Eglises d'Asie

Les chrétiens inquiets du retour au pouvoir de Nawaz Sharif

Publié le 06/06/2013




Mercredi 5 juin, après une campagne électorale et un scrutin marqués par la violence, le Parlement pakistanais a élu Premier ministre Nawaz Sharif, leader du parti Pakistan Muslim League-Nawaz (PML-N), à 244 voix sur 342. Un vote de confiance, ratifié par le président quelques heures plus tard, qui n’a guère surpris, le parti de Nawaz Sharif ayant remporté le plus grand nombre de sièges lors du scrutin de mai dernier.

Premier ministre pour la troisième fois, quatorze ans après le coup d’Etat qui l’avait contraint à l’exil (1), Nawaz Sharif a été élu en partie grâce aux voix des minorités, bien que la majorité des non-musulmans voient avec appréhension son retour à la tête de l’Etat..

Le passé du nouveau Premier ministre ne plaide en effet pas pour une amélioration de la situation envers les minorités, notamment en ce qui concerne les lois anti-blasphème. « Nawaz Sharif est un fondamentaliste et un conservateur (…) et il a toujours accordé une large place aux partis religieux islamiques », s’inquiète auprès de l’agence Fides, le P. Bonnie Mendes, prêtre catholique à Faisalabad.

A chacun de ses mandats à la tête du gouvernement, mais aussi ces cinq dernières années lorsque son frère Shahbaz Sharif était ministre-président du Pendjab, les attaques antichrétiennes ont augmenté (2) et les autorités et fonctionnaires appartenant au PML-N fortement soupçonnés d’être impliqués dans les agressions. Selon des estimations prudentes, durant ces cinq années du MLP-N à la tête du Pendjab, environ 300 ahmadis, chrétiens et chiites auraient été tués dans des attaques communautaristes.

« La majorité des chrétiens n’ont aucun espoir en ce qui concerne l’arrivée au pouvoir de Sharif, en raison de sa vision religieuse fondamentaliste et des liens étroits qu’il entretient avec les groupes islamistes », ont déclaré plusieurs leaders politiques chrétiens lors d’une conférence de presse qui s’est tenue à Lahore le 30 mai dernier, rappelant notamment la coalition formée par le PML-N avec le Jamat-e-Islami dans les années 1990.

Aucune amélioration n’est à attendre, affirment encore les leaders chrétiens, en ce qui concerne les lois anti-blasphème. Lors de son précédent passage au gouvernement de 1996 à 1999, Sharif avait renforcé les peines prévues par ces lois, jusqu’à la réclusion à perpétuité et la peine capitale.

« Le frère de Sharif a été très dur dans l’application des lois anti-blasphème, qui sont la cause principale des persécutions faites aux chrétiens, principalement dans la province du Pendjab », souligne quant à lui Nadeem Anthony, avocat chrétien et membre du conseil de la Commission des droits de l’homme du Pakistan.

Selon Alexander Mughal du Minorities Concern of Pakistan (MCP), « même si quelques chrétiens espèrent des changements, la très grande majorité d’entre eux sont inquiets de cette élection ». Le 1er juin dernier, le leader du MCP explique que les chrétiens ont pourtant contribué dans une certaine mesure à l’élection de Sharif, en votant massivement pour son parti au Pendjab, province où vivent 80 % d’entre eux.

Alors que la région recense les attaques les plus meurtrières contre les minorités (ahmadis, chrétiens, chiites), les communautés chrétiennes, en particulier celles des banlieues de Lahore, semblent avoir permis au PML-N de remporter la majorité des deux tiers dans la province.

« On peut être surpris, commente de son côté le P. James Channan, directeur du Peace Center de Lahore, d’apprendre que, dans de nombreuses villes, les chrétiens ont voté en faveur de Nawaz Sharif, par exemple à Lahore, Faisalabad, Okara, Renala Khurd et Multan, des villes se trouvant toutes au Pendjab. » Selon le prêtre, dont les propos sont rapportés par Fides, ce vote chrétien s’explique surtout en raison d’une situation économique catastrophique : « La population a énormément souffert sous le gouvernement du Parti populaire du Pakistan (PPP), surtout économiquement (manque d’électricité, inflation, chômage, corruption). Ils sont nombreux à avoir choisi le PML-N, pensant que seul Nawaz Sharif pourrait sauver économie du pays. » Pour le P. Channan, « il reste à espérer que Sharif modifiera son attitude envers les islamistes et se concentrera sur les questions économiques majeures ».

Une explication que ne partage pas entièrement Alexander Mughal : pour lui, Shahbaz Sharif aurait renversé l’opinion, auparavant largement défavorable à son parti, en promettant l’égalité des droits à toutes les minorités religieuses pendant sa campagne électorale. « Et la façon dont les familles chrétiennes de la Joseph Colony ont été réinstallées après avoir été attaquées en mars dernier par les musulmans semble avoir changé le point de vue des chrétiens », explique-t-il encore. « [Si cette promesse de changement en faveur des minorités est tenue], cela pourrait rendre la situation des chrétiens très différente », espère-t-il.

La mise à sac de la Joseph Colony en mars dernier avait pourtant porté un coup très rude au gouvernement du Pendjab, accusé de ne pas avoir protégé les minorités, laissé agir les extrémistes et ne pas avoir puni les coupables. La Cour suprême du Pakistan elle-même avait accusé la police de Lahore de complicité avec les agresseurs et demandé une enquête. Si l’inaction des autorités avait tout d’abord été largement critiquée par les chrétiens, la proposition du gouvernement de reconstruire les maisons détruites avait eu un effet « très favorable sur les chrétiens », explique Irfan Barkat, membre du Comité épiscopal catholique ‘ Justice et Paix’.

Un autre fait aurait, semble-t-il, achevé de redorer le blason écorné du PML-N : le 9 mai dernier – soit deux jours avant les élections législatives du 11 mai –, Nawaz Sharif invitait différents leaders des minorités religieuses à un grand meeting. « Nous avons été impressionnés très favorablement par le fort désir de protéger les droits des minorités qu’il nous a exprimé », relate l’un des participants, le Rév. Saleem Inayat, pasteur protestant.

Naveed Ghafoor, dont le frère a été faussement accusé de blasphème en 2009, n’attend nullement pour sa part  que le gouvernement de Sharif apporte une quelconque amélioration à la situation des minorités religieuses. « Si Nawaz Sharif avait voulu faire quoi que ce soit concernant les lois anti-blasphème ou l’application de la charia, il l’aurait déjà fait lorsqu’il était au pouvoir les deux dernières fois, constate-t-il. Je vois encore moins de raisons pour lui de le faire aujourd’hui, la situation des chrétiens s’étant dégradée depuis et l’opinion leur étant de moins en moins favorable. »

Au nombre des signes qui semblent néanmoins de bon augure à ceux qui espèrent une amélioration des droits des minorités avec le retour au pouvoir de Nawaz Sharif, figure l’entrée très remarquée d’un député sikh au Parlement pakistanais, un fait qui ne s’était jamais produit depuis la création du pays en 1947. Se présentant sur la liste du PML-N, Sardar Ramesh Singh a déclaré à The Express Tribune qu’il avait l’intention de représenter « non seulement les sikhs mais toutes les minorités religieuses du pays ».