Eglises d'Asie

Aung San Suu Kyi et des responsables musulmans expriment leur opposition à l’imposition d’un contrôle des naissances aux Rohingya

Publié le 28/05/2013




Le 27 mai dernier à Rangoun, Aung San Suu Kyi a critiqué l’imposition aux populations Rohingya de l’Arakan d’un contrôle des naissances, limitant la taille de leurs foyers à deux enfants par famille. Une telle mesure, « si elle s’avère être vraie », est « contraire à la loi, discriminatoire et constitue une violation des droits de l’homme », …

… a déclaré la chef de l’opposition. Le président du Conseil des affaires religieuses islamiques, Nyunt Maung Shein, a de son côté estimé qu’une telle mesure était « inappropriée sous un régime démocratique ».

La mesure en question a été rendue publique durant le week-end par les autorités de l’Arakan, Etat de l’Union du Myanmar qui a été le théâtre l’an dernier de très graves émeutes intercommunautaires dont la minorité Rohingya, de religion musulmane, a été la principale victime. Win Myaing, porte-parole du gouvernement de l’Arakan, a expliqué qu’à la suite du rapport remis par une commission d’enquête gouvernementale au sujet des événements de l’an dernier, il avait été mis en avant que le dynamisme démographique manifesté par les Rohingya était l’une des causes des violences.

Par conséquent, dans les deux districts de Buthidaung et de Maungdaw, situés à proximité de la frontière avec le Bangladesh, il avait été décidé de réactiver une mesure datant de 1994, à l’époque de la junte militaire, et tombée en désuétude depuis la démocratisation du régime, à savoir l’imposition d’une politique limitant la taille des familles Rohingya à deux enfants par foyer dans le strict respect de la monogamie. « C’est la meilleure façon de contrôler une croissance démographique explosive qui est une menace pour notre identité nationale. Si aucune mesure n’est prise pour contrôler la population, le danger existe que nous perdions notre identité », a déclaré Zaw Aye Maung, député au Parlement, appartenant à l’ethnie arakanaise et ministre des Affaires nationales pour la région de Rangoun. Limiter le nombre des enfants dans les communautés musulmanes les plus pauvres sera bénéfique aux Royingya car les familles de taille limitée peuvent mieux nourrir, vêtir et éduquer leurs enfants, a ajouté ce responsable politique.

Dans l’immédiat, aucune information n’a été fournie sur la manière dont ce contrôle des naissances serait mis en œuvre. Les deux districts en question contrastent avec le reste du pays par le fait qu’ils comptent 95 % de Rohingya, musulmans donc, là où, à l’échelle du pays, la part de la population musulmane de ce pays très majoritairement bouddhiste ne dépasse pas, selon les statistiques disponibles, les 4 %. Sous le régime militaire, les Rohingya étaient en butte à tout un ensemble de tracasseries administratives, faisant de leur groupe ethnique un groupe apatride, assimilé par les autorités à des migrants clandestins venus du Bangladesh voisin. Ils avaient besoin d’autorisation spéciale pour quitter leurs villages, pour se marier et, la polygamie leur étant interdite, chaque couple était limité à deux enfants, les éventuels enfants supplémentaires ne voyant refuser toute existence légale. En dépit de la démocratisation du régime, le sort des Rohingya, dont le nombre est estimé à 800 000, ne s’est pas trouvé amélioré, les heurts sanglants de l’an dernier témoignant de la précarité de leur situation.

Sur place à Maungdaw, la mesure a été bien accueillie par la population arakanaise. Interrogé par l’agence AP, Manithara, moine bouddhiste à la pagode Augmyay Bawdi, affirme : « C’est une bonne idée. Si le gouvernement peut vraiment contrôler la population bengalie dans la zone, les autres communautés se sentiront plus en sécurité et il y aura moins de violences comme celles que nous avons vu se produire dans le passé », ajoutant : « C’est aussi une bonne mesure pour favoriser l’augmentation du niveau de vie des gens dans la région. La Chine a mis en place ce type de politique » – sans pour autant relever le fait que la politique de l’enfant unique en Chine ne s’applique pas aux minorités ethniques et n’est pas fondée sur l’appartenance religieuse.

Pour Nyunt Maung Shein, président du Conseil des affaires religieuses islamiques, la mesure, « même si elle a existé sous le régime militaire », ne doit pas « être considérée comme légitime sous un régime démocratique ». Il met en garde les autorités : « Si c’est une mesure conçue pour apaiser les tensions entre les communautés, elle ne produira pas l’effet recherché. »

Quant à la prise de position d’Aung San Suu Kyi ce 27 mai, elle s’inscrit dans une dénonciation plus large de l’action du gouvernement. Au-delà du cas des Rohingya, la chef de file de l’opposition a dénoncé l’incapacité du gouvernement central à produire, avec les réformes récemment mises en place, des « changements tangibles ». « Mes représentants ethniques disent qu’aussi longtemps que perdurera l’inégalité entre les races en Birmanie, il n’y aura pas de paix », a-t-elle affirmé.

Selon les analystes, à travers la question des Rohingya ou, à l’autre bout du pays, des Kachin (une session de négociations vient de s’ouvrir à Myitkyina entre le gouvernement central et la KIO, en présence du délégué spécial de l’ONU pour la Birmanie et d’observateurs chinois), se joue en ce moment un combat politique central dans la perspective des élections présidentielles de 2015. Aung San Suu Kyi, à qui il a souvent été reproché la timidité de ses prises de position sur les questions ethniques, a choisi de prendre position au sujet des Rohingya, une minorité très peu considérée par le reste du pays, au moment même où le président Thein Sein accentue ses efforts en vue de trouver une solution politique à « la question ethnique » qui mine l’unité du pays.

Aung Min, qui conduit la délégation gouvernementale présente ces jours-ci à Myitkyina, dans l’Etat Kachin, a en effet annoncé que Thein Sein préparait pour cet été la réunion d’une importante conférence où seront conviés les représentants de tous les groupes armés des minorités ethniques, l’objectif étant d’ouvrir pour de bon un dialogue politique entre le centre birman et les périphéries ethniques. Dans cette perspective, Aung San Suu Kyi ne peut se permettre d’être absente de ce débat et, au-delà du sort des Rohingya, c’est bien les équilibres futurs de la Birmanie qui se dessinent actuellement.