Eglises d'Asie – Birmanie
Conflit en Arakan : avec les minorités ethniques, Aung San Suu Kyi exhorte le gouvernement à plus de « transparence »
Publié le 09/11/2012
… la leader de l’opposition a exhorté le gouvernement à faire preuve de « transparence » dans cette affaire. Elle a aussi appelé au déploiement de forces de sécurité supplémentaires dans la région frontalière avec le Bangladesh.
Le 7 novembre dernier, Aung San Suu Kyi, qui préside le récemment formé Comité parlementaire pour l’Etat de droit (Rule of Law Committee), s’est exprimée sur le conflit de l’Arakan devant le Parlement. La déclaration du prix Nobel de la paix est intervenue alors que son silence depuis le début des violences en juin dernier, était critiqué par nombre d’organisations de défense des droits de l’homme à l’étranger. Il y a quelques jours encore, dans une interview à la BBC, Aung San Suu Kyi expliquait qu’elle n’était pas en mesure de s’exprimer sur le statut des Rohingyas, minorité musulmane que la junte militaire a privé de citoyenneté en 1982 et qui sont depuis considérés par le pouvoir en place comme des « migrants bengalis illégaux ». A la radio anglaise, la chef de la Ligue nationale pour la démocratie expliquait que « les deux parties dans l’Etat Rakhine [à savoir les Rohingyas musulmans et les Arakanais bouddhistes] avaient eu à souffrir des violences communautaires » et que, par conséquent, il ne lui appartenait pas de prendre parti pour l’une ou l’autre communauté.
Dans le communiqué signé par Aung San Suu Kyi et des parlementaires issus des minorités ethniques, le conflit dans l’Etat de l’Arakan est présenté comme « complexe et profond ». Cette situation, poursuivent-ils, appelle la mobilisation de tous pour travailler à une résolution pacifique acceptable par les deux communautés en présence. Il y est également fait mention des besoins humanitaires à satisfaire d’urgence pour apporter l’aide nécessaire aux deux communautés. Plus concrètement, le gouvernement est appelé à clarifier sa politique concernant l’issue à apporter au conflit dans l’Etat de l’Arakan. Il est aussi spécifié que le gouvernement devrait y déployer des forces de sécurité en plus grand nombre de manière à éviter de nouvelles flambées de violence.
Concernant la loi sur la citoyenneté de 1982, le gouvernement devrait préciser son champ d’application, de manière à ce que les Rohingyas sachent effectivement à quoi s’en tenir au sujet de leur citoyenneté. Enfin, bien que le Bangladesh ne soit pas nommément désigné, le communiqué stipule que « les gouvernements qui partagent des frontières communes devraient respecter et faire respecter la sécurité à leur frontière ainsi que les dispositions relatives à l’immigration […] et que les deux pays empêchent de manière systématique les franchissements de frontière (…) » (1).
Sur place, dans les trois districts frontaliers les plus touchés par les événements de ces dernières semaines, les sources d’information sont difficilement vérifiables mais les témoignages concordent à dire que les deux communautés rohingya et arakanaise sont désormais très nettement séparées. Dans un Etat de l’Arakan qui compte environ quatre millions d’habitants, dont quelque 800 000 Rohingyas, les déplacements de population ont concerné au total plus de 100 000 personnes. Sur ces 100 000 personnes, une sur dix seulement serait Arakanaise pour neuf autres qui seraient Rohingyas. Dans les camps d’Arakanais, les déplacés jouissent de la liberté de mouvement, ce qui n’est pas le cas de ceux abritant les Rohingyas, surveillés par l’armée et la police birmanes.
De plus, il semble que le conflit se soit élargi dans la mesure où ce ne sont plus les seuls Rohingyas qui sont pris pour cibles, mais l’ensemble des musulmans locaux. Durant les violences de ce mois d’octobre, dans la ville de Kyaukpyu, des musulmans kamans – l’une des minorités officiellement reconnues par les autorités – ont eux aussi dû fuir après que leurs biens et habitations eurent été incendiés. Distincts des Rohingyas, qui se situent tout au bas de l’échelle sociale, les Kamans, des commerçants musulmans relativement prospères, ont décrit avoir été victimes d’attaques de foules de bouddhistes armés, soutenus par la police et l’armée. A Sittwe, capitale de l’Etat de l’Arakan, des mots d’ordre émanant de moines bouddhistes auraient appelé au boycott des commerces qui « oseraient » servir un musulman.
Dans ce contexte de radicalisation exacerbée et de généralisation des violences, les observateurs notent que l’appel d’Aung San Suu Kyi et des parlementaires à envoyer des forces de l’ordre en renfort, ne peut que surprendre dans la mesure où ces dernières paraissent être elles-mêmes partie prenante du conflit, que ce soit par manque de neutralité ou passivité volontaire. Quant à l’élément présenté comme déclencheur des violences de juin dernier – à savoir le viol et le meurtre d’une Arakanaise bouddhiste par trois Rohingyas musulmans –, des informations récemment publiées par la diaspora rohingya révèlent que la jeune Arakanaise n’aurait pas subi de viol avant d’être tuée et que l’un des trois jeunes impliqués dans l’affaire ne serait pas Rohingya mais Arakanais. Arrêté par la police, il est mort en détention, le rapport des autorités faisant état d’un suicide. Peu après, son épouse a été retrouvée morte au fond d’un puits.