Eglises d'Asie

Les moines bouddhistes extrémistes veulent empêcher les mariages interreligieux

Publié le 15/06/2013




Les 13 et 14 juin derniers, quelque 200 moines bouddhistes venus de toute la Birmanie se sont réunis en session dans un monastère proche de Rangoun afin de « trouver des solutions pour apaiser les tensions interreligieuses » et « les violences meurtrières » qui sévissent dans le pays depuis plusieurs mois, a signalé l’agence Ucanews le 13 juin, citant une dépêche de l’AFP du même jour. 

« Les étrangers pensent que les actes de violence au Myanmar sont le fait des moines bouddhistes », expliquait la veille de la réunion, le mercredi 12 juin, le Vénérable Dhammapiya, porte-parole de l’événement, affirmant que tandis que certains moines prenaient part aux attaques, d’autres, plus nombreux, étaient confondus avec les agresseurs alors qu’ils tentaient seulement d’arrêter les exactions. « Nous discuterons ensemble de la façon d’arrêter les personnes qui commettent des violences et de ce qui peut aider le gouvernement à résoudre le problème », avait-il annoncé.

Les troubles entre bouddhistes et musulmans qui secouent la Birmanie depuis plus d’un an (1) se sont encore intensifiés ces mois derniers avec la « campagne 969 » (2) menée par le moine extrémiste Wirathu, qui incite la population bouddhiste à boycotter les magasins musulmans afin de « protéger la race et la religion birmanes ».

La violence, qui, à ce jour, a fait plusieurs centaines de morts et plus de 150 000 réfugiés, s’est étendue progressivement à tout le pays. En mars dernier, suite aux prêches enflammés des moines du ‘groupe 969’, les attaques des bouddhistes ont causé la mort de plus de 44 personnes à Meikthila et le 29 mai, une altercation entre une bouddhiste et un musulman à Lashio, dans l’Etat Shan, a provoqué le pillage et l’incendie du quartier musulman faisant au moins un mort, plusieurs blessés et un millier de personnes déplacées.

Deux déclarations du Ven. Dhammapiya, lors de l’annonce de ce rassemblement de moines de jeudi dernier, pouvaient cependant paraître surprenantes : celle selon laquelle la campagne 969 n’était pas selon lui à l’origine des troubles interreligieux, et celle annonçant que le moine Wirathu faisait partie des invités attendus à ce « sommet pour la paix ».

Certains responsables musulmans ont cependant salué la tenue de la session, espérant que cette initiative permettrait de restaurer l’ image de leur communauté aux yeux des bouddhistes. « Il est beaucoup mieux que ce soient les moines bouddhistes eux-mêmes qui expliquent aux gens qu’ils ont une vision fausse des musulmans plutôt que cela vienne de nous », avait notamment déclaré Aye Lwin, responsable de l’Islamic Center of Myanmar.

Tels étaient les éléments présentés à la veille de la rencontre, avant que les communiqués du groupe des moines diffusés au soir du premier jour de la session n’annoncent des objectifs très différents. Lors de la conférence de presse du jeudi 13 juin, les responsables religieux ont en effet expliqué que le but de leur rencontre était la finalisation d’un projet de loi de 15 pages visant à interdire les mariages entre les femmes bouddhistes et les hommes musulmans, une mesure qui aurait pour effet de « réduire les affrontements communautaristes ».

« Nous tenons cette session avec l’intention de protéger notre race et notre religion bouddhistes, en maintenant la paix et l’harmonie dans notre communauté », a déclaré le moine Dhammapiya, s’exprimant en tant que porte-parole du groupe.

Signée des Vénérables Dhammapiya, Dhamma Duta Ashin Saykaneda et Wirathu, éminentes personnalités bouddhistes de Birmanie, la déclaration faite à la presse et rapportée notamment par The Irrawaddy dans son édition du 13 juin au soir, ne laisse aucune place à l’équivoque.

Selon la loi proposée par les moines, toute femme bouddhiste voulant épouser un homme musulman devra tout d’abord obtenir l’autorisation de ses parents et celle des autorités locales. Tout homme musulman ayant l’intention d’épouser une femme bouddhiste devra quant à lui se convertir auparavant à la religion de sa future épouse, faute de quoi il verrait tous ses biens confisqués et subirait une peine de dix ans de prison.

Les trois moines ont expliqué que leur projet de loi était une adaptation des mesures de restriction des mariages entre musulmans et membres d’autres religions, en vigueur à Singapour et dans certains pays où les musulmans sont majoritaires. « Nous avons constaté que la paix et l’harmonie régnaient à Singapour depuis la ratification de cette loi ; c’est pourquoi il ne devrait y avoir aucun problème à faire voter ce type de mesure dans notre pays », a conclu le Vén. Dhammapiya, ajoutant que les participants à la session essayeraient d’obtenir le plus de signatures possibles afin de pouvoir faire pression sur le Parlement pour qu’il adopte la loi.

Quant au Vén. Wirathu, qui mène aujourd’hui la campagne 969, il a déclaré se réjouir de l’initiative : « Je rêve de cette loi depuis longtemps ; il faut que nous puissions protéger les femmes bouddhistes d’un mariage avec un musulman. »

« Ce projet est une violation flagrante des droits de l’homme les plus élémentaires ! », s’est indigné Kyaw Khin, secrétaire de l’All Myanmar Muslim Federation. S’il craint que la proposition des moines extrémistes ne recueille effectivement un certain nombre de signatures, il espère cependant que les avancées démocratiques en Birmanie permettront de bloquer le projet de loi au Parlement. 

Peu avant cette dernière initiative du groupe 969, l’Eglise catholique venait justement de réaffirmer ses positions concernant le respect des droits religieux en Birmanie, pressant le gouvernement de « protéger, promouvoir et appliquer la liberté de religion pour tous », et ce spécialement pour les « communautés minoritaires ».

Par une déclaration officielle rapportée par l’agence Ucanews mardi 11 juin, la Conférence des évêques catholiques de Birmanie, qui, contrairement à sa ligne discrète habituelle, multiplie ces derniers temps les interventions et les appels à la paix, avait demandé aux autorités de négocier au plus vite avec les chefs religieux des groupes extrémistes la fin des « tueries et des exactions ».

« Nous demandons avec insistance au gouvernement de prendre des mesures contre les extrémistes présents dans les deux communautés concernées, qui ont répandu la violence  dans le pays », avait déclaré le président de la Conférence épiscopale, Mgr Hsane Hgyi.

Cette demande renouvelait le précédent appel des évêques catholiques du 7 juin dernier, ainsi que celui lancé par Mgr Charles Bo, archevêque de Rangoun, en mai dernier, alors que les violences interreligieuses venaient de s’étendre pour la première fois à l’Etat Kachin, région majoritairement chrétienne du nord du pays. 

Deux mois auparavant, juste après les émeutes de Meiktila, l’archevêque avait tenu le même discours de paix, rappelant que « l’amour et la compassion étaient des valeurs centrales du bouddhisme, de l’islam et du christianisme ». Une déclaration qui, comme en ce début de juin, n’avait obtenu pour réponse que de nouvelles harangues nationalistes des religieux extrémistes tandis que se poursuivait la campagne 969.