Eglises d'Asie

L’autodafé de bibles n’a pas eu lieu mais les tensions interreligieuses persistent

Publié le 28/01/2013




L’importante présence policière à Butterworth, où devait se tenir, à l’appel d’un groupe islamiste, un « autodafé festif » de bibles dimanche 27 janvier, semble avoir dissuadé les organisateurs de mettre leur menace à exécution. Mais la polémique se poursuit de plus belle, incitant les leaders des autres religions à intervenir. 

Lors de la conférence de presse qui s’est tenue le 27 janvier après-midi, le chef de la police de Penang, Abdul Rahim, n’a pas caché sa satisfaction et son soulagement : « C’était une tentative perdue d’avance pour les organisateurs, mais je suis heureux que l’événement n’ait pas eu lieu et je remercie la population, spécialement les musulmans malais, de ne pas avoir cherché à y participer. »

Le ministre-président de l’Etat de Penang, Lim Guan Eng, également secrétaire du Parti d’Action Démocratique (PAD) dans l’opposition, avait pris la menace très au sérieux et rapidement mis en place un dispositif de sécurité renforcé afin « d’empêcher cet acte insensé ». Sur la pelouse qui borne le Dewan Ahmad Badawi de la ville de Butterworth, dans l’Etat de Penang, où le groupe extrémiste avait annoncé qu’il organiserait son autodafé, les policiers occupaient chaque mètre du terrain, tandis que des unités paramilitaires patrouillaient ostensiblement dans les environs depuis la veille.

C’est un pasteur anglican qui avait le premier communiqué la nouvelle, après avoir découvert un tract « invitant à une grande fête pour brûler les bibles en malais » dans sa boite aux lettres. La menace, émanant d’un groupe extrémiste inconnu, avait immédiatement semé un vent de panique et d’indignation au sein des communautés chrétiennes, qui avaient condamné une « initiative haineuse et irresponsable », suivies par de nombreux leaders religieux, dont des responsables musulmans.

Mais plus encore que la « proposition sacrilège », avait été condamnée unanimement la déclaration qui l’avait précédée et probablement provoquée ; celle par laquelle le leader du groupe pro-malais Perkasa, Datuk Ibrahim Ali, avait appelé quelques jours auparavant à brûler toutes les bibles en malais, en raison du fait qu’elles utilisaient le mot « Allah » pour se référer à Dieu.

Le chef du Perkasa, également membre du Parlement et proche de l’UMNO-BN, la coalition au pouvoir, est depuis sous le coup de plusieurs plaintes déposées contre lui pour « incitation à la haine religieuse » et également poursuivi par le barreau de Malaisie pour « sédition ».

Face au tollé général, le groupe extrémiste a tenté de minimiser la portée de la déclaration de son chef, affirmant  que « le Perkasa n’avait jamais voulu organiser d’autodafé de bibles » mais juste « lancer un avertissement » et défendre « la sainteté de l’islam et la foi de ses croyants ». Dimanche 27 janvier, alors que se répandait la nouvelle de la tentative avortée d’autodafé, le porte-parole du groupe et secrétaire général, Syed Hassan Syed Ali, a déclaré au Malaysian Insider que son président « avait l’intention d’inviter les responsables des Eglises locales à une table ronde, afin de s’expliquer sur sa déclaration ».

Les Eglises chrétiennes, de leur côté, poursuivent leurs efforts d’apaisement du conflit, conformément aux directives de leurs dirigeants. Dans son édition d’aujourd’hui, The Malaysian Insider rapporte que l’évêque catholique de Penang, Mgr Sebastian Francis, a rendu une visite amicale à Nik Abdul Aziz Nik Mat, leader spirituel du Pan-Islamic Malaysian Party (PAS) à l’occasion de son 82e anniversaire. Sur le site Internet du parti islamique qui relate la rencontre, il est rapporté que l’évêque de Penang n’a pas tari d’éloges sur le chef spirituel du PAS, déclarant que le pays avait besoin de suivre un modèle tel que lui, plutôt que de se laisser entraîner par les provocations du député extrémiste Datuk Ibrahim Ali.

Nik Abdul Aziz Nik Mat fait partie des nombreux responsables du PAS et des autres partis de la coalition d’opposition (1) qui ont condamné officiellement le « discours de haine » du chef du Perkasa, l’accusant de « sacrifier à des intérêts politiques et non pas religieux ».

Dans un article paru dans The Wall Street Journal du vendredi 25 janvier, Mgr Joseph Marino, tout nouvellement nommé nonce apostolique en Malaisie (2), a exprimé son espoir d’une amélioration des relations interreligieuses dans un pays où « le climat entre les différentes communautés s’est dégradé rapidement ces dernières années », particulièrement en raison de « la polémique autour de l’usage du mot « Allah » par les non-chrétiens ».

Le Wall Street Journal souligne par ailleurs que la création de « l’équivalent catholique d’une ambassade à Kuala Lumpur » a été notamment motivée par le fait que la minorité chrétienne s’est considérablement développée jusqu’à atteindre un million de fidèles pour les seuls catholiques. Dans un climat d’inquiétude face à la croissance numérique des chrétiens, « le gouvernement fait face à une pression très forte des politiciens et de la population à l’approche des élections nationales en juin », explique encore le quotidien.

Un autre soutien a été apporté aux chrétiens dans l’affaire de « l’autodafé des bibles ». Ce lundi 28 janvier, un groupe bouddhiste, le Malaysian Network of Engaged Buddhists (MNEB) (3), a publié une déclaration de presse à l’adresse de tous les Malaisiens : « En tant que citoyens de ce pays et en tant que pratiquants d’une spiritualité, nous supplions humblement toutes les parties concernées de cesser toute animosité, de stopper toute provocation comme celle d’un « autodafé festif » et de chercher un règlement amical au conflit. »

Le groupe bouddhiste, dont la déclaration était signée par les coordinateurs Soon Koi Voon, Liau Kok Meng et Wong Choon Tat, concluait son communiqué en « appelant le gouvernement malaisien à intervenir par l’intermédiaire de la JPNIN (National Unity and Integration Department) ou de n’importe quel autre moyen ou institution, afin de résoudre le problème en urgence, en accord avec la Constitution ».

Le fait que le gouvernement fédéral soit directement interpellé par le groupe bouddhiste ne fait que souligner davantage la volonté de Kuala Lumpur de ne pas intervenir dans le débat. Depuis le début des événements, le gouvernement central s’est gardé de tout commentaire, déclaration ou intervention, et a même refusé de condamner officiellement l’appel à l’autodafé de son allié politique Perkasa.

La position du gouvernement de Malaisie s’est cependant fait connaître indirectement, le 25 janvier dernier, lors de la prière du vendredi au cours de laquelle les responsables du Malaysian Islamic Development Department (JAKIM), département des Affaires religieuses, placé sous l’autorité directe du Premier ministre malaisien (tout comme le JPNIN), ont fustigé les « ennemis de l’islam » qui entretenaient la confusion et troublait la foi des « vrais croyants » en utilisant le mot « Allah ».