Eglises d'Asie

L’Eglise de Shanghai se souvient, vingt ans après…

Publié le 08/07/2013




Hasard du calendrier… Tandis qu’à Shanghai, les catholiques « célèbrent » le premier anniversaire de la mise en résidence surveillée de facto de Mgr Thaddeus Ma Daqin, la Rédaction d’Eglises d’Asie recevait le texte ci-dessous d’un auteur souhaitant conserver l’anonymat. Il a vingt ans, quasiment jour pour jour, décédait d’un arrêt cardiaque le P. Vincent Zhu Hongsheng, prêtre jésuite et figure de la résistance de l’Eglise de Shanghai à la politique religieuse du pouvoir en place. …

Vingt ans plus tard, une autre génération de prêtres poursuit la mission et, à son tour, paye le prix d’une affirmation tranquille de l’autonomie de la sphère religieuse sur la sphère politique. Tel était en effet le sens du geste posé le 7 juillet dernier par Mgr Ma Daqin lors de sa messe d’ordination épiscopale en la cathédrale de Shanghai, geste qui lui vaut, depuis ce jour, d’être empêché d’exercer son épiscopat et d’avoir été soustrait à la vue de ses diocésains.

 

Il y a tout juste vingt ans, le 6 juillet 1993, le prêtre jésuite Vincent Zhu Hongsheng (朱 洪 声) retournait vers le Père. Durant sa vie, il n’aura guère vraiment connu que la prison. Pourtant, son exemple et son apostolat continuent d’être féconds dans l’Eglise de Chine, et plus particulièrement à Shanghai.

Né le 17 juillet 1916 à Shanghai, il était le plus jeune d’une famille de treize enfants : ses ancêtres, d’après ce qu’on lui avait appris, étaient catholiques depuis trois siècles. Un de ses oncles, Mgr Simon Zhu Kaimin, fut un des premiers évêques chinois (ordonnés à Rome, en 1926, par le pape Pie XI). Evêque de Haimen, il mourut en prison en 1960.

A 17 ans, le jeune Vincent fait un pèlerinage à Rome puis reste dans un lycée belge de jésuites pour parfaire son français. Deux ans plus tard, il entre chez les jésuites en France. Il est ordonné prêtre en 1944 et, intellectuellement brillant, il est envoyé en Irlande et aux Etats-Unis pour y poursuivre ses études.

En 1947, il revient à Shanghai pour devenir administrateur du lycée Saint-Ignace, institution réputée de la ville. Mais l’établissement est fermé en 1951, deux ans après l’arrivée de Mao Zedong au pouvoir. Le P. Vincent s’installe alors dans la paroisse du Christ-Roi de Shanghai, où il est arrêté en 1953 puis relâché en 1954.

Mais en septembre 1955, lors d’un vaste coup de filet dirigé contre les membres de la Légion de Marie, il est de nouveau arrêté, en même temps que Mgr Ignace Kong Pinmei, l’évêque de Shanghai, vingt jésuites et 300 laïcs.

Il doit attendre son procès jusqu’en 1960 : il est condamné à 15 ans de travaux forcés, peine qu’il effectuera en partie dans une usine de pesticides. En 1979, à la faveur de l’ouverture mise en œuvre par le Premier ministre Deng Xiaoping, il est libéré et réhabilité. Il revient à Shanghai mais refuse de se joindre à la partie « officielle » de l’Eglise. Il décide d’habiter avec sa famille. En 1981, il est de nouveau arrêté : il est accusé d’espionner pour le Vatican et de s’opposer ouvertement à l’« indépendance de l’Eglise de Chine ». En mars 1983, il est condamné à 15 ans de prison pour appartenance à « une clique de traîtres contre-révolutionnaires ». Cette sentence aurait dû se terminer en 1996, mais la santé du P. Vincent se détériore de plus en plus. Il semble que pour éviter qu’il meure en prison, le pouvoir judiciaire chinois l’ait relâché avec quelques années d’avance, le 17 février 1993. La Chine, à l’époque, cherche à améliorer sa réputation sur le plan des droits de l’homme et veut, déjà, obtenir l’organisation des Jeux olympiques.

Le P. Vincent ne survit que quatre mois à sa libération. Cependant, durant cette période, il refuse de nouveau de se joindre à l’Eglise « officielle » et habite chez un de ses frères. Il reçoit quelques visites de prêtres de Hongkong mais le courrier qu’il confie à l’un d’eux est confisqué à la frontière par des douaniers chinois. Ce courrier était destiné à ses confrères et amis résidant hors de Chine. On ne saura sans doute jamais ce qu’il voulait leur dire : ses dernières volontés. Le P. Vincent Zhu mourut le 6 juillet 1993.

L’ancien évêque de Fuzhou, Mgr Zheng, emprisonné avec lui, témoigne : « Le P. Vincent, isolé dans sa cellule, parlait suffisamment fort pour être entendu par d’autres prêtres en captivité comme lui. Le jésuite menait la prière en latin pour eux et avec eux, demandant à Dieu de leur donner la force de tenir bon. Ces prêtres ne se connaissaient pas entre codétenus, ils ne se voyaient pas mais ils discutaient en latin et échangeaient leurs expériences et réflexions sur la foi. » L’évêque se souvient tout particulièrement des homélies du P. Vincent : « Elles [l]’encourageaient à être audacieux et à porter témoignage de la foi chrétienne. »

Aucun livre n’a encore été rédigé sur la vie de P. Vincent Zhu, mais les catholiques de Shanghai n’ont pas oublié ce témoin fidèle et avisé bien-aimé du Seigneur. Ils se racontent les uns les autres les épisodes de la vie de ce captif intransigeant. Un jésuite qui a rencontré Vincent Zhu avant sa dernière incarcération témoigne : « Il avait l’esprit ouvert, était agréable et nullement aigri par toutes les épreuves qu’il avait subies. Il n’avait pas perdu le sens de l’humour ! Il disait avoir fait en prison de vraies rencontres, authentiques et profondes, telles qu’on en fait rarement dans la vie courante. »