si la cathédrale n’a subi aucun dégât, Mgr Paulinus Costa, archevêque de Dacca, a eu moins de chance et a été blessé par une pierre lancée par un des manifestants alors qu’il se tenait dans le parc de Ramna, proche de la cathédrale. Plusieurs séminaristes se sont portés au secours de l’archevêque dont l’état de santé est satisfaisant aujourd’hui. Quant au P. Pankaj Nokrek, qui se rendait hier à une réunion, il assure n’avoir dû son salut qu’à la fuite : « J’ai couru à travers la fumée des gaz lacrymogènes devant des scènes de chaos. Cela a été une expérience terrifiante mais j’ai pu finalement me réfugier dans une maison avec quelques autres personnes », raconte-t-il.
Le Jamaat-e-Islami avait lancé le 15 septembre dernier un appel à une grande manifestation nationale pour les 19 et 20 septembre, afin de protester contre l’arrestation de cinq de ses principaux leaders, accusés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les exactions qui leur sont reprochées aujourd’hui remontent à plus de quarante ans. Les responsables du mouvement islamiste sont accusés d’avoir collaboré avec le Pakistan et commis des « atrocités » lors de la guerre d’indépendance du Bangladesh en 1971 (2).
Lors de sa campagne électorale, Sheikh Hasina s’était engagée à faire juger ces crimes, une « nécessité » que l’instabilité politique du pays n’avait pas permis de faire auparavant. Dès 2010, son gouvernement a mis en place un tribunal international spécial à Dacca et, en août dernier, la cour a commencé ses auditions par l’une des principales figures du Jamaat-e-Islami, Delwar Hossain Sayedee. Le ministère public a accusé le leader islamiste, âgé de 71 ans, de crimes contre l’humanité, génocide, meurtres, viols et conversions forcées d’hindous à l’islam. A ce jour, parmi les sept personnes arrêtées qui attendent leur procès, deux sont membres du BNP et cinq du Jamaat-e-Islami. Toutes nient avoir été impliquées dans les exactions de 1971 et accusent le gouvernement actuel de mener une vendetta politique afin de « détruire la démocratie et le multipartisme dans le pays ».
Le 19 septembre dernier, selon le porte-parole des forces de l’ordre, Habibur Rahman, « les manifestants ont commencé soudain à devenir violents et à lancer des pierres sur les policiers », lesquels ont riposté en lançant des gaz lacrymogènes et en tirant des balles en caoutchouc pour disperser la foule. Plus de 150 personnes, rapporte-t-il, ont été blessées durant les affrontements, la moitié d’entre elles, grièvement atteintes, étant majoritairement des policiers ou des passants n’ayant pu se protéger. Toujours selon des sources policières, au moins 230 véhicules, dont plusieurs cars de police, ont été incendiés, et de très nombreux commerces vandalisés.
Cette version des faits est réfutée par le Jamaat-e-Islami dont l’un des leaders, Shafiqur Rahman, s’est exprimé dès le 19 septembre au soir : « Nous étions en train de manifester pacifiquement quand la police nous a agressés subitement (…). Nous n’arrivions pas à croire à une telle brutalité ! Il s’agit d’une violation flagrante de notre droit constitutionnel à manifester. » Selon le parti islamiste, les « violences policières », qui ont commencé avant même le départ de la manifestation, ont consisté en coups de matraque, gaz lacrymogène et jets d’eau bouillante.
De leur côté, les médias locaux rapportent dans leurs éditions de ce 20 septembre que des incidents similaires se sont produits dans plusieurs villes du pays, notamment dans le port de Chittagong (3).
Les événements du 19 septembre sont pris très au sérieux par la population bangladaise, en particulier les minorités religieuses qui voient, avec la montée de l’extrémisme, s’évanouir leur espoir de voir restaurer la laïcité de l’Etat comme s’y était engagée Sheikh Hasina. En juin dernier, les communautés chrétienne, hindoue et bouddhiste n’avaient pas caché leur inquiétude lorsque le gouvernement, malgré ses promesses de rétablir la Constitution de 1972 basée sur des fondements laïcs, avait maintenu officiellement l’islam comme religion d’Etat. L’Eglise catholique avait alors exprimé sa conviction que le Premier ministre avait cédé à la pression des partis islamistes, en particulier celle du Jamaat-e-Islami, lequel n’avait cessé d’organiser des manifestations et des démonstrations de force à chaque tentative du gouvernement d’introduire des amendements en faveur de la démocratisation ou de la sécularisation du pays (4). L’influence grandissante au Bangladesh du parti islamiste s’accompagne aujourd’hui d’un mouvement également en forte progression visant à imposer la charia dans tout le pays, faire voter une loi anti-blasphème sur le modèle pakistanais ou encore permettre aux tribunaux islamiques de village de continuer à appliquer les fatwas et les condamnations à mort pourtant interdites par le gouvernement.
Ce mardi 20 septembre, la police a annoncé avoir arrêté, suite aux émeutes de la veille, près de 600 membres du Jamaat-e-Islami dans les villes où se sont produits les troubles, dont 300 à Dacca, pour « actes de vandalisme, de violence, d’incendie de véhicules, d’atteinte à l’ordre public et d’obstruction aux forces de l’ordre». Le BNP a appelé à une grève générale jeudi prochain afin de marquer son soutien à son allié politique (5).