Eglises d'Asie – Philippines
Les évêques philippins accusés de couvrir les crimes pédophiles de leur clergé
Publié le 07/06/2013
… que cela continue aujourd’hui », affirme le P. Shay Cullen, membre de la Société missionnaire de Saint Columban dans une interview accordée le 3 juin dernier à l’agence Ucanews.
Fondateur de PREDA (People’s Recovery Empowerment Development Assistance), fondation créée pour protéger femmes et enfants de l’exploitation et de la misère, notamment liées à la prostitution, le P. Cullen est une voix respectée aux Philippines. Nominé à trois reprises pour le prix Nobel de la paix, il a fait partie des personnalités consultées lors de la rédaction de l’Anti-Child Pornography Act, votée en novembre 2009. C’est fort de cette expérience qu’il dénonce le fait que les abus sexuels commis par des membres du clergé catholique philippin ne sont pas suffisamment dénoncés, et qu’une telle attitude constitue « un grave problème ».
Selon le missionnaire irlandais, les évêques philippins doivent au plus vite appliquer les consignes que le pape François a données le 5 avril dernier à Rome. Recevant le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le pape avait demandé que l’institution, poursuivant la ligne établie par Benoît XVI, agisse avec détermination en ce qui concernait les cas d’abus sexuels. Il avait notamment souhaité que soient promues les mesures de protection des mineurs et que l’on vienne en aide à ceux qui ont subi de telles violences. La « crédibilité » de l’Eglise est en jeu, avait affirmé le pape.
Le P. Cullen estime que les responsables de l’Eglise catholique aux Philippines ne se mobilisent pas suffisamment pour faire face à ce problème. « Jésus n’a pas dit de pardonner et de passer sous silence. Il a dit : ‘accrochez-leur au cou une meule de moulin et jetez-les à la mer’ (1). Nous nous devons de déférer ces gens [les membres du clergé coupables d’abus sexuels] devant la justice, les placer en-dehors de l’Eglise et qu’ils soient jugés devant une juridiction civile », affirme-t-il encore.
Le problème des abus sexuels commis par le clergé est une question dont s’est saisi l’épiscopat philippin il y a un peu plus d’une dizaine d’années. Différents scandales, dans lequel ont été directement impliqués des évêques, avaient amené les évêques à rédiger en 2002 des « Directives pastorales concernant les inconduites et les abus sexuels commis par le clergé », le texte n’étant pas limité aux seuls actes de pédophilie mais visant aussi les relations sexuelles entre adultes consentants. Le texte avait été soumis à Rome pour approbation et la communauté catholique des Philippines faisait là œuvre de pionnière parmi les autres Eglises d’Asie. En 2002, sur un total de 7 000 prêtres, la hiérarchie catholique philippine dénombrait environ deux cents d’entre eux s’étant, au cours des vingt années précédentes, rendus coupable de non-observance du célibat sacerdotal, d’homosexualité ou d’actes pédophiles ; les évêques avaient publiquement demandé pardon pour ces crimes. En 2003, 34 prêtres avaient été suspendus (suspens a divinis), peine du droit canon, pour des affaires de harcèlement sexuel sur la personne de femmes adultes.
Toutefois, différentes ONG locales, telles que Catholics for Free Choice ou Likhaan, un organisme luttant pour un meilleur accès des femmes à la santé, ont montré que, durant ces années 2000, aucun prêtre accusé d’inconduite sexuelle aux Philippines n’avait été condamné par la justice civile. La plupart du temps, les affaires d’abus sexuels commis par des prêtres ont été réglées à l’amiable avant leur passage devant un juge, ou bien ont vu la justice prononcer un non-lieu ou encore les évêques se contenter de déplacer discrètement le prêtre en question dans une autre paroisse ou mission pastorale.
Pour Monseigneur Joselito Asis, secrétaire général de la Conférence épiscopale des Philippines (CBCP), « l’opinion pense que nous cachons des choses, que nous couvrons ces affaires par notre silence » mais, explique-t-il, ce sont les procédures actuellement en vigueur qui donnent cette impression. Les supérieurs religieux et les évêques sont dans l’obligation de rapporter ces cas directement à Rome et les enquêtes menées par les évêques dans leur diocèse sont confidentielles, ce qui peut donner à penser que l’Eglise dans son ensemble, en tant qu’institution, cache les choses, détaille encore le prélat, rappelant que le traitement direct de ces affaires par la Congrégation pour la doctrine de la foi à Rome est une directive du Saint-Siège.
Sur le plan des directives que, le 16 mai 2011, Rome a demandées de rédiger à toutes les Conférences épiscopales de par le monde en matière de lutte contre la pédophilie dans l’Eglise, la CBCP a agi sans délai, poursuit Monseigneur Joselito Asis. Placées sous les triples mots d’ordre de « avertir, prévenir et améliorer », ces directives sont en voie de finalisation et devraient être envoyées au Vatican pour approbation d’ici le mois d’août prochain. Une fois ces directives approuvées, les procédures « seront plus claires », conclut le secrétaire général de la CBCP.
Ailleurs en Asie, les réactions des Conférences épiscopales à la demande du Saint-Siège du 16 mai 2011 ont été plus ou moins promptes. Le Japon qui, dès 2002 à l’instar des Philippines, s’était saisi de la question, a envoyé à Rome son projet de directives. De même que le diocèse de Hongkong. Le Bangladesh et le Sri Lanka ont fait de même. En revanche, en Inde et en Indonésie, les évêques n’ont pas finalisé leur texte. En Birmanie, l’information ne semble pas encore être passée et les évêques n’ont rien publié. Selon le P. William Grimm, SJ, directeur de la publication de l’agence Ucanews, des pays comme les Philippines, l’Inde ou la Corée du Sud sont particulièrement exposés à voir des scandales éclater sur la place publique du fait que, dans ces trois pays où règne un « très réel cléricalisme » : « Les membres du clergé (y compris à la base) ont tendance à se montrer très soucieux de leur pouvoir et de leur image, deux éléments qui sont à la source des abus et de la tentation du silence. »