Eglises d'Asie

La Fédération de Malaisie et le Saint-Siège nouent des relations diplomatiques

Publié le 19/07/2011




Comme cela était prévisible (1), la Malaisie et le Saint-Siège ont convenu de nouer des relations diplomatiques, le délégué apostolique en Malaisie prenant bientôt le rang de nonce apostolique et le gouvernement malaisien devant nommer un ambassadeur près le Saint-Siège. L’accord a été conclu à la faveur d’une visite du Premier ministre Najib Razak en Italie, où il a été reçu le 18 juillet par le pape Benoît XVI en sa résidence estivale de Castel Gondolfo pour un entretien en tête-à-tête d’une vingtaine de minutes. …

… Après la rencontre de juin 2002 entre le pape Jean-Paul II et Mohamad Mahathir, c’était la deuxième fois dans l’histoire contemporaine qu’un chef de l’exécutif malaisien était reçu au Saint-Siège.

Du côté de l’Eglise catholique, l’établissement de relations diplomatiques avec la Malaisie est l’aboutissement de négociations engagées il y a plus de vingt ans. Alors que le Saint-Siège entretient de longue date des relations diplomatiques avec d’autres Etats à majorité musulmane de la région, la Malaisie, où l’islam est religion officielle, faisait exception. Selon le communiqué du Vatican publié à l’issue de la rencontre du 18 juillet, les entretiens entre le pape et Najib Razak ont porté sur « l’importance du dialogue interreligieux et interculturel pour la promotion de la paix, de la justice et pour une meilleure compréhension entre les peuples ».

Du côté de Kuala Lumpur, la rencontre avec le pape et l’établissement de relations diplomatiques sont venus renforcer le positionnement du gouvernement malaisien sur la scène internationale en tant que chef de file d’un islam modéré. Le communiqué du cabinet du Premier ministre publié à l’issue de la rencontre évoque le fait que « le monde est à la croisée des chemins. Les forces de l’irrationnel et de la discorde menacent la stabilité et la prospérité difficilement acquises que nous chérissons ».

En ce qui concerne les discriminations auxquelles la minorité chrétienne doit faire face en Malaisie, les communiqués des deux parties restent silencieux. Les quelque 8 % de chrétiens de Malaisie (dont une petite moitié sont catholiques) sont en effet en bute à des difficultés récurrentes dans le domaine de la liberté religieuse, comme l’usage du mot ‘Allah’ pour dire ‘Dieu’, la conversion de musulmans au christianisme ou bien encore les pressions exercées par les mouvements radicaux musulmans et la jurisprudence islamique (2).

Pour Mgr Murphy Pakiam, archevêque de Kuala Lumpur, qui faisait partie de la délégation accompagnant le Premier ministre malaisien à Rome, l’Eglise en Malaisie porte également d’autres revendications. Dans un entretien à l’agence Fides (3), Mgr Pakiam a rappelé que la constitution d’un Conseil interreligieux en Malaisie ainsi que l’institution d’un ministère pour les non-musulmans étaient demandées à Kuala Lumpur. La question de la présence de l’Eglise dans le domaine éducatif est aussi un sujet d’importance, a-t-il ajouté, les écoles catholiques du pays ayant été de facto nationalisées par le gouvernement. « L’Eglise demande à pouvoir redevenir protagoniste de la formation des jeunes et à pouvoir s’investir dans le domaine de l’instruction de qualité », a déclaré l’archevêque, sachant que, dans ses jeunes années, le Premier ministre Najib Razak fut scolarisé chez les Frères des écoles chrétiennes.

Dans l’immédiat, il ne semble pas que l’exécutif malaisien soit en mesure de rapidement satisfaire les requêtes de l’Eglise catholique. Le pouvoir actuel est en effet affaibli, comme en témoigne le succès de la manifestation pacifique du 9 juillet dans les rues de Kuala Lumpur. Ce jour-là, plusieurs dizaines de milliers de manifestants, issus de tous les horizons ethniques, religieux et sociaux du pays, ont marché à l’appel d’un collectif de 62 organisations issues de la société civile regroupées sous la bannière de Bersih (‘Propre’ en malais) pour réclamer plus de libertés et, notamment, plus de transparence dans les opérations électorales, le pouvoir devant organiser des élections générales d’ici au début de l’année 2013.

Dans ce contexte, le déplacement en Europe du Premier ministre à un moment où, dans les rues de la capitale, une fraction de la population demandait des réformes politiques, a été perçu en Malaisie comme une marque de faiblesse, voire de démission du Premier ministre.

Quelques jours avant la visite à Castel Gondolfo du 18 juillet, un groupe de 365 catholiques (prêtres et laïcs) et protestants avaient adressé une lettre ouverte au pape pour l’avertir qu’au-delà du discours du Premier ministre sur un islam modéré, il faut percevoir une autre réalité qui est celle d’une accentuation des clivages ethniques et religieux dans le but de maintenir au pouvoir l’actuelle coalition. Les signataires de la lettre dénonçaient notamment les visées électoralistes de la visite à Rome du Premier ministre. Ils rappelaient que lors des dernières élections de 2008, le Front national (coalition au pouvoir) avait perdu sa majorité des deux tiers mais avait néanmoins réussi à rester au-dessus des 50 % grâce aux sièges parlementaires gagnés à Sabah et Sarawak, les deux Etats de la Malaisie orientale (Bornéo), où les chrétiens constituent une forte minorité (43 % à Sarawak et 28 % à Sabah). « Nous soupçonnons que la visite de Najib Razak au Saint-Siège sera utilisée par les leaders du Front national pour gagner les voix des chrétiens à Sabah et Sarawak. On peut très bien imaginer que, lors de la prochaine campagne électorale, des photos de Najib aux côtés du Saint-Père seront largement distribuées dans ces deux Etats, notamment dans les zones rurales où les aborigènes chrétiens sont majoritaires », mettaient en garde les signataires de la lettre ouverte.