Eglises d'Asie

Loin d’être satisfaisante, la condition des ouvrières de l’industrie textile s’améliore lentement

Publié le 19/06/2013




Emblématique de la mondialisation, l’industrie textile qui s’est développée depuis une vingtaine d’années au Cambodge connaît tous les travers induits par ce modèle de développement : exploitation des ouvriers (qui sont souvent des ouvrières), faible respect des normes sociales et environnementales, irresponsabilité des donneurs d’ordre, etc. Peu à peu, la condition ouvrière s’améliore toutefois…

… dans les usines-ateliers qui entourent Phnom Penh. Des chrétiens contribuent aux actions visant à soutenir les quelque 400 000 personnes employées par cette industrie.

Le Bangladesh et le Cambodge partagent comme point commun d’avoir fondé une partie de leur développement économique sur des accords douaniers passés avec les pays riches qui ont permis l’implantation sur leur sol d’ateliers de confection textile, qui prennent parfois la taille d’immenses usines, produisant entièrement pour l’exportation. Le drame du Rana Plaza, un immeuble de la banlieue de Dacca, au Bangladesh, qui abritait des ateliers de confection et dont l’effondrement, le 24 avril, a fait 1 127 morts, est venu tragiquement illustrer les travers de ce modèle de développement.

A Phnom Penh, des militants du droit des ouvriers indiquent que si le Bangladesh et le Cambodge partagent bien des points communs au regard du développement de cette industrie textile, ils diffèrent cependant sur le fait que, grâce à l’action des syndicats et à l’engagement de certains chrétiens, la condition ouvrière dans le textile au Cambodge s’améliore peu à peu, là où, au Bangladesh, les ateliers de confection continuent de mériter leur surnom de « sweatshops ».

La situation n’a rien d’idéale, soulignent ces militants, qui rappellent que l’engagement dans l’action syndicale peut se révéler dangereux au Cambodge. Le 3 mai dernier, une statue de Chéa Vichéa, syndicaliste assassiné le 22 janvier 2004, a été dressée près du lieu de son meurtre, en plein centre de la capitale cambodgienne. La statue a coûté l’équivalent de 7 000 dollars et la municipalité de Phnom Penh en a payé 5 000, mais ses assassins courent toujours, alors que deux boucs émissaires sont en prison. Chéa Vichéa avait fondé à la fin des années 1990 le SIORC (Syndicat indépendant des ouvriers du Royaume du Cambodge), qui était rapidement devenu le plus important et actif syndicat indépendant du pays, s’occupant particulièrement de défendre les droits des travailleurs du textile.

Selon David Welsh, directeur pour le Cambodge de Solidarity Center, une organisation américaine défendant la cause des ouvriers à travers le monde, la vitalité du mouvement syndicaliste au Cambodge explique en partie les différences qui existent dans les usines textile entre le Cambodge et le Bangladesh. « Environ 70 à 80 % des ouvriers dans le textile au Cambodge sont syndiqués, là où ce chiffre ne dépasse pas les 4 % au Bangladesh », explique-t-il, ajoutant immédiatement qu’il faut préciser qu’une bonne partie des syndicats au Cambodge ne sont pas indépendants mais affiliés au pouvoir politique en place. Malgré tout, les ouvriers n’hésitent pas à exprimer leurs revendications, malgré les violences, y compris physiques, qui peuvent être exercées contre les syndicalistes. Au début de ce mois de juin, environ 4 000 travailleurs en grève d’une usine fabriquant des habits pour la marque Nike n’ont ainsi pas hésité à forcer leur passage jusque dans les ateliers, se heurtant brièvement mais sévèrement à leurs collègues non grévistes.

Au sein de la communauté des missionnaires catholiques présents au Cambodge, ces événements sont suivis de près. Jésuite irlandais envoyé en mission auprès des étudiants de l’Université royale de Phnom Penh, le P. Ashley Evans analyse les mouvements à l’œuvre au sein de l’industrie qui est la plus importante du pays, tant par le nombre des employés que par sa part dans les exportations du pays. « Les ouvriers et les ouvrières n’hésitent pas à demander des augmentations de salaires. Même s’ils n’ont pas bénéficié d’une formation scolaire importante, ils se montrent très actifs politiquement », explique-t-il à l’agence Ucanews. De plus, « ces trois ou quatre cent mille ouvriers, employés dans les quelque 400 usines et ateliers qui ont poussé autour de Phnom Penh, ont un impact sur le reste du pays : en dépit de salaires peu élevés, ils envoient de l’argent auprès de leurs familles, restées au village ».

Les luttes pour obtenir de meilleurs salaires et des conditions de travail plus satisfaisantes sont « dures », souligne encore le missionnaire. « Il y a beaucoup de violence et le contraste est saisissant entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas. »

Néanmoins, des progrès ont été obtenus. Au début de ce mois de juin – et sans doute parce que les élections générales du 28 juillet prochain sont proches –, le gouvernement présidé par le Premier ministre Hun Sen a annoncé que le salaire minimum était relevé de 62 à 80 dollars mensuels. Soit le double de qui est pratiqué au Bangladesh.

Pour Rong Panh, de la CCU (Confédération cambodgienne des syndicats), l’augmentation est cependant insuffisante. « Nous voulons 150 dollars mensuels parce que l’augmentation concédée [par Hun Sen] ne couvre pas l’inflation des loyers et du coût de la vie. A Phnom Penh, elle permet à peine de maintenir le niveau de vie des ouvriers », défend-il, tout en se félicitant du fait que les employés de l’industrie textile « prennent de plus en plus conscience de leurs droits ». « Ces derniers dix-huit mois, nous avons réussi à syndiquer les travailleurs de huit nouvelles usines », souligne-t-il.

Même si la situation n’est pas aussi mauvaise qu’au Bangladesh et que des avancées ont été obtenues, notamment en ce qui concerne la ventilation des ateliers de confection, beaucoup reste à faire, note d’autres missionnaires. Pour le P. François Ponchaud, des Missions Etrangères de Paris, « les conditions de travail sont semblables à celles qui prévalaient dans les ateliers en Europe au XIXe siècle. Il est évident que les choses peuvent être grandement améliorées ».

Présent à Phnom Penh depuis 2008, le P. Pierre Laurent, de la Mission de France, distingue différents cas de figure au sein des quelque 400 fabriques textile de la région de Phnom Penh. « Il est clair qu’une partie des patrons perçoit la main-d’œuvre comme de ‘la chair à produire’, comme l’on parle de ‘chair à canon’ dans le domaine de la guerre. Ceux-là ont beaucoup de mal à respecter la législation en vigueur et les conditions de travail dans leurs usines sont mauvaises », explique le prêtre, qui précise que les entreprises à capitaux chinois, de Chine continentale, sont nombreuses dans ce camp-là. D’autres patrons ont compris qu’il était de leur intérêt de traiter correctement leurs employés. « Le rythme de 3*8 est respecté, les heures supplémentaires non payées sont rares, des cantines fournissent aux employés deux repas par jour », précise-t-il encore, ajoutant qu’une des difficultés que rencontre l’industrie est de trouver en nombre suffisant des cadres cambodgiens suffisamment bien formés pour faire évoluer les pratiques managériales.

Ces dernières années, le P. Laurent a constaté que le profil des ouvrières changeait petit à petit. Là où il dix ou quinze ans, les ouvrières étaient des jeunes femmes quasi exclusivement issues des campagnes et dont l’horizon se limitait aux quelques kilomètres qu’elles pouvaient parcourir autour des usines où elles travaillaient, aujourd’hui, ce sont souvent des jeunes urbains qui sont embauchés dans les ateliers. Ils ont connu la ville, fréquenté les cafés Internet et se montrent moins malléables que leurs aînés. Mais, ce qui ne change pas ou très peu en revanche, ce sont les conditions de logement des ouvriers et des ouvrières. Plus de la moitié d’entre eux sont logés dans des « parcs », vastes ensembles où un box, loué de 40 à 45 dollars par mois, est partagé par six à huit personnes. Ces « parcs », gérés par des entreprises distinctes des usines textiles, offrent très peu d’intimité, beaucoup de promiscuité et un confort plus que limité.

« C’est auprès de ces jeunes que nous travaillons, poursuit le P. Laurent. Lors de leur seule journée de repos, le dimanche, avec des associations comme ‘Claire Amitié’, nous leur proposons des sorties afin de jouir d’un temps au calme, de développer des amitiés et éventuellement des soins. Notre présence n’a pas pour objectif direct de les engager dans un syndicat ou un parti politique, nous cherchons à leur faire découvrir qu’ils ont de quoi retrouver leur dignité, parfois de sortir de la détresse pour espérer à nouveau. » Parce que, pour un chrétien, chaque personne est importante, « nous voudrions témoigner auprès de ces personnes qu’elles sont aimées », conclut le prêtre.