Eglises d'Asie – Pakistan
S’appuyant sur le rapport d’une commission américaine, l’Eglise catholique demande à nouveau la révision des manuels scolaires qui « incitent à l’intolérance religieuse »
Publié le 22/11/2011
… cautionnant ainsi l’extrémisme en plein développement dans le pays.
Les rapporteurs ont examiné plus de 100 manuels de l’école primaire au collège (grade 1 à 10) et visité 37 écoles publiques et 19 madrasa (écoles coraniques), interrogeant des centaines d’élèves et d’enseignants. Leurs conclusions sont accablantes : malgré les engagements de l’Etat à réformer le système scolaire, les manuels prônent la supériorité de l’islam sur toutes les autres religions et incitent à la discrimination envers les minorités religieuses. Présentés comme des « citoyens de seconde catégorie » rapporte la commission, les non-musulmans sont systématiquement décrits de manière négative et outrancière ; les hindous sont ainsi « des extrémistes » dont la culture est « fondée sur l’injustice et la cruauté » tandis que les sikhs et les chrétiens sont « des ennemis éternels de l’islam ».
Les experts ont également critiqué le « révisionnisme historique » des ouvrages, ayant « pour objectif de disculper ou de glorifier la civilisation islamique, tout en dénigrant les minorités religieuses » (1). Quant aux enseignants du secteur public, toujours selon la commission, ils participent activement à la propagande, près de 80 % d’entre estimant que les membres des minorités religieuses, y compris leurs confrères non musulmans, ne doivent pas accéder à des positions de pouvoir « afin de protéger le Pakistan et les fidèles de l’islam ».
La commission américaine conclut par le fait que de tels programmes scolaires sont une violation de la propre Constitution du Pakistan, laquelle stipule que les élèves ne doivent pas être tenus à recevoir un enseignement dans une autre religion que la leur.
« Nous sommes totalement d’accord avec les conclusions du rapport de la commission. Nos enquêtes avaient déjà pointé du doigt le caractère discriminatoire et les interprétations erronées [de la religion] des manuels scolaires. Cette politique d’éducation a une responsabilité importante dans le terrorisme sévissant actuellement », approuve Anjum James Paul, directeur de l’Association des enseignants pour les minorités du Pakistan (PMTA). « [Les manuels] sont [un mélange de] désinformation, de diffamation et de propagande, contre toutes les religions autres que l’islam », ajoute-t-il.
Depuis de nombreuses années, le PMTA ainsi que l’Eglise catholique au Pakistan, qui dirige de nombreux établissements scolaires dont certains très réputés, luttent pour la reconnaissance des droits des élèves non musulmans. A plusieurs reprises, des rapports et recommandations ont été envoyés à cet effet au gouvernement, demandant, en vain, la révision de ces programmes discriminatoires.
En 2005, Islamabad avait annoncé que des réformes de l’enseignement seraient menées, dans le but de « garantir une société sans conflit ». Mais en découvrant les grandes lignes des nouveaux programmes en décembre 2006, l’Eglise catholique avait fait part de son inquiétude : loin de l’esprit du projet annoncé, la commission de réforme instaurait « l’enseignement obligatoire de l’islam et de l’arabe comme matière principale pour les élèves, et de de la morale pour les non-musulmans ». Dans une lettre adressée le 22 janvier 2007 au ministre fédéral de l’Education, Javed Ashraf Qazi, l’Eglise catholique et différentes ONG faisaient part de leur désapprobation de ne pas avoir été consultées, et expliquaient que ces programmes ne feraient qu’accentuer « l’isolement et la discrimination envers les minorités religieuses » (2).
A nouveau, en 2009, les minorités religieuses avaient beaucoup espéré des promesses du gouvernement fraîchement élu, lequel s’était engagé à une refonte totale des programmes dans un esprit séculariste pour contrer l’islamisation extrémiste grandissante dans le pays, favorisé par le développement des madrasa (3). Parue en septembre 2009, cette énième réforme de l’éducation, restreignant encore davantage le champ des libertés religieuses, avait considérablement déçu. L’Eglise catholique, des ONG de défense des droits de l’homme et différents observateurs internationaux avaient invoqué une fois encore l’inconstitutionnalité de ces programmes et menacé de saisir la Cour suprême de l’Etat.
La réforme de 2009, sous prétexte de combler « les inégalités » entre les différents systèmes scolaires au Pakistan (et surtout celui des madrasa qui se refusaient à enseigner les « matières modernes » comme les sciences, l’anglais ou l’informatique), étendait en effet l’enseignement obligatoire des études islamiques (l’Islamiyat), comprenant des cours sur la foi musulmane et l’enseignement de l’arabe, à tous les niveaux scolaires de toutes les écoles. Qualifiée par ses opposants de capitulation du gouvernement face aux extrémistes musulmans, cette réforme accordait aux madrasa en échange de l’introduction dans leur enseignement des « matières modernes », la reconnaissance de leurs diplômes et l’islamisation du système éducatif de l’Etat.
La réforme de 2009 accordait également la possibilité pour les non-musulmans de substituer des cours de morale aux études islamiques dès le primaire. Selon la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence épiscopale du Pakistan (NCPJ), cette alternative n’en était pas une. « Dans cette matière comme dans toutes les autres, dénonçait Peter Jacob, responsable de la NCPJ, les religions sont présentées sous l’angle unique de l’islam, mais surtout les étudiants qui la choisissent sont fortement discriminés, mal notés et ont peu de chances d’obtenir leur diplôme. » De plus, ajoutait-il, un enseignement intensif des études islamiques risque de conduire à des « abus de la loi anti-blasphème dans les écoles et les collèges » (4).
La NCPJ avait de nouveau réagi en déclarant que les chrétiens préfèreraient la laïcité à une religion imposée, demandant à ce que tout enseignement religieux soit supprimé dans les programmes scolaires, à moins que le gouvernement n’accorde à tous les mêmes droits en matière d’éducation religieuse. Mais aujourd’hui la commission épiscopale s’interroge, reconnaissant qu’elle a « dû revoir sa stratégie lorsque le gouvernement a refusé de répondre à sa demande d’exclure l’éducation religieuse [des programmes d’enseignement obligatoire] ».
S’appuyant sur le rapport de la commission américaine, les évêques reviennent aujourd’hui sur leurs premières préconisations, qui étaient de donner à tous la possibilité d’étudier leur propre religion.